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Article 92 :
Sous l’intitulé « Fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant contracté des produits structurés », l’article 92 de la loi de finances pour 2014 règle trois questions différentes et distinctes.
Le I de l’article 92 crée un nouveau fonds de soutien au profit des collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts structurés. Un fonds du même type avait été institué par la loi de finances rectificative du 29 décembre 2012, mais le dispositif prévu a échoué car, en 2013, aucune collectivité territoriale n’a demandé l’aide de ce fonds dans les délais prévus par la loi (voir en ce sens les évaluations préalables au projet de loi de finances, p. 352, 1.3 1°). Le nouveau fonds de soutien est d’un montant plus important et ses règles de fonctionnement ont été modifiées pour le rendre plus attractif.
Le II de l’article 92 vise à remettre en cause une jurisprudence issue d’un jugement du TGI de Nanterre du 8 février 2013. Dans ce jugement, le Tribunal a considéré qu’un échange de documents préalables entre un établissement de crédit et une collectivité territoriale, en l’occurrence un fax de confirmation du prêt qui présentait toutes les caractéristiques essentielles du prêt, constituait un contrat de prêt et qu’il devait, en conséquence, indiquer son taux effectif global (TEG), en application de l’article L 313-2 du code de la consommation, repris par l’article L 313-4 du code monétaire et financier. En conséquence, le juge a annulé la stipulation de l’intérêt conventionnel en raison du défaut de mention obligatoire du TEG et lui a substitué le taux d’intérêt légal. Le II de l’article 92 vise précisément à neutraliser ce moyen contentieux pour tous les contrats de prêt et les avenants à ces contrats conclus antérieurement
à la loi par un établissement de crédit et une personne morale et qui contiennent certaines informations, énumérées par la loi, sur le prêt. Tous les contentieux en cours portant sur des contrats antérieurs à la loi devront être résolus en application de celle-ci ; les personnes morales ne pouvant plus invoquer l’absence d’indication du TEG sur leur contrat de prêt pour obtenir la substitution du taux légal au taux conventionnel.
Le III entend modifier une règle posée par la voie jurisprudentielle conduisant à sanctionner les erreurs éventuelles dans le calcul du TEG mentionné dans un contrat de prêt par une substitution du taux légal au taux conventionnel (Cass., civ. 1ère, 19 septembre 2007, Société civile immobilière Cassin, n° 06-16964). Il modifie la sanction prévue en maintenant le taux conventionnel, tout en donnant droit à l’emprunteur au versement de la différence entre ce taux et le taux légal appliquée au capital restant dû à chaque échéance. Les erreurs de calcul du TEG seront désormais (la loi étant applicable aux contrats de prêts en cours à la date d’application de la loi) sanctionnées de manière moins sévère qu’en application de la jurisprudence antérieure.
L’article 92 de la loi de finances de 2014 ainsi explicité soulève plusieurs difficultés d’ordre constitutionnel. Les requérants souhaitent attirer l’attention du Conseil sur 4 griefs en particulier.

D’un point de vue formel tout d’abord, le II et le III de l’article 92 n’ont pas leur place dans une loi de finances (1) au regard des prescriptions de l’article 2 de la loi organique n° 2001- 692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Ensuite, sur le plan des conséquences que cette disposition peut avoir sur la liberté de choix des collectivités territoriales, la combinaison des trois paragraphes de l’article 92 porte atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales (2) tel qu’il est garanti par l’article 72 de la Constitution. Sur le plan substantiel enfin, la validation législative opérée par le II de l’article 92 ne répond pas aux exigences posées par le Conseil constitutionnel (3) en cette matière, sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et le II et le III de l’article 92 méconnaissent le principe d’égalité devant la loi (4) consacré par l’article 6 de la même Déclaration (4).
1. Le II et le III de l’article 92 n’ont pas leur place dans une loi de finances (art. 2 LOLF) :
Le II et le III de l’article 92 ont l’un et l’autre pour objet soit de valider des contrats de prêts et les avenants à ces contrats qui n’ont pas mentionné le TEG, soit de modifier la sanction consécutive à la mention par un contrat de prêt d’un TEG erroné, telle qu’elle avait été antérieurement posée par la jurisprudence, et visent les rapports entre les établissements de crédit et les personnes morales.
