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Acte I : PUI et coopération

   

 « Tout ce qui peut estre faict un autre jour, le peut estre aujourd’hui »

(« Tout ce qui peut être fait un autre jour, le peut être aujourd’hui. »)

Montaigne

Les Essais – Livre I Chapitre XX

 

 

Le projet de loi relatif à la santé annonce en sa toute fin des « mesures de simplification et d’harmonisation » qui seront prises par ordonnances dans des délais de douze à vingt-quatre mois, suivant la promulgation de la loi. 

 

Nous reviendrons sur cette méthode de recours aux ordonnances dans un article dédié. Le renvoi à une ordonnance de certaines thématiques laisse en effet dubitatif voire perplexe compte-tenu du fait qu’une modification immédiate serait facilement envisageable et surtout permettrait de débloquer un bon nombre de projets en cours.

 

Quoi qu’il en soit, nous entendons également  traiter sur le fond les thématiques qui devront attendre une ordonnance pour espérer, nous dit-on, une clarification ou une évolution.

 

Nous commencerons ici avec la question de la pharmacie à usage intérieur (PUI) dans le cadre de coopérations initiées entre établissements de santé.

 

Plusieurs ordonnances en la matière sont annoncées par le projet de loi :

 

  • Une ordonnance qui interviendra dans un délai d’un an suivant la promulgation de la loi afin de prendre les mesures d’amélioration des outils de coopération entre établissements de santé ou professionnels de santé qui auraient notamment pour objet d’autoriserles GCS exploitant une PUI à vendre des médicaments au public (article L. 5126-4 du code de la santé publique). On relèvera à toute fin utile que rien n’est dit sur les GCSMS qui peuvent également gérer une PUI. Mais, il semble que cette même ordonnance rapprochera les deux outils GCS et GCSMS.

 

  • Une ordonnance qui interviendra dans un délai de douze mois suivant la promulgation de la loi afin de prendre les mesures d’amélioration et de simplification du système de santé qui viseraient à harmoniser le régime des autorisation de PUI tout en facilitant la coopération entre celles-ci.

 

PUI et coopération forment une association qui se heurte dans sa mise en œuvre à des dispositions soit trop restrictives soit trop imprécises. Malgré l’existence d’un grand nombre de règles !

Et ces dispositions bloquent aujourd’hui nombre de projets de coopération d’envergure…

Certes, il ressort du projet de loi que cette problématique est clairement identifiée par les pouvoirs publics mais ce n’est pas suffisant.

L’attente d’ordonnances pour apporter des solutions – qui plus est dans des délais aussi longs – ne fait que freiner voire bloquer davantage des projets dont la mise en œuvre se justifie aujourd’hui et cela, alors même qu’une réponse législative simple pourrait parfaitement être intégrée dans le projet de loi.

 De quoi s’agit-il ?

 

  1. 1 – Le GCS gestionnaire d’une PUI pour le compte de ses membres 

 

On rappellera qu’un GCS est autorisé à gérer une PUI en application des dispositions de l’article[1] L. 5126-1 du code de la santé publique.

 

L’ambiguïté des textes est notable en matière de PUI ce qui laisse la place à l’interprétation.

 

Les dispositions législatives en vigueur créent notamment une incertitude quant au périmètre des missions d’un GCS PUI.

 

  1. La vente de médicaments au public

 

Par exemple, l’article L. 5126-4 du code de la santé publique prévoit que le ministre chargé de la santé arrête la liste des médicaments que « certains établissements de santé, disposant d’une pharmacie à usage intérieur, sont autorisés à vendre au public, au détail ». 

 

Le fait de ne pas viser expressément le GCS gestionnaire PUI peut laisser penser qu’il n’existe pas de corrélation parfaite entre les missions assurées par un établissement de santé disposant de sa propre PUI et celles prévues pour un GCS gestionnaire d’une PUI.

 

Nous considérons pour notre part que le GCS peut être autorisé à assurer les mêmes missions que celles de ses membres. En effet, même si le Groupement dispose de la personnalité morale ce qui lui permet de faire tous les actes de la vie civile et d’être titulaire de l’autorisation de PUI, ce n’est jamais de manière indépendante. Il agit toujours au nom et pour le compte de ses membres C’est ici l’illustration parfaite de la théorie du mandat de l’article 1984 du code civil, de « la gestion pour le compte de ».  A ce titre, le Groupement peut assurer les mêmes missions que ses mandats pourvues qu’elles lui aient été expressément confiées.

