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Les travaux menés par la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale sur la dette hospitalière[i] et les conclusions tirées de ces travaux par la Commission des Affaires Sociales dans le rapport d’information déposé à l’Assemblée nationale[ii] ont révélé l’ampleur du poids de la dette des hôpitaux et des dégâts causés par les emprunts toxiques. 

Ces conclusions ont incité le député Pierre Morange, porté par les co-présidents de la MECSS, à introduire lors de l’examen du projet de loi de santé à l’Assemblée Nationale, une disposition sur l’encadrement des emprunts des établissements publics de santé.  

C’est ainsi qu’on peut lire dans le rapport d’information précité : « Il convenait donc, sans délai et sans attendre les conclusions du présent rapport, d’interdire, pour l’avenir, aux hôpitaux publics de contracter à nouveau de tels emprunts toxiques, en s’inspirant, tout en les rendant plus rigoureuses encore, des règles prévues pour les collectivités territoriales. Il importait notamment d’exclure la possibilité pour les hôpitaux d’emprunter en devises, cette faculté n’ayant pas lieu d’être pour cette catégorie de personnes morales publiques dont la politique de financement doit être particulièrement encadrée.  

Ce dispositif, devenu article 26 bis du projet de loi précité, a été adopté par l’Assemblée nationale sous forme d’un nouvel article L. 6145-16-1 du code de la santé publique, qui interdit les emprunts en devises et impose que les emprunts à taux variables répondent à ces critères de simplicité ou de prévisibilité des clauses financières pour les hôpitaux qui les souscrivent, et renvoie la définition de ses conditions d’application à un décret simple. » 

Cet article[iii] prévoit que les emprunts auxquels ont recours les établissements publics de santé doivent être libellés en euros et que, lorsqu’ils sont à taux variable, la formule d’indexation « doit répondre à des critères de simplicité ou de prévisibilité des charges financières ».  

Présent dans la petite loi adoptée par l’Assemblée Nationale le 14 avril 2015, l’encadrement législatif de l’emprunt des établissements publics de santé vient d’être supprimé à l’initiative des rapporteurs de la Commission des affaires sociales du Sénat sur le projet de loi. 

La raison est simplement exprimée : « L’objet principal de cet article est d’inscrire au sein de la partie législative du code de la santé publique, au sein du chapitre V « organisation financière » du titre IV du livre premier de la sixième partie, des dispositions qui figurent déjà très largement dans la partie réglementaire de ce code. Vos rapporteurs relèvent qu’un tel encadrement des emprunts est donc d’ores et déjà prévu et que, pour rester adaptable, il est préférable qu’il continue de relever du niveau réglementaire ». 

On ne peut qu’adhérer (cf. infra). 

Avant d’évoquer la réglementation applicable, rappelons dans les grandes lignes l’évolution en la matière. 

C’est au cours de l’année 2005[iv] que les emprunts ont été supprimés de la liste des décisions soumises à la délibération du conseil d’administration laissant le directeur de l’hôpital seul compétent pour recourir à l’emprunt. Le Conseil de Surveillance n’est informé qu’en aval. 

Quant au type d’emprunts et instruments financiers auxquels il peut recourir, aucune interdiction n’est prévue pour les emprunts et la circulaire interministérielle CP/D2/DH/AF3/96 n°561 du 12 septembre 1996 laisse une grande latitude s’agissant des instruments de couverture de risque de taux puisqu’elle précise dans son préambule que « la liberté contractuelle de droit commun en vigueur en matière d’emprunts des établissements publics de santé est étendue, mutatis mutandis, aux contrats de couverture de risques financiers qui suivent le même régime juridique ». 

En 2009, la loi « HPST »[v] a de nouveau renforcé les compétences financières du directeur puisque le financement de l’exploitation et des investissements ressort des compétences générales qui lui sont conférées par l’article L. 6143-7 du code de la santé publique.  