A l’évidence, dans ces paragraphes, il n’est donc pas question « des ressources et les charges de l’Etat [qui] comprennent les ressources et les charges budgétaires ainsi que les ressources et les charges de trésorerie » au sens de l’article 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
Les requérants font donc valoir que les II et III de l’article 92 sont étrangers au domaine des lois de finances et encourent, en conséquence, une censure de votre Conseil.
Ce caractère étranger est manifeste. Le Conseil constitutionnel a eu à connaître d’une validation législative d’offres de prêts ayant méconnu les dispositions relatives à l’échéancier des amortissements prévues par le 2° de l’article L. 312-8 du code de la consommation. Cette validation était contenue dans une loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, non pas dans une loi de finances. Or, le Conseil constitutionnel n’a pas relevé qu’une disposition de ce type n’avait pas sa place dans une loi ordinaire et qu’elle devait en conséquence figurer dans une loi de finances (n° 96-375 DC, 9 avril 1996). En effet, « si la loi organique interdit l’introduction de dispositions étrangères aux lois de finances, inversement, elle contraint le législateur à ne faire figurer que dans une loi de finances les dispositions financières de l’Etat » (L. Favoreu, L. Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, Grands arrêts, 17ème édition, 2013, p. 260, § 11 et les illustrations jurisprudentielles citées). Autrement dit, si les dispositions législatives relatives à des validations d’offre de prêts devaient figurer dans une loi de finances, le Conseil constitutionnel aurait sanctionné les dispositions de loi contestées dans la décision du 9 avril 1996. Ne le faisant pas, il a implicitement mais nécessairement considéré que de telles dispositions étaient étrangères au domaine des lois de finances.
Il est vrai que le Conseil constitutionnel admet que « les éléments indivisibles d’un dispositif d’ensemble visant à satisfaire un besoin de financement de l’État » (n° 95-371 DC, 29 décembre 1995) peuvent figurer dans la loi de finances, en raison de leur lien avec d’autres dispositions qui, quant à elles, ont leur place dans ce texte. En l’espèce, les II et III de l’article 92 sont divisibles du I, ils forment deux blocs distincts qui auraient pu être intégrés dans deuxlois différentes, et ne s’inscrivent en aucun cas dans un « dispositif d’ensemble visant à satisfaire un besoin de financement de l’État ».
Toutes ces considérations plaident en faveur du caractère étranger au domaine des lois de finances des I et II de l’article 92.
2. La combinaison des trois paragraphes de l’article 92 porte atteinte à la libre administration des collectivités territoriales (art. 72 C.)
L’équilibre général du dispositif résultant des trois paragraphes de l’article 92, et surtout des deux premiers, conduit à imposer aux collectivités territoriales de recourir au fonds de soutien et donc, à transiger au préalable avec l’établissement de crédit (al. 4 du I 1° de l’article 92), en leur empêchant (c’est l’objet du II), de soulever en justice le moyen tiré du défaut de précision du TEG dans le contrat de prêt. Les collectivités territoriales doivent donc demander de l’aide à l’Etat par l’intermédiaire du fonds ; elles ne peuvent plus obtenir le passage du taux conventionnel au taux légal devant le juge en raison de l’absence de référence au TEG dans le contrat de prêt.
Autrement dit, toute collectivité territoriale qui aurait conclu avant la loi un contrat de prêt, n’indiquant pas le TEG ne serait plus désormais en mesure de bénéficier du passage au taux légal devant le juge ; elle ne pourra plus compter sur une aide financière de la part de l’Etat par l’intermédiaire d’un fonds. Ces collectivités n’ont donc plus le choix des moyens leur permettant de faire face aux charges consécutives aux emprunts structurés.
