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Ping-pong doctrinal sur le « in-house »

Laurent HOUDART, Avocat au Barreau de Marseille

Dominique LAROSE et Laurine JEUNE, Juristes,

Cabinet Houdart & Associés, Paris – Marseille

«Je préfère une vérité nuisible à une erreur utile : la vérité guérit le mal qu’elle a pu causer.» Goethe

Un article publié dans « Finances Hospitalières »[1] exécute sans procès une analyse diffusée par le Cabinet Houdart & Associés sur son blog[2], le 8 septembre 2014[3]. Nous y défendions l’idée que la plus récente jurisprudence européenne en matière de prestations intégrées ou « in house »[4] est de nature à remettre en cause les coopérations entre public et privé, dans les secteurs sanitaire, social et médico-social.

Idée particulièrement dérangeante, nous le concevons, compte-tenu du très grand nombre de groupements comportant aujourd’hui des intérêts privés. Idée que ne partage pas notre contradicteur, ce qui est son droit le plus strict. En effet, doctrine pour doctrine, dans l’absolu, son point de vue vaut bien le nôtre, a fortiori lorsque l’on constate régulièrement de parfois curieux revirements de jurisprudence au sein des plus hautes juridictions. Ce qui ne peut qu’inviter tout exégète à la modestie.

L’affaire pourrait alors en rester là, mais tout de même !

Là où nous avons cherché à démontrer notre point de vue par une analyse poussée et argumentée, nos conclusions sont balayées en deux phrases particulièrement définitives :

–          « Certains commentateurs ont déduits de l’arrêt de la CJUE que la seule présence d’une personne privée à but non lucratif dans un organisme de coopération français priverait désormais ses adhérents, lorsqu’ils sont soumis au code des marchés publics ou à l’ordonnance du 6 juin 2005, de l’application du l’exception « in house » et de la dispense d’une mise en concurrence » ;

–          « Cette position semble heureusement excessive car reposant sur une erreur d’interprétation du contenu de la décision de la CJUE ».

Une erreur d’interprétation ! Rien que ça ! C’est violent et un peu court.

C’est d’autant plus court que notre opposant conclut de manière assez surprenante par une invite …à la plus grande des prudences : « Les organismes de coopération comprenant des EPS ou des EPSM (…) doivent donc se montrer vigilants, (…) lors de l’admission en tant que membre d’une personne privée à but non lucratif. Ils doivent vérifier que celle-ci entre bien dans la catégorie des organismes de doit public, telle que définie précédemment ».

Voici qui tempère singulièrement la fermeté initiale du propos et, au final, …conforte nos propres analyses.

De surcroît, pour toute démonstration, l’auteur de l’article se contente d’affirmer que :

–          dans l’affaire dont a eu à connaître la juridiction européenne, les « institutions à vocation caritative, ne répondaient pas, dans le cas d’espèce, à la définition européenne de l’organisme public, (…) »[5] ;

–          « la quasi-totalité des ESPIC[6] (…) réunissent toutes les conditions pour être considérés comme des organismes publics et pouvoirs adjudicateur »[7].

Nous y répondrons donc point par point.

1 – Sur le cas d’espèce traité par la CJUE dans l’affaire C-574/12

Tout lecteur attentif ne manquera pas de relever que ni l’Avocat Général dans ses conclusions, ni l’arrêt en question ne se sont penchés un seul instant sur la question de savoir si les 23 institutions privées de solidarité sociale (IPPS) portugaises, membres du SUCH[8], toutes à but non lucratif voire à caractère caritatif, pouvaient être considérées comme des organismes de droit public au sens des directives européennes.