Prenant conscience des dommages causés par les emprunts toxiques sur les finances hospitalières, les pouvoirs publics ont exprimé le souhait d’encadrer le recours à l’emprunt des établissements publics de santé[vi]

L’encadrement du recours à l’emprunt des hôpitaux a nécessité une modification du code de la santé publique. L’article 12 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011-2014 a ainsi prévu d’apporter des restrictions aux emprunts des hôpitaux. 

L’article L. 6141-2-1 du code, qui énumère les ressources dont bénéficient les établissements publics de santé, prévoit depuis cette réforme que celles-ci peuvent comprendre des emprunts et avances « dans des limites et sous les réserves fixées par décret ». 

Le décret n°2011-1872 du 14 décembre 2011 pris sur ce fondement a prévu deux séries de mesures : 

– D’une part un régime d’autorisation pour les établissements publics de santé les plus endettés ; 

Le directeur de l’établissement dont les ratios répondent à certains critères définis par ledit décret[vii] doit obtenir l’autorisation du directeur général de l’ARS avant d’avoir recours à l’emprunt. D’après la Cour des comptes, cette procédure n’est pas véritablement contraignante car elle ne s’applique pas à tous les établissements publics de santé, « son champ variant d’une année sur l’autre en fonction de l’évolution des ratios d’endettement, le ratio rapportant la dette à la capacité d’autofinancement connaissant une forte instabilité » ; en outre car la demande adressée à l’ARS porte sur le plafond annuel d’emprunt, et non pas sur les contrats de prêts eux-mêmes, qui demeurent du ressort des directeurs d’hôpitaux. 

– D’autre part, des limitations du recours à l’emprunt bancaire et de l’exposition au risque de taux d’intérêt 

Outre le processus de demande pour certains établissements, ce décret fixe également les caractéristiques des emprunts bancaires et des produits dérivés qui peuvent être souscrits par les hôpitaux publics. Les emprunts à taux variable doivent ainsi remplir des conditions spécifiques en termes de formules d’indexation et d’indices sous-jacents (utilisation d’indices usuels du marché interbancaire ou monétaire de la zone euro, ou indexation sur des taux réglementés du marché monétaire, tels ceux du Livret A), de manière à écarter la souscription de produits structurés, sauf dans le cadre de la désensibilisation d’une dette contractée antérieurement. 

Les contrats financiers doivent pour leur part correspondre à des opérations de couverture des risques financiers, les indices sous-jacents étant les mêmes que ceux autorisés pour les emprunts. Les opérations de type spéculatif sont strictement proscrites.  

Les modalités de mise en œuvre de ce décret ont été précisées par la circulaire interministérielle DGOS/PF1/DB/DGFIP n°2012-195 du 9 mai 2012. 

Ce dispositif tire intelligemment les leçons du passé : il est suffisamment précis, imposant les garde-fous essentiels sans pour autant rendre l’action d’emprunter trop contraignante.

En résumé il règlemente sans tout interdire. 

C’est pourquoi on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt d’une nouvelle modification des textes. 

D’une part car l’encadrement des emprunts des hôpitaux n’est pas du ressort de la Loi, qui est rappelons-le de portée générale ; et que comme l’ont justement soulevé les rapporteurs de la Commission des affaires sociales du Sénat « pour rester adaptable, il est préférable qu’il continue de relever du niveau réglementaire ».

D’autre part, car le fait d’imposer que la formule d’indexation d’un emprunt à taux variable réponde à « des critères de simplicité ou de prévisibilité des charges financières » est dangereux si cette disposition est interprétée trop restrictivement.

Par exemple un emprunt à taux variable (indexé sur un indice usuel du marché) capé répond-il à ces critères ou non ? La réponse n’est pas si évidente. 

On souhaite ainsi que l’Assemblée Nationale ne réintègrera pas le projet initial d’article 26 bis. 

À noter une décision récente de renforcer les programmes de formation des directeurs d’établissements publics de santé dans le domaine financier[viii] concourt efficacement à la maîtrise des risques causés par les emprunts. 