Si le législateur pouvait instituer un fonds et maintenir la possibilité pour les collectivités territoriales de soulever en justice le moyen tiré de l’absence de mention dans le contrat de prêt du TEG, il ne pouvait, sans porter atteinte à la libre administration des collectivités territoriales, l’obliger à avoir recours au fonds. La libre administration des collectivités territoriales doit leur permettre de pouvoir disposer de recours juridictionnels effectifs leur garantissant le respect de leurs droits et de leurs devoirs. Le II de l’article 92 les prive du droit au recours juridictionnel en leur imposant d’utiliser un dispositif faisant appel à un fonds de soutien pour compenser les difficultés financières consécutives à un emprunt structuré. La volonté du législateur est d’ailleurs claire en ce sens. Alors que le fonds de soutien créé par la loi de finances rectificative de 2012 prévoyait déjà un fonds auprès duquel aucune collectivité territoriale n’avait demandé d’aide (voir supra), le moyen le plus efficace d’y avoir recours consistait à leur imposer de se tourner vers le fonds, en les empêchant de recourir au juge, tout en assouplissant, à titre de compensation, les règles de fonctionnement du fonds et en augmentant son montant. La validation législative enlève encore un argument de poids, à
savoir une jurisprudence qui leur était favorable, dont pouvaient se prévaloir les collectivités territoriales pour renégocier l’emprunt structuré contracté avec les banques. Avec l’article 92 de la loi, le fonds devient en conséquence la seule voie possible pour les collectivités territoriales pour compenser les difficultés financières consécutives à la souscription d’emprunts structurés. Enfin, l’obligation de recourir au fonds tend à stigmatiser les collectivités territoriales auprès des établissements de crédit dans la mesure où ce recours peut être lu comme un signe de fragilité financière.
Un tel dispositif affecte par ailleurs l’autonomie financière des collectivités territoriales, reconnue par l’article 72-2 de la Constitution, dans la mesure où le passage par le fonds ne constitue qu’une aide pour les collectivités territoriales alors que le passage devant le juge au taux légal contribuait à réduire le montant du prêt. Par ailleurs, l’aide apportée par le fonds nesaurait en tout état de cause couvrir le bénéfice financier que les collectivités territoriales auraient obtenu grâce au passage du taux conventionnel au taux légal.
Il apparait aux requérants que l’équilibre général résultant des trois paragraphes de l’article 92 de la loi de finances pour 2014 porte ainsi atteinte au principe de libre administration descollectivités territoriales.
3. La validation législative opérée par le II de l’article 92 ne respecte pas les exigences posées par le Conseil constitutionnel (art. 16 DDHC)
La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux validations législatives s’appuie sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Cette jurisprudence s’est construite de manière progressive dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori, sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Le considérant de principe, tel que l’on peut le retrouver dans une décision récente du 11 décembre 2008, Loi de financement pour la sécurité sociale (n° 2008-571 DC), est le suivant :
« 10. Considérant (…) qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : ” Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ” ;
11. Considérant en conséquence que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition de poursuivre un but d’intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; qu’en outre, l’acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d’intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu’enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie »
Selon les termes de cette jurisprudence, une validation législative doit répondre au respect de cinq exigences pour pouvoir être reconnue comme conforme à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :
– elle doit respecter les décisions de justice ayant force de chose jugée (a) ;
– elle doit respecter le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions (b) ;
– l’acte validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d’intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle (c) ;
– la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie (d) ;
– elle doit répondre à un intérêt général suffisant (e).
C’est en vertu de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’apprécier la conformité à la Constitution du II de l’article 92. Si certaines conditions ne prêtent pas à discussion, il en est d’autres dont le respect est discutable.
Au titre des premières, le respect des décisions de justice passées en force de chose jugée (a) est expressément mentionné par le II de l’article 92 de la loi. La question de la nonrétroactivité (b) ne se pose pas car il n’est question en l’espèce ni de peine ni de sanction.
Enfin, l’acte validé, à savoir le contrat de prêt, ne méconnait aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle (c).