Troublant, non ? D’autant plus qu’au Portugal :

–          il existe constitutionnellement depuis 1979, contrairement à la France, un Service national de santé (SNS) ; l’article 64 de la Constitution affirme en particulier : « (…) 2. Le droit à la protection de la santé est assuré : a) au moyen d’un service national de santé universel et général qui tendra à la gratuité en tenant compte de la situation économique et sociale des citoyens ; 3. Pour assurer le droit à la protection de la santé, il incombe de manière prioritaire à l’État : a) de garantir à tous les citoyens, indépendamment de leur situation économique, l’accès à la médecine préventive, curative et de rééducation ; (…)  »

–          le secteur non lucratif gère historiquement et traditionnellement une part importante des services sociaux dans un cadre non seulement législatif spécifique mais également constitutionnel[9] ;

–          Les soins de santé qui ne résultent pas d’un accident du travail sont financés par le budget de l’État[10].

Malgré cela, le considérant 39 de l’arrêt affirme sans se départir « (…) les sociétaires privés du SUCH poursuivent des intérêts et des finalités qui, aussi appréciables qu’ils puissent être d’un point de vue social, sont d’une nature différente de celle des objectifs d’intérêt public poursuivis par les pouvoirs adjudicateurs qui sont en même temps des sociétaires du SUCH ». Et ce, alors même que la juridiction a relevé que les statuts du SUCH stipulent[11] que seules peuvent en être sociétaires des entités appartenant au secteur public ou au secteur social qui assurent des soins de santé ou qui exercent des activités liées à la promotion et à la protection de la santé.

Nous ne pouvons donc faire l’impasse, en France, sur une analyse précise de nos propres structures non-lucratives gestionnaires d’établissements ou de services sanitaires, sociaux ou médico-sociaux. Nous ne saurions, en tout état de cause, affirmer, sans nous embarrasser d’aucune précaution, que les ESPIC « réunissent toutes les conditions pour être considérés comme des organismes publics et pouvoirs adjudicateur ».

2 – La situation des structures de droit privé à caractère non lucratif françaises

Seul un examen méthodique et sans a priori de la situation de ces organismes au regard des critères de la directive européenne précisés par la jurisprudence pourrait conduire les juridictions nationales ou européennes à adopter à leur sujet une position radicalement différente de celle affirmée par la CJUE le 19 juin 2014.

Ces critères figurent désormais au 4 de l’article 2 de la directive du 26 février 2014. On entend, en droit européen, par «organisme de droit public», tout organisme présentant toutes les caractéristiques suivantes:

a) (…) créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial;

b) (…) doté de la personnalité juridique;

c) soit (…) financé majoritairement par l’État, les autorités régionales ou locales ou par d’autres organismes de droit public, soit sa gestion est soumise à un contrôle de ces autorités ou organismes, soit son organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit public.»

On rappellera que le caractère cumulatif de ces trois critères est constamment réaffirmé depuis l’origine par la Cour de justice européenne[12].

Il est clair que les deux premiers critères ne font pas débat, même si l’on a pu gloser à l’envi sur le deuxième :

–          L’organisme doit « être doté de la personnalité juridique » : ce critère est obligatoirement rempli.

–          L’organisme doit « avoir été créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial » 

Dès lors que l’on a saisi qu’en droit européen, c’est la nature du besoin à satisfaire qu’il convient de prendre en considération et non la nature de la structure juridique ou l’objectif poursuivi par cette dernière, le critère est là encore rempli dans le champ qui nous intéresse[13]. En effet, la protection de la santé publique satisfait incontestablement un besoin d’intérêt général [14] … au moins autant que la fabrication de papiers d’identité, l’organisation de foires, les activités mortuaires et de pompes funèbres, etc. : la protection de la santé est expressément visée à l’article 52, paragraphe 1er du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[15].

L’arbitrage doit donc se faire exclusivement sur le troisième critère qui est un critère alternatif :

  • Première hypothèse : le financement majoritaire par l’Etat, les autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit public  

Peut-on affirmer, comme notre contradicteur[16], que ce critère est rempli au motif que ces établissements seraient « financés » par l’assurance maladie ou les agences régionales de santé (ARS) ?

