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L’approximation et les généralités sur des sujets aussi complexes que le harcèlement moral sont à bannir. Car, oui, le harcèlement moral est un sujet complexe qui conduit à aborder le droit, le management, l’affect pour ne pas dire la psychologie des acteurs d’une situation présentée comme relevant d’un harcèlement moral.

Mon associé Pierre Yves FOURE a écrit un bel article intitulé « Harcèlement moral et directeur d’hôpital bashing, ça suffit ! ». Cette injonction faisait écho à une tendance regrettable qui consiste à confondre le harcèlement moral avec une multitude de situations impliquant des conflits interpersonnels lesquels sont, quantitativement, sans lien avec le directeur d’hôpital ou la direction de l’hôpital dans son ensemble. C’est notamment particulièrement vrai pour « les affaires » ou « dossiers » de harcèlement moral concernant les personnels médicaux.

C’est quoi le harcèlement moral ?

Les textes législatifs traitant du harcèlement moral, que ce soit dans le secteur privé (L.1152-2 du code du travail) ou dans le secteur public (loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires), définissent le harcèlement moral de la même manière ; c’est la réitération de fait ou de propos dans le temps qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du travailleur, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

La difficulté avec une telle définition c’est la fixation d’un curseur. A partir de quand nous basculons dans une situation de harcèlement moral ?

L’exercice est d’autant plus difficile que chaque personne a un rapport au travail différent, influencé en cela par son parcours professionnel, son éducation, ses convictions politiques ; le sujet est d’autant plus délicat que la définition juridique est exclusive de toute intention.

Toujours en droit, la seule juridiction qui adopte une position pragmatique est le Conseil d’Etat. Pour le harcèlement moral descendant, quantitativement le plus évoqué dans les dossiers contentieux, la haute juridiction administrative considère que le harcèlement moral correspond à ce qui excède l’exercice normal des fonctions du supérieur hiérarchique.

– confer – Conseil d’Etat 30 décembre 2011 n°332366 :

« Considérant que pour annuler l’arrêté du 24 juillet 2007 par lequel le maire de la COMMUNE DE SAINT-PERAY a placé M. A en congé longue durée, à mi traitement, à compter du 3 avril 2007 et jusqu’au 27 juin 2007, le tribunal administratif de Lyon a jugé, d’une part, que M. A devait être regardé comme ayant été victime de faits constitutifs de harcèlement moral et d’autre part, sans avoir eu recours à une expertise médicale, que son affection était imputable au service ; que la COMMUNE DE SAINT-PERAY se pourvoit régulièrement contre ce jugement ; Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : ” Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ” ; que pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ; que dès lors qu’elle n’excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l’intérêt du service, en raison d’une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n’est pas constitutive de harcèlement moral ; »

Si on ajoute à cela que le Conseil d’Etat juge qu’il faut prendre en compte tout à la fois le comportement de l’agent qui est supposé être l’auteur du harcèlement moral et le comportement de l’agent qui se dit victime de ce même harcèlement moral, nous disposons ici d’une grille de lecture du harcèlement moral qui permet de compenser une définition retenue par le législateur pour le moins critiquable.

C’est la raison pour laquelle lorsqu’une association de praticiens dresse une carte du harcèlement moral dont seraient victimes des praticiens hospitaliers au sein des établissements publics de santé, comme on dresse une carte de l’épidémie de grippe, c’est de l’approximation, et c’est une approximation dangereuse car elle permet l’amalgame entre des situations très diverses.

Dans le même registre, la publication d’un ouvrage collectant des témoignages de praticiens dénonçant une situation de harcèlement est critiquable.

Par définition, le procédé est unilatéral et ne permet donc pas l’objectivation de la situation décrite.

Quelle attitude l’auteur de la dénonciation va-t-il adopté dans la relation professionnelle décrite comme source de harcèlement moral ? Quels éléments de la vie personnelle de tel ou telle sont passées sous silence alors qu’ils sont pour partie ou totalement à l’origine du problème ? Pourquoi n’est-il pas fait mention des mesures prises par la direction de l’hôpital pour remédier à telle ou telle situation ? La décision du chef de Pôle ou du supérieur hiérarchique correspond-t-elle à l’exercice normal de ses fonctions ? Telle décision présentée comme arbitraire n’a-t-elle pas été prise en considération de l’intérêt du service ?

Au-delà de ces quelques questions de base que chacun devrait se poser, il ne faut pas oublier que pour ce qui concerne les praticiens hospitaliers des établissements publics de santé, le directeur d’hôpital est bien démuni pour régler des situations de conflits. Si la Loi précise qu’il a autorité sur l’ensemble du personnel[i], cette autorité ne va pas jusqu’au pouvoir de nomination et encore moins jusqu’au pouvoir disciplinaire. Ces derniers ne sont pas confiés à l’employeur, soit le directeur de l’hôpital, mais à un établissement public indépendant, le Centre National de Gestion (CNG).

Dès lors, à part rechercher une médiation externe, le directeur d’hôpital est ici fort dépourvu et lorsque je parle de médiation, je vise ici une vraie médiation. Je renvoie ici le lecteur à un article de mon associé Claude Evin paru dans Le Monde et sur notre blog.

L’accusation et l’amalgame entre de multiples situations est aisée, ce n’est pas ainsi que nous lutterons efficacement contre des situations de harcèlement moral.

Une chose est certaine, la séparation entre la qualité d’employeur et du pouvoir disciplinaire ainsi que du pouvoir de nomination atteint ici ses limites.

Imaginez un seul instant qu’un chef d’entreprise ne soit pas compétent pour choisir ses salariés, qu’il ne puisse prendre aucune mesure disciplinaire à leur encontre et encore moins les licencier lorsqu’ils dysfonctionnent. Imaginez également que ces pouvoirs relèveraient d’un tiers. Imaginez qu’un jour, comme dans toute communauté de travail, un salarié dysfonctionne gravement causant une situation de conflit au sein de l’entreprise. Le bon sens et l’intérêt de l’entreprise, lequel se confond ici avec l’intérêt de la communauté de travail, commande alors que l’employeur prenne toute mesure pour y mettre fin.

Et bien il ne pourra rien faire et il ne pourra que constater la dégradation de la situation.

A l’hôpital, pour ce qui concerne les praticiens hospitaliers, le harcèlement moral découle parfois de l’impossibilité de pouvoir prendre une décision pour régler un conflit entre deux médecins et force est de constater que le directeur de l’établissement n’y est strictement pour rien.

Le juriste averti vous rétorquera qu’il suffit de saisir l’autorité titulaire du pouvoir de nomination pour que celui-ci prenne les mesures adéquates. Reste que dans les faits, cette saisine aboutie à une impasse pour de multiples raisons qu’il ne convient pas de développer ici.

[i] L.6143-7 du code de la santé publique

Guillaume CHAMPENOIS est associé et responsable du pôle social – ressources humaines au sein du Cabinet.

Il bénéficie de plus de 16 années d’expérience dans les activités de conseil et de représentation en justice en droit de la fonction publique et droit du statut des praticiens hospitaliers.

Expert reconnu et formateur sur les problématiques de gestion et de conduite du CHSCT à l’hôpital, il conseille les directeurs d’hôpitaux au quotidien sur l’ensemble des problématiques statutaires, juridiques et de management auxquels ses clients sont confrontés chaque jour.

Il intervient également en droit du travail auprès d’employeurs de droit privé (fusion acquisition, transfert d’activité, conseil juridique sur des opérations complexes, gestion des situations de crise, contentieux sur l’ensemble des problématiques sociales auxquelles sont confrontés les employeurs tant individuelles que collectives).