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lisa
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La question de l’offre anormalement basse (ci-après « OAB ») est récurrente pour les acheteurs publics. Lors de chaque ouverture des offres, ces derniers peuvent être amenés, notamment face à des écarts de prix plus ou moins importants, à s’interroger sur la réalité économique des offres qui leur sont soumises.

Il s’agit pour eux de différencier l’offre anormalement basse de l’offre concurrentielle.

A moins pour les acheteurs d’être totalement omniscients, la tâche peut s’avérer complexe. En effet à l’heure des évolutions technologiques, il n’est plus simplement question d’acheter des fournitures mais bien de conclure des contrats complexes notamment en matière informatique. L’évaluation des prix n’en est que moins évidente.

A l’aune de la codification des règles de la commande publique et d’une ère de rationalisation annoncée, l’acheteur a donc un véritable rôle d’enquêteur en matière d’OAB et doit lever le voile sur toute suspicion.

Une définition de l’offre anormalement basse réaffirmée.

L’article L.2152-5 du projet de code de la commande publique propose aujourd’hui une définition de l’offre anormalement basse. Il s’agit d’une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché public.

Même si cet article a été vivement salué à l’occasion de la consultation publique sur le projet de code de la commande publique, il ne consiste qu’en une reprise de la jurisprudence administrative constante.

Depuis 2013, le Conseil d’Etat considère effectivement qu’ « il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu’une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé ; que si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l’offre » (CE, 29 mars 2013, req. n°366606).

Cette décision a été confirmée en 2017 concernant les nouvelles dispositions relatives à l’OAB prévues par l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et au décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relative aux marchés publics (CE, 30 mars 2017, Région Réunion, req. n°406224).

Cette définition tant attendue n’est pourtant que la conclusion à laquelle l’acheteur doit aboutir après enquête approfondie. Ce dernier doit effectivement pouvoir préalablement identifier les OAB.

Les indices au service des acheteurs : profils types d’une OAB.

Plusieurs indices doivent interpeller les acheteurs et permettre d’identifier une OAB :

  • La sous-évaluation financière d’une prestation: pour certains services ou fournitures, il est possible de vérifier les prix proposés sur le marché – c’est notamment le cas par exemple en matière d’assurance où des comparateurs existent et permettent d’évaluer raisonnablement une fourchette de prix pratiqués.

 

  • Un écart de prix significatif entre le prix proposé par un candidat par rapport à ses concurrents: des écarts de l’ordre 24 à 30% entre deux offres ne sont pas suspects (CE, 25 mai 2018, req. n°417428 et CAA de Nantes, 6 octobre 2017, req. n°15NT03533) contrairement à une offre dont le montant est deux fois moins élevé que la moyenne des offres (Tribunal administratif de Lyon, ord. 24 février 2010, Société ISOBASE, req. n°1000573).
  • Un écart de prix par rapport à l’estimation réalisée par le pouvoir adjudicateur (TA de Nîmes, ord., 29 mars 2018, Société Océan, req. n°29 mars 2018)  ;

Dans une récente décision, le Tribunal administratif de Nîmes est cependant venu rappeler que « la différence conséquente entre le prix de l’offre d’un candidat et l’estimation du pouvoir adjudicateur relative au montant du marché, quand bien même elle peut être prise en compte pour identifier une offre anormalement basse, ne peut constituer un référentiel unique justifiant l’élimination automatique d’une offre au motif que le prix proposé serait anormalement bas[1] ».

Les éléments précités sont donc insuffisants en eux-mêmes pour emporter la qualification d’OAB. L’unique objectif de ces indices est d’identifier un prix « intrinsèquement (…) sous-évalué ».

