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On se souvient que le Conseil d’Etat, par sa décision largement commentée et publiée au recueil Lebon N° 329100 du 10 février 2010, avait annulé le décret du 19 décembre 2008 relatif au relèvement de certains seuils du code des marchés publics, en tant qu’il relevait de 4 000 à 20 000 € le seuil applicable aux marchés passés selon la procédure adaptée (article 28 du CMP), à compter du 1er mai 2010.

Or, le 18 octobre 2011, l’Assemblée nationale a adopté la nouvelle proposition de loi de simplification (on n’arrête pas de simplifier …en complexifiant et opacifiant) dans laquelle figure désormais la proposition, issue d’un amendement, de relever de 4000 € à 15 000 € le seuil  en deçà duquel il ne serait pas nécessaire de lancer une procédure et d’effectuer une publicité (article 88 de la proposition de loi).

Bien que cette proposition semble faire consensus (Que de paperasse inutile, de perte de temps et de surcoûts tant pour l’acheteur public que pour les prestataires …pour une concurrence souvent de pure façade !), il est fort probable qu’elle ne voit jamais le jour ou que sa durée de vie ne soit rapidement abrégée.

En effet, elle repose sur une double erreur juridique.

Une méconnaissance de la répartition des compétences

Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises y compris dans la période récente : le code des marchés publics, y compris les dispositions en matière de seuils, relève de la compétence non du Parlement mais du Premier Ministre en vertu du décret du 12 novembre 1938 :"Considérant qu’aux termes de l’article unique de la loi du 5 octobre 1938 tendant à accorder au gouvernement les pouvoirs pour réaliser le redressement immédiat de la situation économique et financière du pays : Le gouvernement est autorisé, jusqu’au 15 novembre 1938, à prendre, par décrets délibérés et approuvés en conseil des ministres, les mesures destinées à réaliser le redressement immédiat de la situation économique et financière du pays. Ces décrets, qui auront force de loi, seront soumis à la ratification des Chambres avant le 1er janvier 1939 ; qu’aux termes de l’article 1er du décret du 12 novembre 1938 portant extension de la réglementation en vigueur pour les marchés de l’Etat aux marchés des collectivités locales et des établissements publics, pris sur le fondement de cette habilitation et avant sa date d’expiration : Les dispositions des textes législatifs et réglementaires relatives à la passation et à l’exécution des marchés de l’Etat peuvent être étendues, par règlements d’administration publique, contresignés par les ministres intéressés et le ministre des finances, et sous réserve des ajustements nécessaires, aux départements, aux communes et aux établissements publics relevant de l’Etat, des départements et des communes ; que, par ce décret, le gouvernement a pu légalement renvoyer à des règlements d’administration publique à intervenir, y compris après la date d’expiration de l’habilitation qu’il tenait de cette loi, le soin d’édicter les mesures d’application de la règle, fixée par lui en vertu de cette habilitation, d’extension aux marchés des collectivités locales, sous réserve des ajustements nécessaires, des dispositions applicables aux marchés de l’Etat ; que, par suite, le Premier ministre tenait des dispositions du décret du 12 novembre 1938, qui n’a été légalement abrogé ni par le décret du 28 novembre 1966 ni par la loi du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit, compétence pour étendre aux collectivités locales, y compris les régions et les établissements publics de coopération intercommunale, les règles nouvelles qu’il édictait pour les marchés publics de l’Etat ;"(CE, 9 juillet 2007, N° 29771, Publié au recueil Lebon).


Une erreur d’interprétation de la décision du Conseil d’Etat du 10 février 2010

Le Conseil d’Etat n’a pas sanctionné le seuil mais le caractère général de la dérogation qui lui est, à juste titre, paru contraire aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures :
"Considérant que les marchés passés en application du code des marchés publics sont soumis aux principes qui découlent de l’exigence d’égal accès à la commande publique et qui sont rappelés par le II de l’article 1er du code des marchés publics dans sa rédaction issue du décret du 1er août 2006 selon lequel: Les marchés publics et les accords-cadres (…) respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures (…) ; que ces principes ne font pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire puisse permettre au pouvoir adjudicateur de décider que le marché sera passé sans publicité, voire sans mise en concurrence, dans les seuls cas où il apparaît que de telles formalités sont impossibles ou manifestement inutiles notamment en raison de l’objet du marché, de son montant ou du degré de concurrence dans le secteur considéré ; que, par suite, en relevant de 4 000 à 20 000 euros, de manière générale, le montant en deçà duquel tous les marchés entrant dans le champ de l’article 28 du code des marchés publics sont dispensés de toute publicité et mise en concurrence, le pouvoir réglementaire a méconnu les principes d’égalité d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ;".

On peut dans ces conditions s’interroger sur l’intérêt et la porté de cette initiative d’autant plus que le Conseil d’Etat, dans la décision précitée, avait clairement fourni au pouvoir règlementaire la clé de la solution : "ces principes ne font pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire puisse permettre au pouvoir adjudicateur de décider que le marché sera passé sans publicité, voire sans mise en concurrence, dans les seuls cas où il apparaît que de telles formalités sont impossibles ou manifestement inutiles notamment en raison de l’objet du marché, de son montant ou du degré de concurrence dans le secteur considéré".