Scroll Top
Partager l'article



*




La coopération public-public, d’origine prétorienne, dispose désormais d’une base juridique certaine, l’article 12 de la Directive 2014/24/UE du 26 février 2014 transposé dans notre droit interne par l’article 18 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

Alors même que ce dispositif intéresse au plus haut point les Groupements hospitaliers de territoire (GHT) ainsi que l’intercommunalité, les conditions de mise en œuvre de ce mécanisme restent particulièrement floues, le décret d’application n°2016-360 du 25 mars 2016 tant attendu n’ayant apporté aucune précision sur ce dispositif particulièrement intéressant.

Un montage d’origine prétorienne

 

Par un arrêt de juin 2009, la Cour de justice des Communautés européennes avait  expressément validé la possibilité de la création d’une coopération conventionnelle entre pouvoirs adjudicateurs, hors du cadre des procédures contraignantes de la commande publique (CJCE, 6 juin 2009, Commission c/ Allemagne, affaire C-480/06).

 

Dans cette affaire, trois collectivités locales allemandes (Landkreise) avaient contracté avec une quatrième, la ville d’Hambourg, afin de mutualiser le service public de gestion des déchets dont elles avaient chacune la charge. Par un contrat séparé, la quatrième collectivité avait ensuite confié l’exécution de ce service à un opérateur économique.

 

Bien que les pouvoirs adjudicateurs concernés par cette affaire soient uniquement des collectivités territoriales, l’application des principes dégagés à tout autre pouvoir adjudicateur au sens du Code des marchés publics, ne semble poser aucune difficulté (L’arrêt ne prend toutefois position que sur le contrat de coopération entre les collectivités locales, le contrat intervenu avec l’opérateur économique étant sans ambiguïté soumis aux règles de la commande publique).

 

Le juge communautaire rappelle que les pouvoirs adjudicateurs peuvent être qualifiés d’opérateurs économiques au sens de la directive et qu’en conséquence les règles de mise en concurrence s’appliquent à ces pouvoirs adjudicateurs lorsqu’ils proposent de fournir des services rémunérés à un autre acheteur public.

 

La Cour rappelle ensuite qu’il existe une exception à l’application de ces règles de mise en concurrence lorsque l’acheteur public exerce sur le pouvoir adjudicateur qui se présente en qualité d’opérateur économique un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, à condition que ce pouvoir adjudicateur réalise avec lui ou avec d’autres collectivités territoriales qui la détiennent l’essentiel de son activité. Cette exception est de longue date baptisée relation « in house ».

 

La Cour précise toutefois que tel n’est pas le cas dans cette affaire, mais constate les éléments suivants :

–      le contrat litigieux « instaure une coopération entre collectivités locales ayant pour objet d’assurer la mise en œuvre d’une mission de service public qui est commune à ces dernières », à savoir l’élimination de déchets.

–      aux termes du contrat, « les parties contractantes doivent, en cas de nécessité, se prêter assistance dans le cadre de l’exécution de leur obligation légale » d’élimination des déchets.

–      Enfin, la coopération que ce contrat instaure entre les services de voirie de la ville de Hambourg et les quatre Landkreise concernés « ne donne lieu, entre ces entités, à d’autres mouvements financiers que ceux correspondant au remboursement de la part des charges incombant auxdits Landkreise, mais payée à l’exploitant par ces services de voirie ».

 

Du fruit de ces constatations, la Cour valide le montage contractuel.

 

Une base juridique certaine désormais transposée en droit interne

 

Le montage ainsi validé a été intégré dans l’article 12 de la Directive européenne du 26 février 2014 et surtout dans l’article 18 de l’Ordonnance du 23 juillet 2015 venue transpose la Directive en droit interne :

Sous-section 2 : Coopération entre pouvoirs adjudicateurs

« La présente ordonnance n’est pas applicable aux marchés publics par lesquels les pouvoirs adjudicateurs, y compris lorsqu’ils agissent en qualité d’entité adjudicatrice, établissent ou mettent en œuvre une coopération dans le but de garantir que les services publics dont ils ont la responsabilité sont réalisés en vue d’atteindre les objectifs qu’ils ont en commun, lorsque les conditions suivantes sont réunies :