En revanche, la question du respect des deux dernières conditions se pose en l’espèce. Après une lecture rapide, l’on peut considérer que le fait de viser des contrats de prêt qui indiquent de façon conjointe un certain nombre d’informations (1° le montant ou le mode de détermination des échéances de remboursement du prêt en principal et intérêts ; 2° la périodicité de ces échéances ; 3° le nombre de ces échéances ou la durée du prêt) tend à limiter la portée de la validation (d) aux seuls contrats de prêt visés par le jugement du TGI de Nanterre, auxquels la disposition législative entend précisément faire échec. En effet, ce que le TGI avait reconnu comme contrat de prêt était un fax de confirmation qui contenait « toutes les caractéristiques essentielles du prêt consenti, notamment son montant, sa durée, les dates d’échéances, le tableau d’amortissement, le taux d’intérêt applicable dans ses trois phases et les modalités de remboursement anticipé ». La validation serait ainsi précisément circonscrite à la situation jurisprudentielle à laquelle il s’agit de faire échec.
Néanmoins, la portée de la validation est beaucoup plus large que le litige dont était saisi le TGI de Nanterre. Ce ne sont pas seulement les contrats de prêt conclus entre les établissements de crédit et les collectivités territoriales qui font l’objet d’une validation, cadre du litige dans lequel s’est prononcé le TGI de Nanterre, mais les contrats de prêt conclus entre ces établissements et toutes les personnes morales quelles qu’elles soient. Cette extension du domaine d’application de la validation au-delà des seules collectivités territoriales à toutes les personnes morales est d’autant plus problématique qu’elle n’est aucunement justifiée, contrairement à ce qu’il en est pour les premières, par un quelconque intérêt public. L’extension de la validation est ainsi sans rapport avec l’objet de la disposition législative qui vise, selon son intitulé général, à créer un « fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant contracté des produits structurés ». La charge que fait peser sur les collectivités territoriales la validation législative, tirée de ce qu’elles ne pourront plus bénéficier du passage au taux légal devant le juge, est étendue à toutes les personnes morales. Les bénéficiaires de cette validation ne sauraient être seulement les finances publiques mais également les finances des établissements de crédit.
De plus, ce sont tous les prêts, et non pas seulement les prêts structurés, qui sont validés par la disposition législative. Là encore, l’on peine à identifier l’objectif poursuivi à l’origine par le législateur face à l’ampleur de la validation : qu’il s’agisse des personnes visées, toutes les personnes morales, ou des contrats de prêt concernés par la validation, tous les contrats et non pas seulement les contrats relatifs à des emprunts structurés.
Dans le prolongement, l’examen attentif du dispositif au regard des différents travaux parlementaires ne permet pas d’identifier un intérêt général suffisant (e) justifiant la validation.
Si l’on sait que l’intérêt financier ne saurait à lui seul constituer un motif justifiant une validation législative (voir par exemple : n° 95-369 DC, 28 décembre 1995, cons. 35), les considérations financières avancées à l’appui de la validation sont loin d’être claires. L’intérêt financier de l’Etat est invoqué dans la mesure où celui-ci détient des parts dans lesétablissements de crédit bénéficiant de la validation, même si ce ne sont pas seulement ces établissements qui sont visés par la validation. Le chiffrage avancé par les évaluations préalables du projet de loi de finances est de 15 milliards d’euros, incluant les prêts pouvant faire l’objet d’une assignation, soit pour défaut de mention de TEG (II de l’art. 60 de la loi), soit pour stipulation erronée de ce taux (III de l’art. 60) (Evaluations préalables, p. 352).
Parallèlement, le montant du fonds de soutien financé par l’Etat et par les banques est de 100 millions d’euros pour une durée maximale de 15 ans, soit 1,5 milliard d’euros maximum, qui viendraient ainsi s’ajouter en partie aux charges de l’Etat.
