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Fin de l’activité libérale à l’hôpital avec des trémolos dans la voix pour les uns ou un sourire sarcastique – mais in petto – pour les autres, scandaleuse iniquité pour certains, incohérence ou monstruosité juridique pour divers spécialistes, il semble de bon ton, depuis quelque temps, de gloser sur l’article 99 de la loi dite de modernisation de notre système de santé (n°2016-41 du 26 janvier 2016 ; article L. 6112-2 du code de la santé publique). Et de glousser à la lecture de la décision du conseil constitutionnel (n°2015-727 DC du 21 janvier 2016) et surtout de la position, forcément erronée et partisane, de la direction générale de l’offre soins qui a reçu récemment une très large publicité (courrier du 26 février 2016 adressé à l’AP-HP).

Tout cela est-il bien sérieux ? Et, au-delà de l’intérêt bien compréhensible de certains à agiter le microcosme comme aurait dit un certain Raymond, y-a-t-il réellement matière à s’exciter ?

Le 4° du I de l’article L. 6112-2 du CSP issu de l’article 99 précité impose à l’ensemble des établissements de santé assurant le service public hospitalier comme à l’ensemble des « professionnels de santé qui exercent en leur sein » de garantir à toute personne qui recourt à leurs services, « L’absence de facturation de dépassements des tarifs fixés par l’autorité administrative et des tarifs des honoraires prévus au 1° du I de l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale ».

Cet article ne fait qu’expliciter l’article L. 6112-1 du même code qui, évoquant le respect des principes d’égalité d’accès et de prise en charge, ne fait que bégayer en le reformulant le principe constitutionnel d’égalité, l’égalité devant le service public étant en soi un principe général du droit (CE, Sect, 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire, Rec. 151).

Alors que personne jusqu’à lors ne s’était réellement posé la question de savoir si les principes du service public étaient compatibles avec l’existence d’un secteur libéral à l’hôpital public, ni depuis la loi n ° 58-1198 du 11 décembre 1958 qui l’avait instauré, ni lors de la loi  n ° 82-916 du 28 octobre 1982 qui avait envisagé de le supprimer, ni depuis la loi  n ° 87-39 du 27 janvier 1987 qui l’avait rétabli, voilà que l’on s’excite aujourd’hui à qui mieux mieux, que l’on s’encourage,  que l’on se titille, que l’on s’agace, que l’on invective, que l’on critique, que l’on s’esclaffe, que l’on tempête et montre ses ergots.

Chacun y va de sa théorie et de sa démonstration, plaidant ici pour la suppression d’une différence de traitement inique entre public et privé,  là pour le rétablissement du cadre juridique antérieur pour ne pas risquer d’accélérer la fuite des cerveaux de l’hôpital public.

Ayant récemment été appelé, moi aussi, à donner mon avis par l’APM (APM 25 mars 2016), je m’autorise à joindre, de manière forcément discordante, ma voix au concert et à poursuivre mon raisonnement, textes et jurisprudence à l’appui (il me semble être le premier et le seul à le faire…).

Oui, je partage – sur le fond – l’analyse de la DGOS (et ce n’est pas parce qui j’y ai consacré une grande partie de ma vie professionnelle, j’aurais tant de choses à en dire). Oui, l’analyse du Conseil constitutionnel sur ce point ne me choque pas (et pas parce que je m’inclinerai face à la divinité, ma colonne vertébrale m’a toujours interdit les courbettes et génuflexions).

En effet, il n’y a pas, en droit, de contradiction entre le rappel des principes du service public qui interdisent les dépassements d’honoraires au sein du service public et le maintien, désormais encadré, du droit à dépassement pour les quelques praticiens hospitaliers temps plein autorisés à disposer d’une activité libérale à l’hôpital public en application des articles L. 6154-1 et suivants du code de la santé publique.

Pourquoi ?

Tout simplement parce que l’activité libérale des praticiens temps plein est totalement extérieure au service public.