En matière d’OAB, le juge européen est récemment venu rappeler que face à une suspicion, l’acheteur doit impérativement analyser l’offre en question :

« Enfin, s’agissant de la violation alléguée du principe de bonne administration, en ce que le Parlement n’aurait pas procédé à un examen sérieux de l’existence d’une offre anormalement basse, il résulte de la jurisprudence que, lors de la phase de l’examen qui porte sur la question de savoir si l’offre est effectivement anormalement basse, le pouvoir adjudicateur doit effectuer un examen plus approfondi en procédant à la vérification de la composition de l’offre afin de s’assurer que celle-ci n’est pas anormalement basse et en appréciant les explications fournies par le soumissionnaire concerné[2] » (TUE, 26 juin 2018, affaire. T-299/18 R, point 60).

L’acheteur doit alors solliciter de la part du soumissionnaire l’ensemble des justifications relatives au montant du prix qu’il a proposé.

L’article 60 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics les précise. Parmi celles-ci, le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services ou encore l’originalité de l’offre.

Un prix sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché public.

Le contrôle opéré par les acheteurs vise avant tout à protéger leurs intérêts d’une multiplicité de risques tels qu’une défaillance du prestataire ou encore d’une éventuelle absence de qualité de la prestation réalisée.

Pour écarter une offre anormalement basse, l’acheteur doit donc procéder par étape et vérifier dans un premier temps que le prix est sous-évalué. Là encore, l’acheteur poursuit des indices permettant d’envisager la bonne réalisation de la prestation sollicitée.

Dans une affaire récente, un acheteur s’était fondé sur l’estimation du prix qu’il a réalisée pour estimer qu’une offre était anormalement basse (TA de Nîmes, ord., 29 mars 2018, Société Océan, req. n°29 mars 2018). A l’occasion d’un recours contentieux par le soumissionnaire de cette offre, le juge avait alors considéré que le prix de son offre était justifié par les conditions favorables dont disposait la société attributaire dans le cadre d’un contrat de même objet et l’organisation des moyens techniques mise en œuvre. Elles lui permettaient ainsi d’optimiser ses moyens et de réduire ses coûts dans le cadre de son offre.

Dans une autre affaire, le juge avait considéré que ne pouvait être qualifiée d’offre d’anormalement basse, une offre dont le montant correspond au prix d’achat des matériels et ne permettant pas au soumissionnaire de faire des bénéfices (CE, 22 janvier 2018, req. n°414860).

Le juge attend donc, dans la ligne directrice des dispositions relatives aux marchés publics, que l’acheteur ou un concurrent évincé réalise un véritable travail de vérification pour conclure à l’existence d’une OAB. Ce travail doit s’intégrer dans une logique globale d’analyse des offres puisqu’in fine, l’acheteur doit vérifier si le prix n’est pas sous-évalué afin de permettre la bonne exécution du marché.

Risques juridiques pour l’acheteur en cas d’acceptation d’une OAB.

Si l’acheteur accepte une offre anormalement basse, il peut engager sa responsabilité vis à vis d’un éventuel candidat évincé. Il lui serait alors redevable des frais qu’il a déboursé pour présenter son offre, et s’il établit qu’il avait une chance sérieuse de remporter l’offre, il pourrait être condamné à indemniser son manque à gagner (CAA de Nancy, 7 novembre 2013, Société TST-Robotics, req. n°12NC01498).

En matière d’OAB, le juge administratif fait toutefois peser sur le candidat évincé le charge de la preuve du caractère anormalement bas de l’offre (CE, 3 novembre 2014, ONF, req. n°382413). Il n’en a par ailleurs qu’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 29 octobre 2013, Département du Gard, req. n°371233), ce qui, au vu des rares jurisprudences retenant la qualification d’OAB, restreint considérablement le risque juridique.

[1] Pour l’écart de prix voir notamment CE, 29 mai 2013, Ministre de l’Intérieur contre société Artéis et CE, 3 novembre 2014, Office national des forêts, req. n°382413).

[2] Voir également en ce sens : CJUE, 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer, T-392/15, EU:T:2017:462, point 89.