L’intérêt financier des collectivités territoriales n’est en aucun cas invoqué et le risque de transfert de charges de l’Etat vers les collectivités territoriales est patent. Si l’Etat perd 15 milliards d’euros, et ce à hauteur de sa participation dans les établissements de crédit concernés, le montant des pertes de ces établissements est forcément plus élevé. Il correspond en réalité au montant de ce que les collectivités territoriales auraient gagné à contester efficacement devant le juge les contrats de prêts ne mentionnant pas le taux de TEG ou l’indiquant de manière erronée en obtenant le passage du taux conventionnel au taux légal. La perte pour les collectivités territoriales du fait de la validation serait donc plus élevée que les 15 milliards d’euros, étant entendu que ce qu’elles peuvent gagner grâce au fonds de soutien est plafonné à 1,5 milliards d’euros maximum sur 15 ans. S’il y avait un intérêt financier pertinent, lequel devrait primer entre celui de l’Etat, et celui des collectivités territoriales ? A moins qu’il ne s’agisse de celui des établissements de crédit. Doit-on y voir un intérêt général suffisant ?
Certes, il existe un autre motif invoqué à l’appui de l’intérêt général, mais qui apparaît seulement comme un épouvantail : les risques financiers majeurs pour les établissements bancaires (Evaluations préalables, p. 354) et le risque de déstabilisation du marché de prêt aux
collectivités territoriales. S’il est vrai que le Conseil constitutionnel a pu admettre une validation législative d’offres de contrats de prêt par laquelle « le législateur a entendu éviter un développement des contentieux d’une ampleur telle qu’il aurait entraîné des risques considérables pour l’équilibre financier du système bancaire dans son ensemble et, partant, pour l’activité économique générale » (n°96-375 DC, cons. 11, cette jurisprudence est cependant intervenue alors que le Conseil constitutionnel n’exigeait du législateur que la poursuite d’un « intérêt général » et non pas, comme aujourd’hui un « intérêt général suffisant »), encore faut-il que la véracité du risque avancé repose sur des éléments objectifs.
Aucun des deux risques avancés ne repose sur des éléments objectifs et ils apparaissent même comme relevant de l’erreur manifeste d’appréciation alors qu’un seul établissement bancaire est principalement concerné par les risques contentieux liés à l’absence de mention du TEG ou à une indication erronée de ce taux. En outre, les risques pesant sur les collectivités territoriales et consécutifs à la validation sont entièrement passés sous silence. Ces collectivités perdent une chance de voir leurs dettes réduites, par un passage du taux conventionnel au taux légal, en raison d’erreurs des établissements de crédit. Plus que l’Etat, ce sont sans aucun doute ces établissements de crédit qui sont bénéficiaires de la validation, d’autant plus que cette validation ne concerne pas seulement les collectivités territoriales, mais toutes les personnes morales ainsi que tous les emprunts, et non pas seulement les emprunts structurés. L’intérêt des établissements de crédit, a fortiori, d’un seul établissement de crédit, ne saurait constituer un intérêt général suffisant au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.Cette lecture mettant en évidence l’absence d’intérêt général suffisant mérite d’être mise en parallèle avec la lecture qu’en a fait la Cour européenne des droits de l’homme dans des circonstances proches dans un arrêt du 14 février 2006, Lecarpentier et autres c. France, (req. n° 67847/01), arrêt qui est intervenu à propos d’une validation que le Conseil constitutionnel avait lui-même jugé conforme à la Constitution dans la décision déjà évoquée du 9 avril 1996, Loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier (n° 96-375 DC). Cet arrêt permet ainsi de mettre en évidence de manière comparée les lectures du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’appréciation de la justification d’une même validation législative.
D’une manière générale, il convient de rappeler que la Cour européenne peut connaître des validations législatives de deux manières : soit au titre de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et du droit à un tribunal, la régularité de la loi de validation étant subordonnée au caractère non définitif des instances visées par la validation, à la proportionnalité de l’atteinte au droit d’accès à un tribunal et à l’existence d’un « motif d’intérêt général impérieux » (C.E.D.H., 28 octobre 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France, req. n° 24846/94 34165/96 34166/96, § 57 et s.) ; soit au titre de l’article 1er du Protocole 1er à la Convention, une validation législative pouvant être considérée comme affectant un bien, à savoir une espérance légitime des justiciables à obtenir une indemnisation en application d’une jurisprudence déterminée. Dans cette dernière situation, la validation est régulière si elle est prévue par la loi et si elle est établie pour cause d’utilité publique. C’est dans ce second contexte qu’intervient l’arrêt de 2006. En l’espèce, l’utilité publique invoquée par le gouvernement à l’appui de la validation était précisément la sauvegarde de « l’équilibre financier du système bancaire, afin de ne pas mettre en péril l’activité économique en général » (§ 46 de l’arrêt de la Cour), qui avait été considéré comme un intérêt général par votre Conseil, avant que ce dernier n’exige de manière plus restrictive un « intérêt général suffisant ».
