Scroll Top
Partager l'article



*




Par un arrêt du 7 janvier 2015, n°371991, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de faire application des dispositions de l’article L1224-1 du Code du travail, parfois méconnues des pouvoirs adjudicateurs :

 

« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. »

 

Cet article s’inscrit dans la lignée d’une législation protectrice des salariés, et destinée à garantir la continuité de leur contrat de travail, même en cas de modification de la situation juridique de l’employeur.

 

Anciennement codifié sous les dispositions des articles L122-12 et suivants du Code du travail, le régime protecteur dégagé est désormais codifié aux articles L1224-1 et suivants du même code.

 

Dans le même esprit que l’article L1224-1 précité, l’article L. 1224-3 du même code prévoit ainsi une mesure de protection identique en cas de reprise d’activité par une personne publique :

 

« Lorsque l’activité d’une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette entité, reprise par une personne publique dans le cadre d’un service public administratif, il appartient à cette personne publique de proposer à ces salariés un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires. (…

 

Pour l’application de ces dispositions, la jurisprudence s’attache à la démonstration de l’existence « d’un transfert par un employeur à un autre employeur d’une entité économique autonome, conservant son identité, et dont l’activité est poursuivie et reprise par le nouvel employeur », ainsi que le rappelle le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 7 janvier 2015.

 

L’obligation de reprise précitée réside donc dans la qualification de transfert d’une « entité économique autonome».

 

En l’absence de toute définition légale ou règlementaire de cette notion, le Juge national reprend de façon constante la définition proposée par la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE, 2 décembre 1999, Aff. C-234/98, G.C. Allen et a. c/ Amalgamated Construction Co. Ltd, point 39 ; Cass., Soc., 12 Décembre 2013, pourvoi N° 12-20.081 ):

 

« Vu l’article L. 1224-1 du code du travail ;

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’après avoir procédé en juin 2005, à l’externalisation vers la société Compass de ses services propreté, accueil, standard, restauration et maintenance, la Clinique de Bagatelle a repris en 2008 la gestion des services accueil et standard et a confié l’activité nettoyage à la Société française de gestion hospitalière -Hôpital service-, aux droits de laquelle vient la société Elior services propreté et santé ; que les salariés repris dans le cadre de cette activité ont contesté les conditions du transfert de leur contrat de travail ;

 

Attendu que ce texte, interprété à la lumière de la Directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, s’applique en cas de transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise ; que constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre ; que le transfert d’une telle entité se réalise si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l’exploitation de l’entité sont repris, directement ou indirectement, par un nouvel exploitant ; »

 

Dans le domaine des marchés publics, la Cour de cassation précise ainsi (Cass. Soc., 19 novembre 2008, n° de pourvoi: 07-42455 07-42456):

 

« Mais attendu que si la perte d’un marché n’entraîne pas, en elle-même, l’application de l’article L. 122-12, alinéa 2, devenu L. 1224-1 du code du travail, il en va autrement lorsque l’exécution d’un marché de prestation de services par un nouveau titulaire s’accompagne du transfert d’une entité économique autonome constituée d’un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre, dont l’identité est maintenue ; qu’ayant constaté, d’une part, que l’exploitation des dosimètres effectuée pour le compte du CEA relevait au sein de la société Transports Angeleri d’un ensemble organisé de personnes spécialisées dans cette activité et de moyens techniques spécifiques nécessaires à son exercice mis à la disposition du prestataire par le CEA, d’autre part, que ces moyens d’exploitation indispensables à la poursuite de l’activité avaient été repris par le nouveau titulaire du marché, la cour d’appel a pu en déduire le transfert d’une entité économique autonome ; »

 

Le Juge administratif a toutefois eu l’occasion de considérer qu’en l’absence de transfert des éléments d’exploitation, la personne publique reprenant l’activité litigieuse ne pouvait être regardée comme ayant repris l’activité d’une entité économique autonome, écartant ainsi l’application de l’article L1224-3 du Code du Travail (CAA DOUAI, 21 février 2013, n°11DA00936).

 

Il importe donc d’examiner, cas par cas, la situation particulière des conditions d’exécution du marché confié au prestataire sortant pour déterminer si la reprise envisagée par la personne publique ou la passation d’un nouveau contrat emporte transfert d’une entité économique au sens des dispositions précitées.

 

Dans l’hypothèse du lancement d’un nouveau marché, l’obligation faite au pouvoir adjudicateur de garantir l’égalité des candidats devra le rendre ensuite particulièrement vigilant quant aux informations données (CE, 6 juin 1997, n°129437 ; CE, 13 mars 1998, n°165238) :

 

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et notamment d’une lettre de la commune de Salon-de-Provence du 15 juin 1992 que, malgré des demandes renouvelées, la société “TRANSPORTS GALIERO” n’a pu avoir communication des informations qu’elle sollicitait sur le kilométrage du réseau et sur la masse salariale des personnels à reprendre en application des dispositions du code du travail ; qu’ainsi tous les candidats n’ont pas été mis à même de prendre connaissance des éléments essentiels de la convention leur permettant d’apprécier les charges du cocontractant et d’élaborer une offre satisfaisante ; que, par suite, dans les circonstances de l’espèce, la société “TRANSPORTS GALIERO” est fondée à soutenir que le principe d’égalité entre les candidats a été méconnu ; »

 

En outre, une contrainte supplémentaire pèsera sur le pouvoir adjudicateur, lequel ne peut fournir d’information de nature à porter atteinte aux droits des salariés concernés ou au secret des affaires (Commission d’Accès aux Documents Administratifs, Avis n°20064843, 11 janvier 2007, Mairie de NICE) :

 

« (…)

Les informations devant figurer dans le cahier des charges du marché doivent tout à la fois assurer une information exacte des candidats pour leur permettre d’élaborer une offre satisfaisante sans porter atteinte au secret en matière industrielle et commerciale, notamment protégé par le II de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, mais aussi garantir une mise en concurrence réelle des entreprises. S’agissant plus particulièrement des caractéristiques de l’exécution actuelle du marché en terme de personnel, la commission considère traditionnellement que des données détaillées sur ce point (noms et qualification des agents en charge de l’exécution) sont couvertes par le secret en matière industrielle et commerciale et ne sont, comme telles, pas communicables à des tiers. Cette analyse doit cependant être réexaminée lorsqu’en application d’un texte – code du travail ou convention collective – le candidat retenu devra reprendre tout ou partie du personnel du précédent prestataire. La commission estime qu’en pareil cas, la commune doit indiquer le nombre d’agents et la masse salariale correspondante, à l’exception de toute mention nominative ou plus détaillée. »

 

Enfin, l’éclairage apporté par une Réponse ministérielle relativement récente conduit à penser que le pouvoir adjudicateur qui remet en concurrence un marché n’est en droit de solliciter auprès du titulaire sortant que les seules informations qu’il pourra délivrer aux candidats, c’est-à-dire le nombre de salariés faisant l’objet de la reprise et la masse salariale correspondante. (Question écrite n° 03711 de M. Jean Louis Masson (Moselle – NI) publiée dans le JO Sénat du 13/12/2012 – page 2893 et Réponse du Ministère de l’intérieur publiée dans le JO Sénat du 31/10/2013 – page 3167).

           

Les acheteurs publics en passe de renouveler un marché public ou envisageant de reprendre une activité alors exécutée par un prestataire extérieur doivent donc être particulièrement vigilants quant à cette obligation de reprise des contrats de travail, lourde de conséquences financières et organisationnelles tant pour le futur attributaire que pour la personne publique qui envisage la reprise d’activité.