 

Cependant, les pouvoirs publics privilégient la prudence en prévoyant l’élaboration d’une ordonnance pour clarifier ce point.

 

Il est vrai que la vente de médicaments au public est un sujet sensible qui intéresse au plus près les officines de ville.

Mais, autoriser expressément les GCS PUI à vendre au public des médicaments au détail dans les mêmes conditions que celles applicables à ses membres n’aurait pas pour conséquence de créer un nouveau dispositif venant concurrencer les officines de ville. Pour quelles raisons devrait-on alors attendre une ordonnance pour confirmer clairement qu’un GCS PUI peut vendre des médicaments au public ?

 

  1. L’obligation de renoncer à disposer de sa propre PUI

 

Mais la difficulté majeure des GCS PUI n’est pas d’origine législative. Elle réside dans les dispositions réglementaires qui imposent aux établissements membres d’un tel groupement, de renoncer à disposer en propre d’une PUI[2].

 

Cette renonciation est imposée par l’article R. 5126-4 du code de la santé publique qui dispose : « Les pharmacies à usage intérieur […] des groupements de coopération sanitaire desservent les différents sites géographiques des établissements membres […] »

 

Ces dispositions peuvent apparaitre comme peu claires mais il est considéré qu’elles interdisent aux établissements de santé membres d’un GCS PUI de conserver leur PUI.

 

La future ordonnance apportera-t-elle une dérogation sur ce point ?

 

Rien ne permet de l’affirmer. Il semble plutôt que l’ordonnance n’aura que pour objet d’assurer explicitement au GCS PUI un périmètre de missions identiques à celles des établissements de santé membres.

 

Là encore, une solution immédiate permettant aux établissements de conserver dans certaines conditions leur PUI apparaît pourtant plus que nécessaire. En particulier pour les projets où la PUI ne constitue pas l’objet premier de la coopération mais un service indispensable au fonctionnement de la coopération envisagée.

 

On relèvera qu’à ce jour les dispositions créant cette difficulté sont réglementaires et pourraient donc être modifiées par décret.

 

  1. 2- Les projets de coopération impliquant la thématique PUI sans qu’elle n’en constitue l’objet principal 

 

Nombre sont les établissements de santé publics ou privés qui souhaitent :

 

  • soit exploiter en commun une activité de soins,
  • soit regrouper une ou plusieurs de leurs activités sanitaires dans des locaux communs.

 

Dans le premier cas de figure, la voie du GCS érigé en établissement de santé constitue aujourd’hui la seule solution permettant l’exploitation d’activité de soins en commun (par exemple : constitution d’un GCS pour mutualiser la cardiologie interventionnelle ou encore la chirurgie carcinologique).

 

Or, cet outil peut parfois apparaitre disproportionné au regard du périmètre envisagé.

 

De surcroît, le GCS érigé en établissement de santé pose systématiquement la question de la PUI : le GCS doit-il disposer de sa propre PUI ou peut-on recourir à la PUI de l’un des membres ? Cette deuxième solution serait bien plus simple.

 

Dans le deuxième cas, il s’agirait de mutualiser des lits dans des locaux communs – généralement ceux de l’un des partenaires – tout en conservant des filières de prise en charge distinctes. Chaque établissement conserve ainsi l’exploitation de son activité.

Le bon sens supposerait un recours à la PUI de l’établissement accueillant la ou les activités communes.

 

Cependant, les dispositions en vigueur sont extrêmement restrictives :

 

L’intérêt que peut revêtir le recours à la PUI d’un établissement pour répondre soit aux besoins du GCS érigé en établissement de santé dont il est membre (premier cas), soit aux besoins de son partenaire en cas de partage de lits dans des locaux communs (deuxième cas), se heurte aux dispositions de l’article L. 5126-1 du code de la santé publique qui dispose : « L’activité des pharmacies à usage intérieur est limitée à l’usage particulier des  malades dans les établissements de santé ou médico-sociaux où elles ont été constituées […] ».