En premier lieu, on s’autorisera à faire remarquer que personne un peu au fait n’ignore que les ARS ne financent rien stricto sensu. Elles répartissent, elles ventilent…Ce n’est que par abus de langage et par paresse intellectuelle que d’aucuns évoquent des financements de l’ARS.

En second lieu, ce critère, qui est cardinal en ce qui concerne les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux, demande un minimum de développements. En effet, là, il y a effectivement débat !

Certes, tous les établissements de santé, une grande partie des établissements sociaux et médico-sociaux, mais également des professionnels libéraux à titre individuel ou en sociétés d’exercice, ne survivent qu’à coups de fonds de l’assurance-maladie, des collectivités territoriales ou de l’Etat. Est-ce que cela en fait pour autant des pouvoirs adjudicateurs ? Rien n’est moins sûr !

En effet, si les fonds que détiennent les caisses d’assurance-maladie sont incontestablement des fonds publics ce qui fait de celles-ci des pouvoirs adjudicateurs[17], la jurisprudence européenne a eu l’occasion de préciser que seuls les financements versés sans contre-prestation spécifique aux activités de l’entité concernée pouvaient être qualifiés de « financements publics »[18]. La CJUE a ainsi affirmé : « La notion de financement  vise un transfert de moyens financiers opéré sans contrepartie spécifique, dans le but de soutenir les activités de l’entité concernée »[19]. Ne constituent pas un financement public les versements effectués par un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs « en contrepartie de la prestation d’autres services »[20] et en particulier, « les versements effectués par un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs soit dans le cadre d’un contrat de prestations de services comprenant des travaux de recherche, soit en contrepartie de la prestation d’autres services, tels qu’une expertise ou l’organisation de conférences »[21]. Sont par contre qualifiées de financements publics notamment les subventions[22]. Or, jusqu’à preuve du contraire, les établissements sanitaires, sociaux ou médico-sociaux ne sont pas subventionnés mais reçoivent bel et bien des ressources correspondant strictement aux prestations qu’ils délivrent. Lorsque des subventions leur sont octroyées, celles-ci ne représentent jamais une part majoritaire de leurs ressources ! En effet, selon la jurisprudence européenne, la notion de « majoritairement » implique plus de la moitié[23]. Donc, ce critère qui semble pourtant central dans la « démonstration » de notre contradicteur, n’est jamais rempli, sauf dans certains cas particulièrement marginaux.

  • Deuxième hypothèse : Le contrôle de la gestion par les autorités ou organismes cités ci-dessus 

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser que le contrôle qui doit être actif, doit permettre d’influencer les décisions de l’organisme concerné.

Le contrôle de la gestion doit donc être très poussé : il s’agit notamment du contrôle des « comptes annuels de l’organisme concerné, mais également de sa gestion en cours sous l’angle de l’exactitude des chiffres cités, de la régularité, de la recherche d’économies, de la rentabilité et de la rationalité des décisions prises et, d’autre part, ces mêmes pouvoirs publics sont autorisés à visiter les locaux d’exploitation et les installations dudit organisme et à rapporter les résultats de ces contrôles à une collectivité territoriale détenant par le biais d’une autre société, le capital de l’organisme en question »[24]. Ainsi, un simple contrôle a posteriori ne suffit pas à considérer que le critère du contrôle de gestion est satisfait[25] pas plus que le seul contrôle a posteriori de l’équilibre des comptes d’un organisme par une autorité administrative[26].

Or, bien que l’ARS dispose de pouvoirs étendus (autorisations, financement, respect des normes de fonctionnement), il est cependant difficile de prétendre que, dans son contrôle des établissements privés, elle dispose de prérogatives lui permettant d’influencer durablement et de manière déterminante la gestion interne de ces organismes privés, y compris lorsqu’ils sont reconnus ESPIC. Il est donc particulièrement abusif de prétendre ou de suggérer que le critère est rempli, sauf, là encore, très rares cas particuliers de certains organismes. Et ce d’autant plus que, si l’ARS disposait effectivement de tels moyens, ceux-ci pourraient être contraires à la Constitution à plusieurs titres[27].