1° La mise en œuvre de cette coopération n’obéit qu’à des considérations d’intérêt général ;

2° Les pouvoirs adjudicateurs concernés réalisent sur le marché concurrentiel moins de 20 % des activités concernées par cette coopération. Ce pourcentage d’activités est déterminé dans les conditions fixées au IV de l’article 17. »

 

Un cadre juridique cependant insuffisant

 

Faute de précision apportée par le décret du 25 mars 2016, ce nouveau dispositif fait peser des risques sur les personnes publiques et, au premier chef, sur les établissements publics de santé qui sont tenus d’adhérer à un groupement hospitalier de territoire dénué de la personnalité morale. En effet, de nombreuses questions ne sont pas réglées par les textes :

 

–       Faut-il matérialiser la coopération par écrit? 

 

–       Tous les pouvoirs adjudicateurs doivent-ils « coopérer » de la même façon ?

 

–       L’un des membres de la coopération (établissement support) peut-il prendre la direction de ce groupement de coopération sans risque de requalification en groupement de commandes ?

 

–       La coopération entre établissements publics de santé est-elle exclusive de toute coopération avec des établissements privés, lucratifs ou non ?

 

A notre sens, bien que la jurisprudence européenne n’impose aucune forme particulière[1], la formalisation de la coopération ne pourra se dispenser de la rédaction d’une convention « constitutive », ne serait-ce que pour en faciliter la gestion et fixer les droits et obligations de chacune des parties.

 

Conformément aux enseignements de la jurisprudence de 2009, qui a pu être confirmée tant par le juge communautaire que par le juge administratif français, la coopération devra être particulièrement bien explicitée, tant dans ses motifs et son contexte que dans ses conditions de mise en œuvre entre les membres.

 

En effet, le point 33 du Préambule de la directive de 2014 insiste sur les critères qui doivent être respectés : « Pour que ces conditions soient remplies, il convient que la coopération soit fondée sur le concept de coopération. Cette coopération n’exige pas que tous les pouvoirs participants se chargent de l’exécution des principales obligations contractuelles, tant que l’engagement a été pris de coopérer à l’exécution du service public en question. En outre, la mise en œuvre de la coopération, y compris tout transfert financier entre les pouvoirs adjudicateurs participants, ne devrait obéir qu’à des considérations d’intérêt public ».

 

La coopération étant un montage contractuel dérogatoire aux règles de la commande publique, les organisateurs de ces groupements de coopération devront donc apporter le plus grand soin à la rédaction de cette convention au risque de voir requalifier la coopération en marché de prestations de services, avec toutes les conséquences de droit (annulation, indemnisation, risque pénal).

 

En particulier, les rédacteurs devront veiller à ce que les mouvements de fonds intervenant entre les membres ne puissent être assimilés au versement d’un prix constituant la contrepartie du service rendu. Ils devront également s’assurer d’une réelle codécision : «  La position d’un pouvoir adjudicateur au sein d’une entité attributaire détenue en commun ne lui assurant pas la moindre possibilité de participation au contrôle de cette entité ouvrirait, en effet, la voie au contournement de l’application des règles du droit de l’Union en matière de marchés publics ou de concessions de services, dès lors qu’une affiliation purement formelle à une telle entité ou à un organe commun assurant la direction de celle-ci dispenserait ce pouvoir adjudicateur de l’obligation d’engager une procédure d’appel d’offres selon les règles de l’Union, alors même que ce dernier ne prendrait aucunement part à l’exercice du «contrôle analogue» sur cette entité (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2005, Coname, C-231/03, Rec. p. I-7287, point 24).» [2]

 

Ils devront également veiller à ce que les prestations soient essentiellement fournies aux établissements parties au GHT dans le strict respect de l’article 18 de l’ordonnance.

 

Bienvenue à ce nouveau montage, mais prudence donc !

 

 



[1] Préambule de la Directive 2014/24/UE : « (33) Les pouvoirs adjudicateurs devraient pouvoir choisir de fournir conjointement leurs services publics par la voie de la coopération, sans être contraints de recourir à une forme juridique particulière. »

[2] CJUE, 29 novembre 2012, affaire n° C-182/11,  Econord SpA.