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Alors que la Cour de Justice de l’Union Européenne vient de rendre une décision aux conséquences fracassantes pour les coopérations public/privé, force est de constater que le projet de Loi de Santé reste totalement silencieux quant à la réception de cette interprétation jurisprudentielle par les plus hautes autorités sanitaires françaises.

En effet, ainsi que nous l’exposons de façon plus exhaustive dans un article[i] consacré de ce Dossier spécial, par une décision rendue le 19 juin 2014 dans l’affaire C-574/12 Centro Hospitalar de Setubal EPE, le Juge européen est venu préciser qu’il n’était pas possible de faire bénéficier les groupements de coopération sanitaire public/privé de l’exception dite du in house aux règles de la commande publique.

Cette interprétation particulièrement rigoureuse des règles de la commande publique s’inscrit, certes, dans la droite ligne de l’esprit libéral le plus strict gouvernant les principes communautaires, mais constitue une vision radicalement opposée à la volonté de collaboration efficace entre l’ensemble des acteurs de la santé publique exprimée dans le projet de Loi.

Le silence gardé dans le projet de Loi quant aux conséquences de cette jurisprudence est alors d’autant plus assourdissant que celui-ci encourage et promeut l’association de l’ensemble des acteurs de la santé, tant publics que privés, par la création (ou l’amélioration) d’outils conventionnels nombreux et variés.

Compte-tenu des enjeux portés par les coopérations public/privé, il est alors frappant de constater que le projet de Loi ne vise pas une seule fois le Code des marchés publics.

 

Accordons-lui néanmoins que le terme « marchés » y apparaît une fois.

En effet, parmi les mesures d’amélioration et de simplification du système de santé, le projet prévoit effectivement une clarification des procédures de passation des marchés publics mentionnés à l’article L.6148-7[ii] du Code de la santé publique (Article 50 du projet de Loi).

Pour mémoire, l’article L.6148-7 précité est issu de l’Ordonnance du 19 septembre 2003[iii] ayant transposé au secteur hospitalier le contrat de bail emphytéotique administratif, donnant ainsi naissance au bail emphytéotique hospitalier (BEH) désormais prévu aux articles L.6148-2 à L.6148-6 du Code de la santé publique.

Le contrat prévu par l’article L.6148-7 du même code s’en distingue néanmoins, ainsi que du contrat de partenariat, dit « PPP », créé par l’Ordonnance du 17 juin 2004[iv], également visé aux articles L.6148-2 et suivants du Code de la santé publique.

En quelques mots, l’article L.6148-7 précité permet à un établissement public de santé, un organisme visé à l’article L. 124-4 du code de la sécurité sociale gérant des établissements de santé ou une structure de coopération sanitaire dotée de la personnalité morale publique de confier à un cocontractant unique à la fois la conception, la construction, l’aménagement, l’entretien et la maintenance de bâtiments ou d’équipements affectés à l’exercice de ses missions.

Ce contrat est parfois qualifié de « global » en ce qu’il permet de confier à un cocontractant unique des missions normalement dévolues à des entités distinctes que sont le maître d’œuvre et l’entrepreneur.

Cette possibilité offerte à certains acteurs essentiels du domaine de la santé de confier une mission globale à un cocontractant unique constitue l’une des rares dérogations sectorielles aux dispositions de la célèbre Loi « MOP» relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée[v].

En effet, conformément à l’article 7[vi] de la Loi « MOP », si le pouvoir adjudicateur peut confier tout ou partie de la mission de conception du projet à un maître d’œuvre, ce dernier ne peut se voir également confier les travaux d’exécution du projet, qui reviennent alors à l’entrepreneur.

La Loi « MOP » prévoit toutefois une exception à ce principe fondamental en autorisant le pouvoir adjudicateur, dans certaines conditions strictement définies et en raison de motifs clairement énoncés, à confier à un cocontractant unique une mission portant sur la conception du projet et l’exécution des travaux (article 18[vii]).

Cette dérogation a conduit à la « création » de la catégorie particulière des marchés de « conception-réalisation » prévue aux articles 37[viii] et 69 du Code des marchés publics : « Un marché de conception-réalisation est un marché de travaux qui permet au pouvoir adjudicateur de confier à un groupement d’opérateurs économiques ou, pour les seuls ouvrages d’infrastructure, à un seul opérateur économique, une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux.(…) ».

Les avantages considérables présentés par ces contrats « tout en un », ont également abouti à la récente création des contrats de « réalisation/exploitation ou maintenance » dit REM et des contrats de « conception/réalisation/exploitation ou maintenance » dits CREM prévus à l’article 73 du Code des marchés publics.

 

La variété des instruments conventionnels mis à la disposition des maîtres d’ouvrages du secteur sanitaire est donc riche, mais il faut convenir que les conditions de recours à chacun de ces outils sont strictement définies.

Leur point commun réside toutefois dans l’encadrement de leurs procédures de passation.

