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La récente réforme du droit des obligations est l’occasion parfaite de rappeler qu’en matière contractuelle, la volonté des parties est nodale et que la conclusion du contrat n’est pas le carcan rigide que l’on imagine, mais le canevas d’une relation privilégiée dont on peut concevoir de défaire les points devenus trop serrés.

L’histoire pourra ainsi être rebrodée, lorsque les parties souhaiteront la faire évoluer.

A titre d’illustration, tel est le cas de cette personne morale de droit privé, chargée d’une mission de service public, qui ne sait plus quelles sont ses prérogatives sur son propre terrain.

Domaine public ? Domaine privé ? Que l’on se rassure, point de domanialité publique à l’horizon, les modifications apportées au Code général de la propriété des personnes publiques ne sont pas allées si loin.

Mais voilà qu’a été conclu sur ledit terrain un bail emphytéotique.

Bail emphytéotique ? qu’es aquo ?

Prévu aux articles L451-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime (oui, ce code peut être appliqué en plein centre-ville), ce contrat fort usité permet au propriétaire d’un terrain de confier ce bien à un tiers en transférant à celui-ci des droits réels immobiliers.

D’une durée obligatoirement comprise entre dix-huit et quatre-vingt dix neuf ans, ce bail de longue durée permet au preneur, appelé emphytéote, de disposer d’un droit réel immobilier librement cessible, saisissable et susceptible d’hypothèque lui permettant de construire sur le terrain d’autrui et d’exploiter les constructions édifiées. Aucune disposition légale n’impose cependant au preneur l’obligation d’investir sur le fonds loué et celui-ci n’est tenu d’améliorer, de planter ou de construire que si une clause spéciale du bail le prévoit.

L’occupation est consentie moyennant le versement d’une redevance, qui pourra être relativement modique et être compensée par une contrepartie, par exemple l’engagement de réaliser certains travaux.

La liberté contractuelle est donc de mise.

Dans le cas qui nous intéresse, le bail portait sur un terrain comportant plusieurs immeubles à usage de bureaux, le preneur s’obligeant à réaliser les importantes rénovations nécessaires à leur exploitation. Pour identifier les locaux, un état descriptif de division était établi à l’occasion.

Pour compliquer un peu les choses, voilà que la propriétaire avait expressément indiqué dans le contrat qu’une partie des locaux donnés à bail serait rénovée par ses soins, en contrepartie d’une mise à disposition gratuite de ces même locaux à son profit, pour une durée identique à celle du bail emphytéotique.

En outre, la propriétaire s’était réservée une portion du terrain et des bâtiments dans lesquels elle exerçait sa propre activité.

Hélas, hâtivement rédigé, le bail emphytéotique ne faisait pas apparaître cette dernière précision, de sorte qu’une lecture littérale confiait la totalité du terrain à l’emphytéote.

Fort heureusement, bien que rédigé par acte notarié, ce contrat de bail et le contrat de mise à disposition gratuite établis le même jour ne furent pas gravés dans le marbre.

Les parties purent donc, près de dix années après, modifier le bail emphytéotique et la convention de mise à disposition par un nouvel acte notarié. Les immeubles ayant subi de lourdes transformations internes au gré des travaux réalisés par l’emphytéote, les parties, follement heureuses de pouvoir disposer de la chose décidèrent d’établir un nouvel état descriptif de division introduisant une bonne vingtaine de nouveaux lots.

Notre propriétaire put récupérer son bien sur le papier et les parties ajoutèrent trente années supplémentaires à leurs contrats.

Dans l’euphorie des belles années qui suivirent cet acte modificatif, le mille-feuille s’épaissit et de nouvelles conventions furent établies, permettant à la propriétaire d’occuper certains lots compris dans l’emprise du bail emphytéotique, pour de courtes durées. Rapidement exécutées, ces conventions ne connurent aucune mésaventure, si ce n’est de déterminer à qui revenait la responsabilité de faire visiter les locaux pour de nouveaux travaux.

Mais voilà… De taxes foncières en pression immobilière, le locataire se crut propriétaire.

Et notre vraie personne morale propriétaire se trouve menacée d’expulsion de sa propre maison.

A tout le moins lui demande t-on gentiment de débarrasser le plancher pour que la place puisse être relouée.

Fort heureusement, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits (art. 1103 du Code Civil 2.0).

Notre personne morale de droit privé n’a donc eu qu’à ressortir ses contrats pour rappeler à l’indélicat qu’elle était la véritable propriétaire des lieux et que si ce dernier disposait bien de droits réels immobiliers ceux-ci ne s’entendaient que dans la limite des clauses particulières prévues au contrat, et en particulier celle prévoyant une mise à disposition au profit de la propriétaire d’une partie des locaux donnés à bail pour toute la durée du bail emphytéotique.

Profitant de cet aplomb retrouvé, la propriétaire se demande jusqu’où elle peut aller. Peut-elle imposer un nouveau loyer ? Exiger de pouvoir visiter ? Récupérer tels locaux inutilisés ?

La rédaction contractuelle ramène bien vite la propriétaire à la réalité : l’emphytéote est lui aussi protégé.

C’est donc par de nouveaux actes conventionnels que s’envisageront les nouvelles conditions d’occupation. Et si la mairie veut désormais en profiter, qu’elle vienne en discuter, les parties ne sont pas fermées… Après tout, les contrats de droit privé ne sont pas réservés aux seules personnes morales de droit privé.

La morale de cette histoire tient en deux points :

          La liberté contractuelle s’impose : sous réserve des dispositions d’ordre public, les parties sont très largement libres dans l’élaboration de leur contrat, l’une des parties serait-elle un établissement public. Les obligations qui peuvent parfois peser sur les personnes publiques ou leurs prérogatives particulières ne constituent pas un frein à leur capacité de contracter, mais doivent être utilisées adroitement dans l’élaboration de l’accord.

A ce titre, les règles propres à la  domanialité publique ou à la maîtrise d’ouvrage publique ne peuvent être regardées comme entravant toute possibilité d’exploitation des biens immobiliers. De nombreux outils contractuels et divers montages parfaitement sécurisés permettent de s’affranchir de coûts de construction, de financement ou de rénovation importants tout en permettant à la personne publique d’exercer un contrôle plus ou moins intense sur le partenaire retenu de nature à préserver ses propres intérêts.

–         Si le contrat doit être considéré comme la loi des parties, cette loi n’est pas intangible : un contrat doit pouvoir se renégocier.

L’échéance contractuelle ne doit pas être perçue comme une issue.

Un réexamen régulier des contrats en cours s’impose en fonction des modifications  de l’environnement matériel, financier ou encore réglementaire.

Il convient en conséquence d’être particulièrement vigilant au moment de la conclusion du contrat initial sur la rédaction des clauses ayant trait à la durée, à la résiliation, aux modifications, et des clauses de revoyure. Mais il importe aussi d’assurer un suivi des contrats pour engager de nouveaux pourparlers dans des fenêtres d’opportunité afin de faire évoluer ses obligations.