  • Troisième hypothèse : La composition des organes d’administration, de direction ou de surveillance

Une analyse des statuts des structures non lucratives, fussent-elles ESPIC, montre que cette condition n’est quasiment jamais remplie. En effet, le critère est double :

  • il faut que les membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de l’organisme soient effectivement désignés par l’Etat, les autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit public ; la simple présence de préfets en retraite, quels qu’en soient les mérites passés, ne satisfait donc pas la condition !
  • il faut qu’ils représentent plus de la moitié de l’organe concerné.

Dès lors, combien d’associations loi de 1901 ou de droit local (Alsace-Moselle) répondent à un tel critère ? Qu’on nous les montre !

Nous nous attarderons cependant sur deux catégories d’organismes qui peuvent effectivement faire aujourd’hui débat : les Union pour la Gestion des Etablissements des Caisses d’Assurance Maladie (UGECAM) et les centres de lutte contre le cancer (CLCC). Cependant la prudence est de mise, les juridictions, nationales comme européennes, ayant pour objectif majeur de favoriser la libre concurrence en ne permettant certes pas à des faux-nez des pouvoirs publics d’échapper aux obligations de mise en concurrence mais surtout en réduisant à l’extrême la portée de la dérogation « in house » susceptible de favoriser des intérêts privés et …d’extraire du marché d’importants volumes de prestations.

A – Les UGECAM

Les UGECAM, organismes privés à but non lucratif, ont été instituées par une ordonnance de 1996 afin de donner aux établissements sanitaires, sociaux ou médico-sociaux de la branche maladie une autonomie juridique et stratégique.

Une analyse de la seule composition de leurs organes d’administration conduirait à écarter la qualification d’organisme de droit public au sens européen. En effet, leur conseil d’administration est composé paritairement[28] de représentants des assurés sociaux, désignés par les organisations syndicales de salariés interprofessionnelles, et de représentants des employeurs, désignés au plan national conjointement par les organisations patronales représentatives, ainsi que de deux membres désignés par la Fédération nationale de la mutualité française. Pas la moindre trace de l’Etat, d’une autorité régionale ou locale ou d’autres organismes de droit public au sens européen. Ce qui signe une certaine autonomie.

Cependant, les UGECAM sont dans une étroite dépendance administrative et financière avec la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAMTS), à telle enseigne :

–          qu’il existe une  direction du groupe UGECAM au sein de la Direction générale de la CNAMTS,

–          que cette direction oriente et pilote les  établissements en accord avec la stratégie définie par le directeur général de la CNAMTS,

–          que les conventions d’objectifs et de gestion (COG) conclues entre l’Etat et la CNAMTS intègrent systématiquement des plans d’actions spécifiques concernant les UGECAM[29],

–          que les UGECAM perçoivent des fonds directement de l’assurance maladie prélevés sur le Fonds national de l’action sanitaire et sociale et sur le Fonds national de gestion. Ainsi, la COG 2014-2017 prévoit-elle le versement de plusieurs millions d’euros en fonctionnement et en investissement.

Sous bénéfice d’inventaire, de tels éléments plaident à notre sens en faveur d’une reconnaissance de leur qualité d’organisme de droit public.

B – Les Centre de lutte contre le cancer

Au-delà du fait que les CLCC ont été créés par la loi et  disposent d’un statut légal et règlementaire, on ne peut que relever l’importance, dans leur conseil d’administration (CA), du nombre de membres désignés par l’Etat, les autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit public.