En effet, compte-tenu des enjeux financiers souvent importants de ces contrats, le choix du cocontractant unique du maître d’ouvrage s’effectuera nécessairement à l’issue d’une procédure de mise en concurrence permettant de sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse.

Ainsi, pour le contrat global prévu par l’article L.6148-7 du Code de la santé publique, ces dispositions précisent que « l’exécution de cette mission résulte d’un marché passé (…) selon les procédures prévues par le code des marchés publics ».

Selon notre compréhension de l’Exposé des motifs du projet de Loi de santé, il serait néanmoins nécessaire que le Gouvernement soit autorisé à intervenir par Ordonnance, afin de préciser s’il est possible de recourir à la procédure de dialogue compétitif prévue par les articles 36[ix] et 67 du Code des marchés publics.

Rappelons ici que la particularité de cette procédure de passation est d’autoriser le pouvoir adjudicateur à échanger avec les candidats admis afin de définir ou de développer une solution de nature à répondre à ses besoins et sur la base de laquelle les participants au dialogue seront invités à remettre une offre, sous la stricte réserve néanmoins d’une réelle complexité objective du projet.

De facto, cette procédure particulière permet d’associer l’entrepreneur chargé de la construction à la phase initiale essentielle de conception du projet, normalement dévolue au maître d’ouvrage seul ou à un maître d’œuvre.

L’article L.6148-7 du Code de la santé publique, en étendant le champ dérogatoire de l’article 18 de la Loi MOP constitue ainsi une exception à l’exception.

Faudrait-il alors comprendre de la référence expresse à l’article 18 de la Loi « MOP », malgré une rédaction pourtant relativement claire, que les pouvoirs adjudicateurs visés par l’article L.6148-7 précité seraient contraints de recourir uniquement à la procédure de passation des marchés de conception-réalisation sans pouvoir bénéficier de la procédure de dialogue compétitif prévue par l’article 36 ?

 

Si nous percevons qu’il puisse effectivement exister un intérêt à prévoir une clarification expresse sur ce point, l’absence de véritable débat doctrinal ou jurisprudentiel ouvert sur cette question nous conduit néanmoins à nous interroger sur l’arbitrage opéré quant au choix du sujet de réflexion traité dans le projet de Loi.

En effet, une consultation rapide des sites de publication d’avis d’appels publics à la concurrence permet de constater que la procédure de dialogue compétitif est régulièrement mise en œuvre en vue de la conclusion de contrats globaux de l’article L.6148-7 du Code de la santé publique.

Au demeurant, le Ministère de la santé et des sports, saisi par le Centre hospitalier de Fontainebleau[x], a déjà eu l’occasion de confirmer, sous l’évidente réserve de l’adéquation du projet et du respect de l’ensemble des conditions de recours au contrat global de l’article L.6148-7 du Code de la santé publique, que celui-ci pouvait être passé selon la procédure de dialogue compétitif, dans le respect des conditions prévues aux articles 36 et 67 du Code des marchés publics propres à cette procédure.

 

Sans négliger l’apport de cette clarification à intervenir, la frustration est évidente.

Dès lors, nous ne pouvons que croire que la question désormais fondamentale de la pérennité des coopérations public/privé existantes au regard de l’interprétation très récemment dégagée par la CJUE quant aux règles de la commande publique fait l’objet d’une réflexion engagée au plus haut niveau, tant l’apport de ces coopérations est essentiel dans la mise en œuvre de la politique de soin et que le silence gardé dans le projet de loi sera bien vite comblé par les fruits de cette réflexion.

 

 

[i]L’EUROPE TORPILLE LES COOPÉRATIONS PUBLIC/PRIVÉ, Laurine JEUNE, Dominique LAROSE et Laurent HOUDART

 

[ii]Article L.6148-7 du Cod de la santé publique : « Par dérogation aux dispositions des articles 7 et 18 de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’oeuvre privée, un établissement public de santé, un organisme visé à l’article L. 124-4 du code de la sécurité sociale gérant des établissements de santé ou une structure de coopération sanitaire dotée de la personnalité morale publique peut confier à une personne ou à un groupement de personnes, de droit public ou privé, une mission portant à la fois sur la conception, la construction, l’aménagement, l’entretien et la maintenance de bâtiments ou d’équipements affectés à l’exercice de ses missions ou sur une combinaison de ces éléments. L’offre des candidats identifie la qualification et la mission de chacun des intervenants en charge d’un ou de plusieurs de ces éléments ; pour la conception, elle fait apparaître la composante architecturale du projet. L’exécution de cette mission résulte d’un marché passé entre l’établissement public de santé, un organisme visé à l’article L. 124-4 du code de la sécurité sociale gérant des établissements de santé ou la structure de coopération sanitaire et la personne ou le groupement de personnes selon les procédures prévues par le code des marchés publics. Si le marché est alloti, les offres portant simultanément sur plusieurs lots peuvent faire l’objet d’un jugement global. Parmi les critères d’attribution, l’établissement public de santé peut faire figurer la part du contrat que le titulaire attribuera à des architectes, des concepteurs, des petites et moyennes entreprises et des artisans ainsi que les modalités de contrôle des engagements pris par le titulaire à cet effet. Le contrat distingue, au sein de son montant global, les parts respectives de l’investissement, du fonctionnement et des coûts financiers.

