Scroll Top
Partager l'article



*




Par un arrêt prononcé le 11 mai 2010, la Cour de cassation a donc finalement reconnu aux travailleurs de l’amiante le droit à être indemnisé d’un préjudice d’anxiété. La haute juridiction généralise ainsi dans le contentieux civil de l’amiante un nouveau préjudice spécifique, permettant aux salariés se trouvant “dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante” et caractérisée par le fait d’être “amenés à subir des examens propres à réactiver cette angoisse”. A notre connaissance, c’est le Tribunal de Grande Instance de Lille qui avait auguré en 2006 ce préjudice d’une nature bien particulière en ce sens qu’il s’adresse aux travailleurs de l’amiante qui ne sont pas encore atteints d’une maladie professionnelle déclarée (Tableau N°30). A la manière de la jurisprudence relative aux contaminations virales post-transfusionnelles (sida, hépatites), le juge de cassation ouvre la voie indemnitaire pour avoir à vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, étant rappelé que la survenance d’une pathologie de l’amiante se caractérise par un temps de latence de 30 à 40 ans, par un risque persistant après avoir été exposé à l’inhalation de fibres et qu’il n’existe pas de traitement médical curatif. La circonstance que 35 000 personnes soient décédées en France entre 1965 et 1995 et que 50 000 à 100 000 décès soient attendus d’ici 2025 (selon la mission parlementaire de 2005) achève d’illustrer la portée considérable de cet arrêt de la Cour de cassation.
Mais alors, si l’on extrapole cette avancée jurisprudentielle (que certains auteurs critiquent néanmoins car elle peut paradoxalement conduire à “mieux” indemniser un salarié exposé mais non atteint d’une pathologie qu’un salarié en maladie professionnelle déclarée) concernant les cas particuliers à la problématique générale de la protection face au risque amiante, comment peut-on alors expliquer que soient toujours sans suite les conclusions tonitruantes de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement (AFSSET) publiées en février 2009, au terme de quatre années d’expertise collective, sur l’impérieuse nécessité de “réviser la réglementation pour renforcer la protection des travailleurs et de la population générale” ? Notamment en abaissant la sacro-sainte valeur réglementaire de 5 fibres par litre (“calculée sur la base du bruit de fond de la pollution des années 1970”) au-delà de laquelle des travaux de désamiantage doivent obligatoirement être entrepris ? Notamment en incluant (enfin) dans les mesures de microscopie électronique le comptage des fibres fines d’amiante (FFA) que l’on sait cancérigènes ? Notamment en définissant un nouveau seuil réglementaire spécifique pour les fibres courtes d’amiante (FCA), que l’on sait omniprésentes dans les établissements recevant du public généralement pourvus de dalles vinyles, et dont on ne peut écarter un effet cancérigène ? L’anxiété doit-elle aussi s’appliquer à cette situation générale ?

Pierre-Yves FOURE