Ainsi, en vertu de l’article L. 6162-7 du code de la santé publique (CSP), le CA comporte :

« Le représentant de l’Etat (…) désigné par le représentant de l’Etat dans la région (…) ; Le directeur de l’unité de formation et de recherche de médecine avec laquelle le centre a passé la convention prévue à l’article L. 6142-5(…) ;Le directeur général du centre hospitalier universitaire avec lequel le centre a passé la convention prévue à l’article L. 6142-5 (…) ; Une personnalité scientifique désignée par l’Institut national du cancer ; Un représentant du conseil économique, social et environnemental régional désigné par cette assemblée ; Des personnalités qualifiées, des représentants des personnels du centre et des représentants des usagers, dans des conditions définies par voie réglementaire ; La présidence du conseil d’administration appartient au représentant de l’Etat désigné en application du 1°».

Compte-tenu des dispositions de l’article D. 6162-1 du CSP qui détermine le nombre de représentants des personnels et des usagers et de personnes qualifiées[30], et compte-tenu du fait que les personnes qualifiées et les représentants des usagers sont désignées par le directeur général de l’ARS conformément à l’article D. 6162-2 du CSP, on doit considérer que les CLCC remplissent, sur ce critère européen, les conditions pour être qualifiés d’organisme de droit public. Et ce d’autant plus que le préfet qui assure la présidence du conseil d’administration[31], dispose d’une voix prépondérante en cas de partage égal des voix[32].

Ainsi, alors qu’il existe plusieurs milliers d’associations œuvrant dans les secteurs sanitaire, social et médico-social, seule une extrême minorité d’organismes à but non lucratif (13 UGECAM et 20 CLCC !) est susceptible, compte-tenu de leurs statuts spécifiques, d’être reconnue « pouvoir adjudicateur » au sens européen, en tout état de cause « sous réserve de l’appréciation souveraine des juridictions ».

On voit mal dans ces conditions comment les conditions permettant de bénéficier de la dérogation « in house » pourrait être remplies dans la très grande majorité des groupements dans lesquels des organismes à but non lucratif sont présents, la messe étant en tout état de cause dite depuis belle lurette pour les autres établissements ou structures privées lucratives.

Il est donc de notre devoir et de notre responsabilité de conseil habituel d’un très grand nombre d’établissements publics et privés d’attirer l’attention sur les risques courus.

En effet, deux attitudes pouvaient être adoptées face à la récente décision européenne :

–           Soit chercher à prévenir les risques, ce que nous avons fait ;

–           Soit adopter une attitude attentiste ou faussement rassurante …jusqu’à ce que les textes ou la jurisprudence en droit interne intègrent cette nouvelle précision jurisprudentielle avec toutes ses conséquences de droit[33].

Cette seconde attitude, particulièrement coupable, serait indigne d’un conseil juridique.

En effet, ainsi que nous l’indiquions dans notre article, « les risques courus d’une violation des règles des marchés publics(…), sont non seulement l’irrégularité de la convention mais également le délit de favoritisme ainsi que le rappelle (… le) Ministère des finances(…), « Ne pas réunir les critères […] constituerait (…) une violation des règles de la commande publique. La collectivité pourrait alors se trouver en situation de commettre un délit de favoritisme et les conventions ainsi passées seraient entachées d’irrégularité ». Un arrêt de 2007 de la chambre criminelle de la Cour de cassation en fournit une parfaite illustration. (…). Le juge a retenu que « les marchés litigieux ne pouvaient être qualifiés de contrats de « prestations intégrées », aux motifs que les sociétés (SEM et SA) demeurent de droit privé et que la  « participation, fût- elle minoritaire, d’une entreprise privée dans le capital d’une société à laquelle participe également une collectivité locale exclut en tout état de cause que celle- ci puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ». L’adjoint au maire de la commune (…), le maire (…) et le dirigeant de la SEM sont déclarés coupables « respectivement de favoritisme, complicité et recel de ce délit »[34]

Ceci ne signifie pas que nous renoncions à mettre en place les coopérations entre public et privé, lucratif ou non, indispensables à la satisfaction des besoins de la population. Loin de là ! Simplement, d’autres solutions doivent et peuvent être recherchées comme, par exemple, l’exploitation des nouvelles possibilités ouvertes par l’article 12 de la nouvelle directive européenne, ce à quoi nous nous attachons.

