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Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, le rapport d’audit sur les partenariats public-privé, qu’il émane d’instances européennes ou nationales, converge le plus souvent dans un sens bien connu.

Le rapport spécial que la Cour des comptes européenne vient de consacrer aux PPP dans l’Union européenne ne dénote guère[1]. Sans décrire un « cauchemar » familier… ce rapport analyse à nouveau les heurs et malheurs de ces contrats globaux, qui ont permis de soutenir l’investissement dans les grandes infrastructures publiques en période de crise économique avec, cependant, un coût élevé pour les finances publiques, plus que jamais sensible aujourd’hui.

La Cour des comptes européenne exerce une mission d’audit de la perception et de l’utilisation des fonds de l’Union européenne. A ce titre, elle a vocation à améliorer la gestion des deniers européens, qui en l’espèce ont pu abonder certains projets réalisés en PPP. C’est peu dire que le sujet des partenariats public-privé dans l’Union européenne devait l’intéresser au premier chef.

 

Le constat des insuffisances

Le rapport mérite d’abord que l’on cite son titre entier pour évacuer d’emblée tout optimisme : « Les partenariats public-privé dans l’UE : de multiples insuffisances et des avantages limités ». On serait presque tenté d’y ajouter trois points de suspension pour ancrer davantage le propos dans l’abîme…

Et pourtant, combien il se justifie. La lecture du rapport, lequel est étayé sur l’étude de douze grands PPP européens auxquels les fonds de l’Union ont participé, confirme ce que l’on savait par ailleurs.

Lors de la passation. En soulignant l’existence de nombreuses insuffisances dans la procédure de passation de ces contrats globaux, la Cour peut ainsi écrire d’entrée que « les PPP ont permis aux pouvoirs publics d’acquérir de grandes infrastructures au moyen d’une procédure unique, mais ont accru le risque de concurrence insuffisante, ce qui a affaibli la position de négociation des pouvoirs adjudicateurs. » Les conséquences en termes financiers pour la puissance publique sont précisément analysées, jusqu’à porter la Cour des comptes européennes à constater que « la plupart des projets audités ont accusé des retards considérables de construction et présenté des dépassements de coûts significatifs. »

A l’avantage de l’étalement dans le temps de la charge financière du coût du projet – sur la durée du contrat de partenariat (20 ans, 30 ans…) et non seulement sur le temps de réalisation de la construction comme cela est le cas dans les marchés publics de travaux classiques –  la Cour oppose cependant des excès relatifs aux taux d’intérêts appliqués, dépassant parfois très largement les taux moyens du marché.

A cet égard, l’on peut noter que la qualité anticyclique des PPP demeure… Initialement, les partenariats publics-privés étaient présentés comme des outils juridiques de nature à soutenir l’investissement public en période de crise économique (on pense en particulier à 2008 naturellement). Anticycliques qu’ils fussent alors, ils le sont toujours aujourd’hui mais, par exemple, avec un décalage très fort entre les taux appliqués dans ces contrats et les taux d’intérêts appliqués sur le marché auquel les personnes publiques pourraient prétendre.

Dans la même veine, les clauses d’indexation – dont les indices sont parfois parfaitement irréguliers – concourent à un coût important de remboursement des parts de loyers sans justification réelle. En pratique, l’analyse de nombreux PPP ne laisse pas de doute sur un défaut de négociation initiale sur ces questions financières.

Au stade de l’étude préalable. La problématique des études préalables est, à cet égard, étudiées par la Cour de façon topique. Alors que celles-ci devaient garantir la pertinence du recours au PPP, dont on rappellera qu’ils constituent des contrats dérogatoires aux principes classiques de la commande publique, la Cour écrit que « pour la plupart des projets audités, le partenariat public-privé a été sélectionné en l’absence d’analyse comparative préalable apportant la preuve qu’il s’agissait de la meilleure option pour optimiser les ressources » ou encore que les comparateurs du secteur public ont souvent été inefficaces (« des comparateurs du secteur public ont été utilisés pour les trois PPP français basés sur la disponibilité examinés, mais leur efficacité a été entravée par le manque de données fiables sur les coûts et par la surestimation systématique des niveaux de recettes escomptés… »).

Si le juge administratif français a su renforcer son contrôle sur les conditions légales de recours aux PPP (urgence, complexité, efficience), on notera cependant que les contrats déjà conclus et en cours d’exécution souffrent de ce biais initial.

Alors l’avenir ?

 

Quelques recommandations en matière de négociation

La Cour des comptes européenne présente des recommandations, auxquelles il convient pour l’essentiel de souscrire avant d’ajouter une remarque.

Définir une politique d’ensemble. La Cour soutient ainsi que les Etats membres de l’Union devraient davantage définir la politique dans laquelle le recours aux PPP s’inscrit. On ne pourra que souscrire à cette première recommandation, en particulier dans le secteur de la santé : les contrats globaux y ont été conclus sans une cohérence d’ensemble. Il est évident, en pratique, que certains grands projets ont été soutenus comme on souhaite une oasis dans le désert.

Le Cour recommande ensuite aux Etats membres, comme à la commission européenne, de mieux définir le cadre institutionnel et juridique du recours aux PPP. A quelques six mois de l’entrée en vigueur en France du nouveau code de la commande publique, ce constat s’impose… Nous aurons l’occasion de revenir largement dans de prochains écrits sur les dispositions de ce nouveau code.

Négocier et renégocier. Enfin, aux titres des recommandations principales, la Cour invite les Etats –et en réalité les acteurs devrions-nous ajouter- à prévoir à l’avance des clauses de négociation et de renégociation dans ces contrats.

L’on souscrit à plusieurs titres et émettons donc une remarque : les contrats globaux sont caractérisés dans leur exécution par une forme de rigidité, à vrai dire nécessaire au moment de la passation du contrat notamment pour mesurer les coûts à long terme. Rien n’empêche cependant les acteurs publics de prévoir des clauses de renégociation obligatoire lorsqu’un événement survient ou compte-tenu des performances du partenaire. Des clauses imposant que les parties fassent évoluer leurs rapports et le contrat, des clauses de Hardship, pourraient tout à fait se généraliser dans les contrats globaux, et d’ailleurs bien au-delà, dans les contrats publics de façon générale (contrat d’occupation du domaine public ; concessions ; etc.).

Quant à la remarque, elle tient au constat d’une insuffisante culture de la négociation et du rapport de force chez les personnes publiques. Au stade de la négociation, puis au stade de la renégociation lorsque celle-ci s’impose, assumer une culture de la négociation et du rapport de force apparaît plus que jamais essentiel. Le rééquilibrage des forces dans les partenariats entre les personnes publiques et les personnes privées, au sens large, ne passera pas seulement par l’évolution des outils juridiques, mais aussi par une mutation des modes d’action publique. Un vieux rêve étrange et pénétrant…

[1] https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR18_09/SR_PPP_FR.pdf. Publié le 20 mars 2018.