Face à cette justification, la Cour rappelle « qu’en principe un motif financier ne permet pas à lui seul de justifier » une validation législative (§ 47) avant d’apprécier de manière objective les éléments factuels apportés à l’appui du risque financier avancé. Elle juge ainsi que : « dans les faits de l’espèce, aucun élément ne vient étayer l’argument selon lequel l’impact aurait été d’une telle importance que l’équilibre du secteur bancaire et l’activité économique en général auraient été mis en péril. (…)
Outre l’absence d’évaluation crédible du coût virtuel des procédures en cours et futures, lesquelles n’ont pas davantage été recensées, force est de constater que la question ne concernait que certaines banques, à savoir celles qui n’avaient pas respecté l’obligation prévue par l’article L. 312-8 du code de la consommation. Par ailleurs, lesdites banques n’étaient pas directement exposées à un paiement de dommages-intérêts ou de pénalités, mais principalement à un remboursement de sommes préalablement perçues de leurs clients. De fait, si les bénéfices des établissements concernés auraient pu souffrir de l’absence de la loi, il n’est pas établi que leur survie et, a fortiori, l’équilibre général de l’économie nationale, auraient été menacés » (§ 47).Après un tel constat, la Cour reconnaitra la violation par la loi française de validation de la convention, malgré l’appréciation du Conseil constitutionnel qui conduit à la reconnaissance d’un intérêt général à cette validation.
Ainsi, la Cour ne se satisfait pas de la seule invocation du risque financier. Elle recherche des éléments objectifs le justifiant, sans pour autant se substituer au législateur. Le risque financier ne saurait être purement incantatoire. Cette lecture est précisément celle qui est suggérée au Conseil constitutionnel par les requérants à propos de l’article 92 de la présente loi de finances pour 2014, dans des circonstances où aucun élément objectif déterminant n’est avancé pour apprécier la réalité du risque financier. Ce contrôle visant à apprécier l’existence d’éléments objectifs à l’appui de l’invocation du risque financier semble d’autant plus s’imposer que, si le Conseil constitutionnel ne le faisait pas, la Cour européenne des droits de l’homme le ferait à sa place. De même que le juge constitutionnel a fait évoluer sa jurisprudence de l’exigence de l’« intérêt général » à celle de l’« intérêt général suffisant », il semble qu’il doive faire de même en constatant l’existence ou l’absence d’éléments objectifs à l’appui du motif invoqué pour justifier une validation législative. Il ne s’agira pas pour autant de substituer son appréciation à celle du législateur, car seuls les éléments factuels objectifs permettant d’apprécier la situation doivent être avancés, sans que le juge n’apprécie s’ils sont fondés ou s’ils ne le sont pas. Le législateur doit démontrer le risque et non pas se contenter de le soulever.
Les requérants font donc valoir que, en l’espèce, la validation législative à laquelle procède le II de l’article 92 de la loi de finances pour 2014 est donc irrégulière en ce que sa portée n’est pas strictement définie et qu’elle ne répond pas à un intérêt général suffisant.
4. Le II et le III de l’article 92 méconnaissent le principe d’égalité devant la loi (art. 6 DDHC)
En dernier lieu, les requérants souhaitent attirer l’attention du Conseil sur le fait que le II et le III de l’article 92 méconnaissent le principe d’égalité tel qu’il est garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Selon une formulation éprouvée, le Conseil constitutionnel considère que : « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit » (no 89-254 DC, 4 juillet 1989, cons. 18).