[iii] Ordonnance n° 2003-850 du 4 septembre 2003 portant simplification de l’organisation et du fonctionnement du système de santé ainsi que des procédures de création d’établissements ou de services sociaux ou médico-sociaux soumis à autorisation

[iv] Ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat

[v] Loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée

 

[vi]Article 7 Loi MOP : « Pour la réalisation d’un ouvrage, la mission de maîtrise d’oeuvre est distincte de celle d’entrepreneur.

Le maître de l’ouvrage peut confier au maître d’oeuvre tout ou partie des éléments de conception et d’assistance suivants :

1° Les études d’esquisse ;

2° Les études d’avant-projets ;

3° Les études de projet ;

4° L’assistance apportée au maître de l’ouvrage pour la passation du contrat de travaux ;

5° Les études d’exécution ou l’examen de la conformité au projet et le visa de celles qui ont été faites par l’entrepreneur ;

6° La direction de l’exécution du contrat de travaux ;

7° L’ordonnancement, le pilotage et la coordination du chantier ;

8° L’assistance apportée au maître de l’ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement.

Toutefois, pour les ouvrages de bâtiment, une mission de base fait l’objet d’un contrat unique. Le contenu de cette mission de base, fixé par catégories d’ouvrages conformément à l’article 10 ci-après, doit permettre :

-au maître d’oeuvre, de réaliser la synthèse architecturale des objectifs et des contraintes du programme, et de s’assurer du respect, lors de l’exécution de l’ouvrage, des études qu’il a effectuées ;

-au maître de l’ouvrage, de s’assurer de la qualité de l’ouvrage et du respect du programme et de procéder à la consultation des entrepreneurs, notamment par lots séparés, et à la désignation du titulaire du contrat de travaux.

 

[vii]Article 18 Loi MOP : «  I-Nonobstant les dispositions du titre II de la présente loi, le maître de l’ouvrage peut confier par contrat à un groupement de personnes de droit privé ou, pour les seuls ouvrages d’infrastructure, à une personne de droit privé, une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux, lorsque des motifs d’ordre technique ou d’engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage. Un décret précise les conditions d’application du présent alinéa en modifiant, en tant que de besoin, pour les personnes publiques régies par le code des marchés publics, les dispositions de ce code.

II-Un décret fixe les conditions dans lesquelles le maître de l’ouvrage peut adapter les dispositions découlant des articles 7, 8, 10 et 11 inclus lorsqu’il confie à des personnes de droit privé des missions portant sur des ouvrages réalisé à titre de recherche, d’essais ou d’expérimentation. »

 

[viii]Article 37 du Code des marchés publics : « Un marché de conception-réalisation est un marché de travaux qui permet au pouvoir adjudicateur de confier à un groupement d’opérateurs économiques ou, pour les seuls ouvrages d’infrastructure, à un seul opérateur économique, une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux.

Les pouvoirs adjudicateurs soumis aux dispositions de la loi du 12 juillet 1985 susmentionnée ne peuvent, en application du I de son article 18, recourir à un marché de conception-réalisation, quel qu’en soit le montant, que si un engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique ou des motifs d’ordre technique rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage.

Les motifs d’ordre technique mentionnés à l’alinéa précédent sont liés à la destination ou à la mise en œuvre technique de l’ouvrage. Sont concernées des opérations dont la finalité majeure est une production dont le processus conditionne la conception, la réalisation et la mise en œuvre ainsi que des opérations dont les caractéristiques, telles que des dimensions exceptionnelles ou des difficultés techniques particulières, exigent de faire appel aux moyens et à la technicité propres des opérateurs économiques. »

 

[ix]Article 36 du Code des marchés publics : « La procédure de dialogue compétitif est une procédure dans laquelle le pouvoir adjudicateur conduit un dialogue avec les candidats admis à y participer en vue de définir ou de développer une ou plusieurs solutions de nature à répondre à ses besoins et sur la base de laquelle ou desquelles les participants au dialogue seront invités à remettre une offre.

Le recours à la procédure de dialogue compétitif est possible lorsqu’un marché public est considéré comme complexe, c’est-à-dire lorsque l’une au moins des conditions suivantes est remplie :

1° Le pouvoir adjudicateur n’est objectivement pas en mesure de définir seul et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ;

2° Le pouvoir adjudicateur n’est objectivement pas en mesure d’établir le montage juridique ou financier d’un projet. »

 

[x] Lettre ministérielle DHOS/F4 du 12 août 2009 relative aux recours à la procédure de dialogue compétitif pour un marché de conception-réalisation-entretien-maintenance NOR : SASH0930879Y, BO Protection sociale – Solidarités n°2009/9 du 15 octobre 2009, page 150