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On se rappelle peut-être la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés, due à Esquirol et Ferrus, qui reconnaissait enfin des droits à ces derniers : « cette loi sera reçue avec reconnaissance par tous les vrais amis de l’humanité ; elle remplit une lacune importante dans notre législation administrative ; considérée dans son but et dans ses effets, elle doit être une garantie tout à la fois pour la liberté individuelle et pour la sûreté publique ; elle tend à ménager aussi l’honneur des familles, et à favoriser l’application des meilleurs moyens curatifs pour la plus triste des infirmités » (Circulaire du 23 juillet 1938 relative à la loi du 30 juin). On savait rédiger à l’époque !

Elle n’en était pas moins une loi sécuritaire permettant de reléguer à la campagne, dans le grand enfermement, « toute personne interdite, ou non interdite, dont l’état d’aliénation compromettrait l’ordre public ou la sûreté des personnes ».

Les normes de 1956 (la fameuse annexe XXIII du Décret N°56-284 du 9 mars 1956) restaient imprégnées de cet état d’esprit aliéniste : Ah, l’effet bénéfique du grand air et de la verdure ! Il fallait donc un grand parc ! Et où trouve-t-on de grands parcs ? A la campagne, loin des centres-villes ! Pas de risque de croiser un fou à la sortie de sa villa ou de son immeuble cossu !

« "Toute maison de santé pour maladies mentales doit être isolée par un espace vert suffisant.

La superficie d’ensemble de l’établissement doit être au moins de un hectare pour cinquante malades et calculée à raison de un demi-hectare pour cinquante lits en ce qui concerne le terrain d’assiette de la construction, les jardins et les parcs effectivement mis à la disposition des malades devant comporter également une superficie minima de un demi-hectare pour cinquante malades."

Toute maison de santé pour maladies mentales doit être largement ensoleillée, protégée des vents dominants, convenablement orientée ; son aspect extérieur ne doit présenter aucun caractère carcéral ».

« Isolée par un espace vert suffisant » ! Loin des yeux et des oreilles  des gens normaux, les fous !

Malgré les nouvelles conceptions de la psychiatrie, voire de l’anti-psychiatrie, malgré la lutte anti-asilaire, malgré la circulaire du 15 mars 1960 relative au programme d’organisation et d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales, malgré la loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leur conditions d’hospitalisation, les normes de 1956 n’avaient pas été modifiées jusqu’à ce jour pour les cliniques privées accueillant des personnes atteintes de troubles mentaux.

Et le pouvoir règlementaire avait raté le coche lors de la codification faussement à droit constant (Décret n°2005-840 du 20 juillet 2005).

Voilà qui est enfin réparé avec le décret n° 2011-405 du 14 avril 2011 relatif aux maisons de santé pour personnes atteintes de troubles mentaux.

Désormais, ces personnes pourront revenir en centre-ville, les normes étant plus conformes avec les contraintes actuelles en matière d’urbanisme : « La superficie de l’établissement doit être calculée à raison d’au moins un demi-hectare pour cinquante lits en ce qui concerne le terrain d’assiette de la construction.
« Des espaces extérieurs compris dans le périmètre de l’établissement sont mis à la disposition des malades. »  

Voilà qui ne va pas faire plaisir à Madame Michu qui craint pour sa tranquillité et qui va continuer à déférer les permis de construire pour des raisons écologiques (vous avez vu la grosse mouche aux yeux vert, elle est pas protégée ? Vous êtes sûrs ?), archéologiques (j’ai trouvé un bout de tuile en ratissant mon gravier !) ou de sauvegarde des sites remarquables (ma véranda, elle est Art Déco, de la grande époque !).

Maintenant, que Madame Michu ne se désespère pas trop vite ! La logique comptable qui préside désormais à la gestion des établissements de santé aura très certainement les mêmes vertus que la loi de 1838 en renvoyant, en raison de la pression immobilière et de la spéculation, les fous sur le plateau de Millevaches. Là-bas le terrain est beaucoup moins cher !

Dommage qu’il y ait encore une planification sanitaire !