Les différenciations établies par la loi sont admises si elles visent à régir des situations différentes ou si elles sont justifiées par un motif d’intérêt général, à condition, dans l’un et l’autre cas, que cette différenciation soit en rapport avec l’objet de la loi. Or, c’est cette dernière condition qui semble d’emblée poser difficulté avec les II et III de l’article 92 de la loi de finances pour 2014. En effet, l’objet de l’article 92 de la loi est de venir en aide aux collectivités territoriales qui ont contracté des emprunts structurés, les validations législatives étant adoptées de manière coordonnée avec cet objectif. Pourtant, les II et III de l’article 92 ne s’appliquent pas seulement aux collectivités territoriales mais à l’ensemble des personnes morales et aux emprunts structurés comme à tous les emprunts. La loi dépasse son objet premier par son étendue et, tout en dépassant son objet, elle ne va pas jusqu’à intégrer lespersonnes physiques qui auraient contracté un emprunt dans lequel le TEG n’aurait pas été indiqué ou aurait été mentionné de manière erronée. La loi distingue donc entre les personnes physiques, pour lesquelles la contestation en justice est toujours possible, et les personnes morales, qui font l’objet de la validation. Cette distinction aurait pu être justifiée au regard de l’objet de la loi, si seules les collectivités territoriales avaient été visées par la validation. A partir du moment où ce sont toutes les personnes morales qui font l’objet d’un traitement particulier par rapport aux personnes physiques, cette différenciation n’est pas en rapport avec l’objet de la loi.
Dans le prolongement, s’il existe une différence de situation entre les collectivités territoriales et les autres personnes morales, ce n’est pas la distinction qu’opère la loi parce que, précisément, elle les envisage de la même manière et ne procède ainsi qu’à une différenciation entre personnes morales et personnes physiques qui, on vient le voir, est sans rapport avec l’objet de la loi. Concernant l’existence d’un intérêt général à la différenciation, celui-ci ne saurait exister que si le législateur avait distingué au sein des personnes morales entre les collectivités territoriales et les autres. La distinction proposée entre les personnes morales et les personnes physiques ne repose en l’espèce pas sur l’intérêt général, pas plus qu’il ne répond à l’objet de la loi.
Au surplus, selon les requérants, le législateur a méconnu le principe d’égalité devant la loi au
motif que seules les collectivités territoriales sont éligibles au fonds de soutien prévu par le I de l’article ainsi déféré11 lors même que la validation législative prévue par le II ainsi que la modification de la sanction consécutive à la mention par un contrat de prêt d’un TEG erroné prévue au III s’appliquent à l’ensemble des personnes morales. A titre d’exemple, les établissements publics de santé, les sociétés civiles immobilières, les organismes de logement social et les maisons de retraite publiques en sont exclus.Le lien entre le fonds instauré par le I et les mesures de validation prévues au II et au III est d’ailleurs renforcé par le fait que le I impose une contrepartie rigoureuse aux collectivités sollicitant l’aide du fonds.
En effet, il prévoit que le bénéfice de l’aide au titre d’un contrat de prêt souscrit auprès d’un établissement de crédit est subordonné à la conclusion d’une transaction, au sens de l’article 2044 du code civil, portant sur les contrats de prêt pour lesquels l’aide du fonds est sollicitée.
Ainsi, une collectivité sollicitant une subvention pour un emprunt structuré devra, pour bénéficier de l’aide, renoncer à contester devant les juridictions civiles les contrats de prêt, dès lors qu’ils entrent dans les catégories prises en charge par le fonds.
Les requérants font donc valoir que les II et III de l’article 92 de la loi de finances pour 2014 méconnaissent ainsi le principe d’égalité, puisque la différenciation opérée entre les personnes physiques et les personnes morales ne repose sur aucune justification d’intérêt général et demeure sans rapport avec l’objet de la loi et que l’ensemble des personnes morales visées au II et au III ne pourront se prévaloir de l’éligibilité au fonds instauré au I, fonds dont il est pourtant la contrepartie.
En conséquence, il appartient au Conseil constitutionnel de prononcer l’inconstitutionnalité de l’article 92 de la Constitution, soit dans son ensemble (2), soit dans ses II et III (1) (4), soit dans son I.