C’est dit expressément à l’article L. 6154-1 du CSP : « Dès lors que l’exercice des missions de service public définies à l’article L. 6112-1 dans les conditions prévues à l’article L. 6112-3 n’y fait pas obstacle, les praticiens statutaires exerçant à temps plein dans les établissements publics de santé sont autorisés à exercer une activité libérale dans les conditions définies au présent chapitre. »

C’est redit, sous une autre forme, au 1° du II de l’article L. 6154-2 qui précise les conditions dans lesquelles un tel exercice peut être autorisé parmi lesquelles « Que les praticiens exercent personnellement et à titre principal une activité de même nature dans le secteur hospitalier public ; »

Le législateur a donc clairement distingué les activités de service public (pour lesquelles d’ailleurs, le médecin qui est salarié de l’établissement, ne facture pas d’actes à son profit) et l’activité strictement libérale du même praticien.

L’activité libérale du praticien temps plein n’est donc pas une activité de service public. D’ailleurs, lors de cet exercice libéral, les rapports qui s’établissent entre les malades admis à l’hôpital et les médecins, chirurgiens, spécialistes à temps plein auxquels ils font appel, relèvent du droit privé,  les praticiens temps plein versent une redevance à l’hôpital public en contrepartie des moyens mis à leur disposition. Ils se trouvent donc dans une situation juridique similaire à celle des médecins libéraux « pur sucre » qui ont recours au plateau technique de l’hôpital public dans le cadre des multiples conventions de co-utilisation.

Pour les sceptiques, j’ajouterai que les juridictions administratives, appelées à se prononcer en matière de responsabilité médicale, ont toujours distingué l’activité de service public de l’activité libérale. Nombre de décisions sont motivées de manière quasiment standardisée depuis de très longues années de la manière suivante : « Considérant qu’il résulte des dispositions du I de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique que la responsabilité des établissements publics de santé peut être engagée du fait des actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés par le personnel hospitalier en cas de faute ; que les articles L. 6154-1 et suivants du code de la santé publique dans leurs dispositions applicables à la date des faits en litige, autorisent, à certaines conditions qu’ils précisent, les praticiens statutaires à temps plein à exercer dans les locaux de l’établissement public hospitalier auquel ils sont rattachés une activité libérale au titre de laquelle ils perçoivent personnellement des honoraires soit directement de leurs patients, soit par l’intermédiaire de l’établissement ; qu’il résulte de l’ensemble des dispositions qui régissent cet exercice d’une activité libérale, que les rapports qui s’établissent entre les malades admis à l’hôpital et les médecins, chirurgiens, spécialistes à temps plein auxquels ils font appel, relèvent du droit privé ; que l’hôpital où ils sont admis ne saurait, dès lors, être rendu responsable des dommages causés aux malades privés de ces praticiens lorsque ces dommages trouvent leur origine dans un agissement fautif imputé aux médecins, chirurgiens ou spécialistes auxquels ces malades se sont confiés ; » (CAA Nantes, 20/12/2012, 11NT00734 ; CAA Nancy, 25/05/2011, 10NC01028 ; CAA Lyon, 22/01/2008, 04LY01430 ; CAA Paris, 21/10/1997, 95PA03986, etc.).

Si les juridictions administratives avaient considéré que l’activité libérale des praticiens temps plein était une modalité d’exercice du service public, elles auraient tout bonnement appliqué le régime de responsabilité de droit commun des établissements publics de santé.

Et, pour les encore plus sceptiques, je citerai avec malice et gourmandise l’argument que Vincent Granier, journaliste à l’APM, a très justement et très finement opposé, alors qu’il ne se présente pas comme un professionnel du droit : l’article 138 de la loi de modernisation.

Eh oui ! L’article 138 qui a modifié le I de l’article L. 6154-2 du CSP. Désormais, ne peuvent exercer une activité libérale que « les seuls praticiens adhérant à la convention régissant les rapports entre les organismes d’assurance maladie et les médecins mentionnée à l’article L. 162-5 du code de la sécurité sociale ».

Comment les commentateurs ne l’ont-ils pas vu ?

Sauf à démontrer que la représentation nationale est constituée uniquement de vieillards cacochymes, oublieux, atteints par la schizophrénie ou la maladie d’Alzheimer,  on ne saurait prétendre, sans rire, que la main qui a rédigé le 4° du I de l’article L. 6112-2 interdisant les dépassements d’honoraires dans le service public, a ignoré celle qui a rédigé l’article L. 6154-2 encadrant les dépassements d’honoraires des praticiens temps plein exerçant une activité libérale à l’hôpital public.