Cependant, il appartient également aux pouvoirs publics et aux fédérations représentatives des établissements, notamment non lucratifs, de se saisir de ce dossier, compte-tenu de l’intérêt stratégique des coopérations (Quid autrement du devenir de nombre de groupements de coopération sanitaire, de coopération sociale ou médico-sociale et autres groupements hospitaliers de territoire ?). Il ne faut en effet jamais désespérer d’inflexions voire d’aménagements favorables du droit européen,  le considérant 40 des conclusion de l’Avocat Général M. Mengozzi dans l’affaire ici commentée pouvant être compris comme une invitation à prendre en considération à l’avenir les finalités des organismes de solidarité, de bénévolat ou de bienfaisance dans le cadre du droit des marchés publics.

En définitive, nous ne pouvons que remercier notre contradicteur de nous avoir offert l’occasion de compléter notre analyse et d’expliciter ainsi certains points de notre raisonnement qui nécessitaient, semble-t-il, des éclairages supplémentaires.

 

 



[1] D. Legouge, « La Cour de Justice de l’Union Européenne précise le champ d’application de l’exception « in house » dans le secteur hospitalier », Finances Hospitalières, Octobre 2014, pp. 2 et suiv.

[3] « L’Europe torpille les coopérations public/privé à la veille de la loi de santé ».

[4] CJUE, 19 juin 2014, Affaire C-574/12, Centro Hospitalar de Setubal c/Eurest Portugal.

[5] P.4.

[6] Etablissements privés d’intérêt collectif. La loi HPST (article L. 6111-1 du CSP) a substitué les ESPIC aux établissements privés participant au service public hospitalier (PSPH) et aux concessionnaires de service public. Le code de l’action sociale et des familles lui a emboité le pas en 2011 (Article L311-1 du CASF).

[7] P.5.

[8] Serviço de Utilização Comum dos Hospitais.

[9] Constitution Portugaise (art. 46, 51, 63, 67, 70, 77, 79, 164, 165, 247,253, 267, 270 et 288) ; Décret-Loi nº 119/83 du 25 février 1983 ; Licence d’activités de la Sécurité Sociale ; Encadrement législatif des prestations sociales (CNIS).

[10]http://ec.europa.eu/employment_social/empl_portal/SSRinEU/Your%20social%20security%20rights%20in%20Portugal_fr.pdf

[11] article 7 paragraphe 1

[12] CJCE, 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria AG s.a, C-44/96, cons. 21 et 39 ; CJCE, 10 novembre 1998, BFI Holding BV, C-360/96, point 29 ; CJCE, 10 mai 2001, Agora SRL, C-223/99 et C-260/99, point 26.

[13] CJCE, 15 janvier 1998, Mannesmann, cons. 22 à 24) ; CJCE, 10 mai 2001, Agorà Srl, C-223/99 et C-260/99 (aff. jointes), cons. 33 et 34) ; CJCE, 27 février 2003, Adolf Truley GmbH c/Bestattung Wien GmbH, C-373/00, cons. 51 à 53 et 66 ; CJCE, 22 mai 2003, Arkkitehtuuritoimisto Riittta Korhonen Oy , C-18/01, cons. 41 à 45, 61 et 62 ; CJCE, 16 octobre 2003, Commission c/ Royaume d’Espagne, C-283/00, cons. 84 à 86 ; CJCE, 10 novembre 1998, BFI Holding BV, C-360/96, cons. 50 et 51 ; CJCE, 10 avril 2008, Ing. Aigner, C-393/06.

