Scroll Top
Partager l'article



*




Ceci est un billet d'humeur, mais pas seulement.

Vous avez souscrit un ou plusieurs emprunts dont le taux est indexé sur la parité Euro-franc suisse :

1-        Regardons les choses en face !
2-        Ne croyons pas aux miracles !
3-        Ne vous battez pas seuls !


1 – Regardons les choses en face !


L'état de votre emprunt est très mauvais et il ne va pas s'arranger de sitôt.

Votre emprunt a probablement été contracté en 2006 ou 2007, voire début 2008, et vous êtes une collectivité territoriale (ou un syndicat de communes) ou un établissement public, par exemple un établissement public de santé.

Vous avez souscrit un emprunt à long terme (15, 20, 25 ans voire plus) et votre banque  vous a fait croire que vous alliez bénéficier d'un taux très compétitif, qui serait fixe et « bonifié » durant ses 3 à 5 premières années, puis le demeurerait pendant les 10 à 25 années suivantes, « sauf si » la parité Euro – franc suisse (« EUR/CHF» i.e. la quantité de franc suisse que l’on peut acheter avec un Euro) devenait inférieure à une parité  seuil fixée au départ de l'emprunt (Ce qui veut dire que l’euro se déprécie par rapport au franc suisse ou, en d'autres termes, que le franc suisse s'apprécie par rapport à l'Euro ; En toute fin de prêt le taux devenait aussi variable en fonction d'un indice du marché monétaire type Eonia ou Euribor).

Cette parité seuil a été fixée aux environs de 1,42/1,45, alors qu'à cette période un Euro s'échangeait contre 1,55 à 1,68 francs suisses. Sur la période 2002-2007 l'euro s'était apprécié en continu de 15 % par rapport au franc suisse et le plus bas historique, correspondant aux attentats du 11 septembre 2001, avait été de 1,443.

Ce seuil semblait ainsi très éloigné du taux de change EUR/CHF historiquement observé, et sans doute avez-vous pensé qu'il était tout à fait improbable que ce seuil soit franchi compte tenu des apaisements fournis par votre banque.

Malheureusement, en matière financière notamment, les évolutions passées ne constituent pas des indications fiables des évolutions futures. A partir de la crise financière de l'automne 2007 un mouvement de hausse du franc suisse s'enclencha. Puis, avec l'aggravation de la crise, ce mouvement s'accéléra à partir de l'automne 2008.

Car, avec la crise, la devise suisse retrouvait son rôle traditionnel de valeur refuge.

La parité seuil de 1,44 fut ainsi franchie à la baisse en mars de l'année 2010.

Mais votre banque ne vous a probablement rien dit sur le moment…..

Pourtant les conséquences de ce saut de barrière de change étaient dignes d'être signalées : le taux d'intérêt de votre prêt devenait variable, et de plus en plus coûteux, au fur et à mesure de la dépréciation de l'Euro par rapport au franc suisse.

Dans cette chute de l'Euro par rapport au franc suisse un point bas, très bas (à 1,04), fut atteint en août 2011. Ce qui, en septembre 2011, obligea la Banque Nationale Suisse à intervenir massivement pour freiner cette hausse de sa monnaie qui menaçait les exportations suisses (vitales pour l'économie de ce pays : elles représentent 35% du PIB) et pour maintenir un cours plancher EUR/CHF de 1,20.

Or, si vous êtes un emprunteur ayant souscrit en 2007 un emprunt de 10 millions d'Euros, remboursable par annuités constantes sur une durée de 25 ans et dont le taux de départ était de 4,50%, vous devez constater qu'en fonction des parités EUR/CHF désormais observables et des formules de calcul du taux les plus usuelles, à savoir :

Taux du prêt = Taux Fixe applicable au dessus du seuil + K% * [(P seuil/ P observée) -1],
pour laquelle:

·        K est un coefficient multiplicateur (que l'on appelle le « levier » de la formule) : généralement 50% ;
·        P observée est la  parité EUR/CHF constatée sur le marché des changes le jour fixé par le contrat pour la comparer à la parité seuil afin de savoir si le taux appliqué sera le taux fixe ou le taux variable, et dans ce dernier cas pour calculer le taux variable applicable en application de la formule ;
·         P seuil est la parité EUR/CHF dont le franchissement à la baisse déclenche l'application du taux variable : souvent 1,44,

le taux et le coût de votre emprunt sont d'ores et déjà très difficilement supportables, et susceptibles de devenir franchement prohibitifs, comme le montre bien le tableau ci-dessous :

Parité EUR/CHFTaux applicableMontant des annuitésCout du prêt (somme des intérêts payés)
1,504,50%
931 138,08 €3 967 071,22 €
1,309,88%
1 305 744,89 €9 586 173,33 €
1,2014,50%
1 668 959,33 €15 034 389,93 €
1,1019,95%
2 134 403,18 €22 016 047,67 €
1,0423,73%
2 474 474,71 €27 117 120,67 €
Delta EUR/CHF 1,5/1,214,50% au lieu de 4,50%Soit 737 821,25 €
par an en plus.Soit 11 067 318,72 €
d'intérêts payés en plus sur la période.