 

  Certes des dérogations sont prévues mais en dehors du cas des établissements de santé délivrant des soins à domicile[3], elles sont très limitées :

 

  • la PUI d’un établissement peut ainsi dispenser des gaz médicaux dans le cadre de GCS de moyens dont l’établissement est membre et ayant pour objet la gestion de blocs opératoires[4]

 

  • le Directeur Général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut à titre exceptionnel autoriser une PUI à distribuer des produits, substances ou médicaments faisant l’objet de recherches biomédicales à d’autres PUI d’établissement de santé où la recherche est réalisée (article L. 5126-1 du code de la santé publique alinéa 3).

 

  • En l’absence d’autre source d’approvisionnement pour un médicament ou un produit déterminé, le Directeur Général de l’ARS peut autoriser, pour une durée limitée, un établissement public de santé  ou un établissement de santé privé assurant une ou plusieurs missions public à approvisionner d’autres pharmacies à usage intérieur (article L. 5126-1 du code de la santé publique alinéa 1). 

 

  • Sur autorisation du Directeur Général de l’ARS « délivrée pour une durée déterminée après avis de l’inspection compétente et au vu d’une convention qui fixe les engagements des parties contractantes » (article L. 5126-3 du code de la santé publique), il est également possible que :

 – la PUI d’un établissement assure tout ou partie de la stérilisation de dispositifs médicaux pour le compte d’un autre établissement (article L. 5126-2 du code de la santé publique alinéa 7),

 – la PUI d’un établissement de santé délivre à d’autres établissements des préparations magistrales, des préparations hospitalières ainsi que des spécialités pharmaceutiques reconstituées.

 

Ces dérogations ne couvrent que des cas très particuliers.

 

A ce jour, il est donc impossible que la PUI d’un établissement approvisionne en médicaments un autre établissement avec lequel il entend pourtant instituer une coopération. 

Aucune solution légale satisfaisante ne permet de répondre aux attentes des établissements dans les deux cas de figure dont nous sommes régulièrement saisis.

Le pharmacien inspecteur régional de l’ARS est généralement sollicité pour trouver une solution et accorder une dérogation nécessairement extralégale. Mais on peut légitimement comprendre qu’une telle dérogation qui engage la responsabilité des pharmaciens, est souvent difficile à obtenir.

 

Quelles solutions juridiques reste-t-il alors pour les deux cas de figure pré-cités ?

 

Dans le cadre d’un GCS érigé en établissement de santé, les seules options juridiquement possibles sont :

 

  • soit la constitution d’une PUI propre répondant aux seuls besoins de l’établissement géré par le GCS (il faut donc créer une nouvelle PUI),
  • soit le recours partiel à la PUI de l’un des membres pour les seules préparations magistrales, préparations hospitalières et spécialités pharmaceutiques reconstituées ; et pour le reste des médicaments, le recours aux pharmacies d’officine s’impose[5].

 

Mais ces solutions alourdissent le montage et génèrent des coûts plus élevés que si le recours à la PUI d’un établissement membre avait été possible.

 

Pour les coopérations impliquant une mutualisation de lits, l’établissement « locataire » des locaux ne pouvant recourir à la PUI de l’établissement « accueillant », n’a d’autre choix que de recourir à sa propre PUI. Si cette dernière est, comme c’est souvent le cas, éloignée géographiquement, cela engendre un surcoût évident (transports, investissements pour les équipements, délais…etc.)

 

Ce mécanisme se caractérise par son absence de pragmatisme. 

 

Au final, il serait bienvenu d’instituer une dérogation légale autorisant la PUI d’un établissement à approvisionner un autre établissement pour répondre à la l’ensemble de ses besoins.

 

Plus particulièrement, il s’agirait d’ajouter à l’article L. 5126-2 du code de la santé publique deux dérogations supplémentaires qui pourraient être formulées ainsi :

 

« Un établissement de santé disposant d’une pharmacie à usage intérieur peut approvisionner en médicaments un autre établissement de santé avec lequel il partage un plateau technique ou des locaux sous réserve que ce dernier dispose également d’une pharmacie à usage intérieur. »  

 

« Un établissement de santé disposant d’une pharmacie à usage intérieur peut approvisionner et délivrer des médicaments auprès d’un autre établissement de santé géré  par un groupement de coopération sanitaire dont il est membre et ne disposant pas d’une pharmacie à usage intérieur. »  

 

Les conditions de ces dérogations seraient ainsi parfaitement encadrées (projets de mutualisation de lits, GCS établissement de santé) de manière à clarifier le régime de responsabilité et surtout à ne pas concurrencer les officines de ville.