[14] La Direction des affaires juridiques du ministère des finances rappelle : « La notion de « besoin d’intérêt général » est une notion autonome du droit communautaire (…). Ainsi, la Cour examine chaque cas afin de le qualifier ou non de besoin d’intérêt général. La législation nationale ne peut discrétionnairement décider que tel ou tel besoin est ou n’est pas d’intérêt général. (…) la Cour retient un certain nombre d’indices dont celui selon lequel une activité qui profite à la collectivité et qu’une personne publique pourrait à ce titre prendre en charge peut être regardée comme satisfaisant un besoin d’intérêt général ».

[15] http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12012E/TXT

[16] L’article indique : « ex : un organisme de sécurité sociale, une ARS, etc. »

[17] « il y a financement majoritaire par l’État lorsque les activités de caisses publiques d’assurance maladie sont financées à titre principal par des cotisations mises à la charge des affiliés, qui sont imposées, calculées et recouvrées suivant des règles de droit public telles que celles en cause au principal. De telles caisses d’assurance maladie doivent être considérées comme des organismes de droit public et, donc, comme des pouvoirs adjudicateurs aux fins de l’application des règles de cette directive » (CJCE, 11 juin 2009, Aff. C-300/07, Oymanns GbR, Orthopädie Schuhtechnik c/AOK Rheinland/Hamburg).

[18] CJCE, 13 décembre 2007,Bayerischer Rundfunk, C-337/06.

[19] CJCE, 12 septembre 2013, aff. C-526/11, IVD GmbH & Co. KG point n°22.

[20] CJCE, 3 octobre 2000, aff. C-380/98, University of Cambridge ; inversement, pour la qualification de financement public majoritaire voir : CJCE, 13 décembre 2007, aff. C-337/06 Bayerischer Rundfunk.

[21] CJCE, Affaire C-380/98 précitée.

[22] CJCE, 3 octobre 2000, The Queen / H.M. Treasury ex parte : University of Cambridge, C-380/98, cons. 21 et 26.

[23] CJCE, 3 octobre 2000, aff. C-380/98,  University of Cambridge.

[24] CJCE, Adolf Truley précité.

[25] CJCE, Adolf Truly précité, cons. 70 à 73.

[26] CJUE, 12 septembre 2013, IVD GmbH c. Ärztekammer Westfalen-Lippe, n° C‑526/11.

[27] Liberté d’association : CC. Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971 ; Liberté d’entreprendre : CC. Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982.

[28] Arrêté ministériel du 10 avril 1998 portant approbation des statuts types des UGECAM.

[29] CF. p.4 et Fiche n°21  de la COG 2014-2017

[30]  « Le conseil d’administration des centres de lutte contre le cancer autres que l’Institut Gustave Roussy et la Fondation Curie est régi par les dispositions de la présente section. Les membres du conseil d’administration mentionnés au 6° de l’article L. 6162-7 sont :

1° Quatre représentants des personnels du centre, dont deux désignés par la commission médicale et deux par le comité d’entreprise dont un ayant le statut de cadre ;

2° Quatre personnalités qualifiées, dont au moins un médecin ;

3° Deux représentants des usagers. »

[31] Article L6162-7 du CSP

[32] Article L6162-9 du CSP.

[33] En la matière, le juge national met ses pas dans ceux du juge européen : CAA Lyon, 27 mars 2014 N° 11LY21913 ; CE, 24 juin 2011, N° 347429, mentionné dans les tables du Lebon ; CAA Paris, 14 janvier 2010, N° 08PA04104 ; CE, 30 septembre 2009 , N° 326424  Mentionné dans les tables du recueil Lebon. On ne saurait en ce domaine trop se fier à la surprenante décision de la CAA de Nantes N° 11NT03011 du 12 avril 2013 d’ailleurs inédite ni tirer des conclusions de l’arrêt CE, N° 290794 du 9 novembre 2007 qui, bien que répondant à une saisine de la FEHAP, n’évoque nullement la question.

[34] Cass. crim., 25 juin 2008, N° de pourvoi: 07-88373, Publié au bulletin.