Si la Banque Nationale Suisse maintient durablement la parité EUR/CHF au taux de 1,20, vous devriez donc payer chaque année 737.821 € en plus au titre de cet emprunt (par rapport à ce que vous avaient fait croire ceux qui vous ont conseillé de conclure cette opération de prêt) soit un coût supplémentaire total de 11.067.318,72supérieur de plus d'un million d'Euros au capital emprunté au départ….

Que la Banque Nationale Suisse soit capable de stabiliser la parité EUR/CHF autour du niveau plancher de 1,20, c'est ce que l'on peut espérer.
Elle a démontré en effet sa détermination à le faire. Après avoir baissé au minimum ses taux, elle n'a pas hésité à intervenir massivement sur les marchés pour vendre du franc suisse contre les principales devises (Euro majoritairement) afin de freiner, puis de stopper, la hausse de sa monnaie due à l'afflux de capitaux, en particulier européens, à la recherche d'un abri sûr.

La BNS y est parvenue mais :

–        Le cours plancher que la BNS s'est fixée pour la parité EUR/CHF est bas (la maintenir au dessus de ce niveau aurait été beaucoup trop coûteux) et très en-dessous de la barrière de change des emprunts indexés sur la parité EUR/CHF (1,42 – 1,45),

–        Cela a eu pour effet d'accroître les réserves de change de la Suisse à un niveau jamais vu de 457 milliards de Dollars soit plus de 70 % de son PIB (environ 636 milliards de Dollars US) et de multiplier par 4 le total du bilan de la Banque Nationale Suisse  depuis le début de la crise (il atteint désormais près de 500 milliards de francs). Cela signifie qu'une perte de 10% sur la valeur de cet encours représenterait pour les Suisses une perte équivalente à 7% de leur PIB (D'où la nécessité pour la BNS de chercher à mieux répartir ses réserves pour diminuer le risque de perte. Ce qu'elle a fait dans la période la plus récente en réduisant son exposition à l'Euro (dont la part dans les réserves est passée de 60 à 48% ce qui témoigne aussi de leur confiance dans l'avenir de la monnaie unique…), et en augmentant ses achats de titres en devises autres que l'Euro, en particulier en Livres Sterling, en Couronnes danoises, en Dollars Australiens, et en Won coréens (entre autres), et en achetant davantage d'actions)…

–        Le maintien sur longue période d'une telle politique produit des effets pervers : faire ainsi marcher la planche à billets et maintenir des taux très bas pour décourager l'achat de francs suisses crée à moyen terme un risque de bulle spéculative (L'immobilier est déjà en surchauffe en Suisse : + 4,5% de hausse en moins d'un an) et d'inflation.  

Dans un article du 1er septembre 2012, le journal suisse Le Temps a interrogé différents économistes sur  l'avenir du taux plancher. La plupart d'entre eux pensent que ce taux va être maintenu, sauf accident grave au niveau de la zone Euro qui pousserait le franc suisse vers des niveaux encore plus bas de 1,10, 1, voire 0,90….

Mais aucun n'imagine que la parité EUR/CHF  puisse remonter au-delà de 1,30 – 1,40 et tous ne sont pas absolument convaincus que la BNS puissent indéfiniment résister aux pressions des marchés en défendant le cours plancher actuel.

Certains spécialistes estiment aussi que le franc suisse se rapproche progressivement de sa valeur d'équilibre, notamment en raison de l'inflation qui est plus élevée dans l'Union européenne qu'en Suisse.

La parité de pouvoir d'achat est estimée aux alentours de 1,35 franc suisse par euro, moins que le niveau de 1,4 franc cité l'été dernier avant l'intervention de la BNS et, en juin 2012  Crédit Suisse évaluait cette parité à seulement 1,3 et 1,34 franc suisse par Euro. Cette parité de pouvoir d'achat ne tient toutefois pas compte des effets durables de la crise de l'Euro qui est, chacun le voit bien,  grave et profonde.

Et qui fait que l'Euro ne va s'apprécier ni prochainement, ni rapidement. Dans un contexte de récession de la plupart des économies de la zone Euro (récession entretenue par des politiques publiques pro-cycliques), la Banque Centrale Européenne doit d'une part inonder le marché de liquidités pour que le système bancaire reste fonctionnel, et d'autre part maintenir des taux bas, pour ne pas aggraver la récession. Ces facteurs pèsent et vont peser pendant longtemps sur les cours d'échange de l'Euro.
Autrement dit : le maintien sur une longue durée de la parité de 1,20 est le plus probable,  sauf aggravation brutale de la crise de l'Euro qui pousserait la parité EUR/CHF en dessous de ce niveau (1,10 ?, 1 ?).

Mais il est illusoire d'imaginer aujourd'hui un retour au dessus de la barrière de change des emprunts de 2006 – 2008.  

Bref : Regardons les choses en face!

Au mieux, et pendant de nombreuses années, le taux de votre emprunt continuera d'être calculé en fonction d'une parité EUR/CHF de 1,20.  

Soit, en fonction des différentes formules de calcul, des taux d'emprunt compris entre 12 et 16% par an.


Manlius

A suivre : 2-        Ne croyons pas aux miracles !
                  3-        Ne vous battez pas seuls !