 

Car c’est à ce double niveau que se situe en réalité la difficulté pour instituer une telle dérogation.

 

 

[1] Article L. 5126-1 du code de la santé publique : « Les établissements de santé et les établissements médico-sociaux dans lesquels sont traités des malades, les groupements de coopération sanitaire, les groupements de coopération sociale et médico-sociale, les hôpitaux des armées, les installations de chirurgie esthétique […] ainsi que les organismes, établissements et services […] peuvent disposer d’une ou plusieurs pharmacies à usage intérieur dans les conditions prévues au présents chapitre ».

 

[2] Sauf pour assurer l’activité de stérilisation, activité optionnelle des PUI

Article R. 5126-5 du code de la santé publique : « Par dérogation aux articles R. 5126-2 et R. 5126-3, il peut être implanté une pharmacie à usage intérieur en tout lieu dépendant d’un établissement ou d’un groupement mentionné à l’article R. 5126-2 en vue, exclusivement : […] 2° D’assurer la stérilisation des dispositifs médicaux »

 

[3] Article L. 5126-2 du code de la santé publique alinéa 6 « Les pharmacies à usage intérieur peuvent approvisionner en médicaments réservés à l’usage hospitalier les établissements de santé délivrant des soins à domicile ne disposant pas de pharmacie à usage intérieur. »

 

[4] Article R. 5126-111 du code de la santé publique :

« Les dispositions de la présente section sont applicables :

1° Aux établissements de santé ;

2° Aux établissements de chirurgie esthétique ;

3° Aux établissements médico-sociaux mentionnés à l’article R. 5126-1 ;

4° Aux groupements de coopération sanitaire autorisés, en vertu de l’article L. 6133-7, à assurer les missions d’un établissement de santé ou, en ce qui concerne la détention et la dispensation des gaz à usage médical, aux groupements qui gèrent des blocs opératoires pour le compte de leurs membres. »

 

Article R. 5126-112 du code de la santé publique :

« Les produits pharmaceutiques détenus en application de l’article L. 5126-6, autres que les médicaments réservés à l’usage hospitalier, sont fournis aux établissements mentionnés à l’article R. 5126-111 soit par une pharmacie d’officine sur commande écrite du médecin attaché à l’établissement, soit par la pharmacie d’officine dont le titulaire a passé convention avec l’établissement à cette fin.

Les médicaments détenus en application de l’article L. 5126-6 et réservés à l’usage hospitalier sont fournis aux établissements mentionnés à l’article R. 5126-111 autres que les établissements médico-sociaux par une entreprise pharmaceutique en application du 8° de l’article R. 5124-45, sur commande écrite du médecin ou du pharmacien précités.

Les établissements mentionnés à l’article R. 5126-111 peuvent se procurer des spécialités pharmaceutiques reconstituées ainsi que des préparations magistrales ou hospitalières auprès d’une pharmacie à usage intérieur ou d’un établissement pharmaceutique mentionné à l’article L. 5124-9, autorisés à cet effet dans les conditions respectivement prévues aux articles R. 5126-20 et R. 5124-69.

Les établissements de santé délivrant des soins à domicile peuvent également se procurer des médicaments réservés à l’usage hospitalier auprès d’une pharmacie à usage intérieur.

Une convention précise les modalités d’approvisionnement des médicaments réservés à l’usage hospitalier qui doivent permettre de garantir la continuité et la sécurité de cet approvisionnement.

Dans les groupements de coopération sanitaire, les produits pharmaceutiques mentionnés aux précédents alinéas [en l’espèce, il ne peut donc s’agir que des gaz médicaux] peuvent être détenus et dispensés sous la responsabilité d’un pharmacien chargé de la gérance de l’une des pharmacies à usage intérieur des établissements membres. […] »

 

[5] Article R. 5126-112 du code de la santé publique

« Les produits pharmaceutiques détenus en application de l’article L. 5126-6, autres que les médicaments réservés à l’usage hospitalier, sont fournis aux établissements mentionnés à l’article R. 5126-111 soit par une pharmacie d’officine sur commande écrite du médecin attaché à l’établissement, soit par la pharmacie d’officine dont le titulaire a passé convention avec l’établissement à cette fin. »