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Le système mis en place pour favoriser l’indemnisation rapide des victimes contaminées par le VIH est-il réellement satisfaisant ?
Un récent arrêt de la Cour de cassation me laisse penser le contraire.
En l’espèce, M. O, hémophile depuis l’enfance, contaminé par le VIH, a été indemnisé par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles entre 1994 et 1998.
En 2000, il se marie, et de cette union naîtront deux filles. C’est à la naissance de leur première fille en 2002, que le VIH est diagnostiqué chez Mme O. et sa fille aînée.
Les consorts O ont alors sollicité, auprès de l’ONIAM, l’indemnisation des préjudices spécifiques de Mme O et de sa fille aînée, et celle des troubles dans les conditions d’existence de chacun des membres de la famille.
L’ONIAM a présenté une offre d’indemnisation, après avis de la commission d’indemnisation. Les victimes ont accepté les offres de l’ONIAM au titre des préjudices spécifiques, mais ont contesté celles relatives aux troubles dans les conditions d’existence.
Ils ont donc saisi la Cour d’appel de Paris, conformément à l’article L.3122-3 du code de la santé publique.
Devant la Cour d’appel de Paris, l’ONIAM a maintenu ses offres d’indemnisation à l’égard de Mme O et de sa fille aînée, mais a dénié toute offre d’indemnisation à l’attention de M. O, retenant une faute de la victime à l’origine de son préjudice.
Les consorts O ont contesté la position de l’ONIAM, considérant que la procédure organisée par l’article L.3122-5 du code de la santé publique ne permettait pas à l’ONIAM de retirer une offre faite pendant le temps transactionnel de la procédure. Selon eux, cette offre, prise sur avis de la commission d’indemnisation à laquelle l’ONIAM est liée, valait reconnaissance de l’existence du préjudice de M. O. En conséquence, l’ONIAM devait, selon eux, maintenir devant la Cour d’appel l’offre faite lors de la phase transactionnelle.
La Cour d’appel de Paris a donné raison aux consorts O.
Censurant les juges du fond, la Cour de cassation décide, au visa de l’article L.3122-5 du code de la santé publique, que « le refus de l’offre, par la victime, la rend caduque, de sorte que l’ONIAM s’en trouve délié », et partant il appartient à la cour d’appel « de statuer tant sur l’existence que sur l’étendue des droits du demandeur ».
Pour la Cour de cassation, c’est donc retour à la case départ !
Faisons un point procédural. Si l’ONIAM fait une offre d’indemnisation, la victime dispose de deux options :
– ou elle accepte cette offre : alors « L’acceptation de l’offre de l’office par la victime vaut transaction au sens de l’article 2044 du code civil », au terme de l’article L.3122-3, alinéa 3 du code de la santé publique. La transaction met fin à l’indemnisation et la victime perd tout droit à recours;
– ou elle refuse cette offre : il n’y a donc pas transaction et elle peut dès lors saisir la Cour d’appel de Paris de sa demande d’indemnisation.
Contrairement à la Cour d’appel, la Cour de cassation privilégie donc l’application du droit des contrats et fonde son raisonnement sur le refus opposé par la victime, élément essentiel du débat.
En effet, la transaction est un contrat, et un contrat se forme par l’émission d’une offre suivie d’une acceptation. A défaut d’acceptation, l’offre est caduque et ne produit aucun effet juridique.
C’est en ce sens que se prononce la Cour de cassation qui considère que le refus de la victime délie l’ONIAM de l’offre émise lors de la phase transactionnelle.
En conséquence, les juges du fond ne sont pas seulement juges du quantum de l’indemnisation, mais également juges de l’existence du droit à réparation.
Si le raisonnement de la Cour de cassation ne peut être que salué par les puristes ou les amoureux du droit des contrats, plusieurs interrogations demeurent.
Tout d’abord, je trouve regrettable que l’ONIAM dont l’offre d’indemnisation amiable est strictement encadrée, puisse faire table rase du passé et dénier toute offre d’indemnisation alors que la commission d’indemnisation aurait soutenu la position contraire. Certes, l’autonomie des procédures amiable et contentieuse confirme ce positionnement, mais comment expliquer aux victimes un éventuel revirement ?
Ensuite, que faut-il réellement entendre par la notion “d’offre” ?
En l’espèce, la Cour de cassation rappelle que “ils ont accepté les offres que l’ONIAM leur a adressées au titre des préjudices spécifiques mais ont contesté celles relatives aux troubles dans les conditions d’existence”.
Mais, dans son attendu de principe, la Cour de cassation fait référence au “refus de l’offre” !
L’emploi du singulier tend à considérer la notion d’offre comme étant une offre globale couvrant l’ensemble des préjudices indemnisables.
Néanmoins, cette petite imprécision entre le rappel des faits et l’attendu de principe me laisse à penser que l’on pourrait toujours contester la notion d’offre retenue par la Cour de cassation… Encore faudrait-il que la victime ait accepté explicitement l’offre émise sur les postes non litigieux…
La victime devra donc réfléchir plutôt deux fois qu’une avant de refuser l’offre faite par l’ONIAM. Peut-on ainsi vraiment affirmer que le système mis en place par le législateur est favorable à une indemnisation juste et rapide des victimes ?
Le présent arrêt tend plutôt à démontrer que les victimes sont placées devant un choix cornélien : Mieux vaut-il accepter l’offre qui peut être considérée comme une indemnisation « au rabais » ou s’engager dans un long procès, psychologiquement difficile et coûteux, au risque de tout perdre ?