Un directeur formé dans le domaine bancaire et financier sera plus en mesure d’évaluer les avantages, risques et inconvénients des produits qu’un établissement bancaire lui propose.  

L’objectif ultime, à notre sens, est d’égaliser le rapport de force dans les négociations avec les banques. Pour cela, les préconisations du Rapport d’information du 8 juillet 2015 de gérer en commun la trésorerie et l’endettement[ix] donc de mutualiser les compétences, les savoir-faire sont une piste qu’il convient de creuser sérieusement, notamment par le biais des groupements de coopération sanitaire, et peut-être dans le cadre des compétences qui seront transférées au Groupement Hospitalier de Territoire. 

À suivre…

 



[i] Voir en particulier le Rapport de la Cour des comptes La dette des établissements publicsde santé, avril 2014.

[ii] Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la Commission des Affaires Sociales en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur la dette des établissements publics de santé, et présenté par Mme Gisèle BIÉMOURET, Députée.

[iii]Article 26 bis (nouveau)

Le titre IV du livre Ier de la sixième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° À la fin du 6° de l’article L. 6141-2-1, les mots : « fixées par décret » sont remplacés par les mots : « prévues à l’article L. 6145-16-1 » ;

2° Après l’article L. 6145-16, il est inséré un article L. 6145-16-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 6145-16-1. – I. – Les établissements publics de santé et leurs groupements ne peuvent souscrire des emprunts auprès des établissements de crédit que dans les limites et sous les réserves suivantes :

« 1° L’emprunt est libellé en euros ;

« 2° Le taux d’intérêt peut être fixe ou variable ;

« 3° La formule d’indexation des taux variables doit répondre à des critères de simplicité ou de prévisibilité des charges financières des établissements publics de santé et de leurs groupements.

« II. – Un contrat financier adossé à un emprunt auprès d’un établissement de crédit ne peut avoir pour conséquence de déroger au I.

« III. – Un décret fixe les conditions d’application du présent article, notamment :

« 1° Les indices et les écarts d’indices autorisés pour les clauses d’indexation des taux d’intérêt variables mentionnés au 2° du I, ainsi que le taux maximal de variation du taux d’intérêt ;

« 2° Les critères prévus au 3° du I ;

« 3° Les conditions d’application du II. »

ii  Ordonnance du 2 mai 2005 simplifiant le régime juridique des établissements de santé.

iii  Loi du 21 juillet 2009 relative à l’hôpital, aux patients, à la santé et aux territoires (HPST).

[vi] D’autres dispositions seront adoptées pour remédier à l’endettement des hôpitaux :

          en décembre 2012 est mis en place le comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (Copermo) qui est chargé d’examiner les projets d’investissements supérieurs à 50 millions d’euros et de se prononcer sur leur cohérence par rapport à la stratégie nationale d’investissement hospitalier mais aussi sur le recours à l’emprunt et sa soutenabilité.

          L’article 27 de la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 a mis en place une procédure de validation des prévisions de recettes et de dépenses ainsi que du plan global de financement pluriannuel pour les établissements de santé soumis à un plan de redressement. Ce même article prévoit que le rapport annuel présenté par le Gouvernement au Parlement porte également sur la dette des établissements de santé.

[vii] Il s’agit des établissements dont la situation financière présente au moins deux des trois caractéristiques suivantes :

– le ratio d’indépendance financière, qui résulte du rapport entre l’encours de la dette à long terme et les capitaux permanents, excède 50 %

– la durée apparente de la dette, mesurée en rapportant l’encours total à la capacité d’autofinancement, excède dix ans ;

– l’encours de la dette, rapporté au total de ses produits toutes activités confondues, est supérieur à 30 %. 

[viii]APM – Dette des hôpitaux – Les programmes de formation des directeurs ont été renforcés sur les aspects financiers (CNG).

[ix] Page 78 du Rapport précité.