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Ristournes : de la nécessité d’avoir le pied marin

L’article 8 IV de l’ordonnance n°2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale portait un coup fatal  aux ristournes depuis si longtemps admises sous l’empire des précédentes législations (leur usage laissait dire à certains qu’elle apportait la démonstration d’une survalorisation du B) en réservant cependant une période transitoire.

"Les ristournes mentionnées à l’article L. 6211-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la publication de la présente ordonnance, consenties par des laboratoires de biologie médicale dans le cadre de contrats de collaboration, ou d’accords ou de conventions passés avec des établissements de santé publics ou privés avant la publication de ladite ordonnance, cessent d’être versées au plus tard le 1er novembre 2013."

Il était ainsi répondu aux préoccupations des professionnels qui considèrent que la "médicalisation" des analyses de biologie médicale est parfaitement incompatible avec des logiques marchandes.

D’autres pourtant firent de nombreux efforts pour rétablir les ristournes, arguant des potentielles et substantielles économies qu’un tel système assurerait aux établissements publics…

A l’été, un premier essai fut manqué :  L’article 51 de la Loi Fourcade offrait de nouveau la possibilité de pratiquer les ristournes. Cependant, fidèle à sa jurisprudence sur les cavaliers législatifs, le Conseil Constitutionnel censurait avec d’autres ces dispositions "dénuées de lien avec les dispositions de la proposition de loi initiale"(décision n° 2011-640 du 4 août 2011).

En hiver, un second essai fut transformé : L’article 58 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, n°2011-1906 du 21 décembre 2011 a abrogé l’article 8 IV de l’ordonnance de 2010.

Les ristournes sont réintroduites dans les conditions fixées désormais à l’article L 6211-21  d’application immédiate (aucune phase transitoire n’étant prévue) :

"Sous réserve des accords ou conventions susceptibles d’être passés avec des régimes ou des organismes d’assurance maladie ou des établissements de santé ou des groupements de coopération sanitaire mentionnés à l’article L. 6133-1 et sous réserve des contrats de coopération mentionnés à l’article L. 6212-6, les examens de biologie médicale sont facturés au tarif de la nomenclature des actes de biologie médicale prise en application des articles L. 162-1-7 et L. 162-1-7-1 du code de la sécurité sociale."

Pourtant, la commission des affaires sociales devant l’Assemblée Nationale s’était de nouveau élevée contre ces pratiques dans son rapport :

"Lors des débats sur la proposition de loi « Fourcade », la commission s’était élevée contre le rétablissement de ces ristournes, qui était largement interprété par la profession comme une négation de la médicalisation renforcée de la biologie médicale qu’elle avait défendue dans le cadre de la préparation de la réforme.
L’éventuel surcoût de dépenses pour les établissements de santé, évalué à 48 millions d’euros par le député auteur de l’amendement, doit être interprété avec prudence, notamment sur les modalités retenues pour aboutir à ce montant.
Quoi qu’il en soit, il paraît difficilement concevable d’admettre que les laboratoires soient en quelque sorte invités à se livrer à une «guerre commerciale» à coups de rabais sur la nomenclature de l’assurance maladie. Quant à l’évolution des tarifs de la nomenclature et au souci – légitime – d’encadrer les dépenses de biologie, ils doivent procéder de décisions des autorités compétentes, et aussi de la rationalisation des prescriptions et du recours plus efficient aux examens de biologie médicale que doivent précisément favoriser la médicalisation accrue du secteur et le dialogue entre cliniciens et biologistes médicaux.
Pour toutes ces raisons, la commission ne peut que rester sur sa position de ne pas approuver le principe de «ristournes» dans le domaine médical, alors qu’il existe une tarification nationale des prestations."

Cependant, une proposition de loi déposée à l’automne  ( 22 novembre 2011) par Madame la Députée Boyer portant réforme de la biologie médicale et qui a pour vertu principale de mettre fin – selon les propres termes employées par M. le rapporteur Préel – à une situation d’insécurité juridique (que les laudateurs de l’ordonnance de 2010 refusaient d’admettre) en portant ratification de  l’ordonnance 2010, vient une nouvelle fois compromettre l’avenir de la ristourne…

En effet, l’article 4 de la proposition de loi amende l’article L 6211-21 en ces termes : "Sous réserve des coopérations dans le domaine de la biologie menées entre des établissements de santé dans le cadre de conventions, de groupements de coopération sanitaire ou de communautés hospitalières de territoire et sous réserve des contrats de coopération mentionnés à l’article L; 6212-6, les examens de biologie médicale sont facturés au tarif des actes de biologie médicale fixé en application des articles L 162-1-7 et L 162-1-7-1 du code de la sécurité sociale."

Le Rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales (Rapport Préel) est là encore très éclairant (p.28): "Le présent article propose donc d’interdire les ristournes, en imposant de facturer les examens au tarif de la nomenclature des actes de biologie médicale. Toutefois, ces tarifs ne s’imposent pas aux établissements de santé qui coopèrent entre eux dans le domaine de la biologie, ni aux laboratoires qui ont signé des contrats de coopération.

Les "contrats de coopération" créés par l’ordonnance de 2010 (…) permettent à plusieurs laboratoires de biologie médicale situés sur un même territoire de santé infra régional, ou sur des territoires limitrophes, de s’accorder pour se partager la réalisation de la phase analytique de certains examens rarement pratiqués; à cette fin, ils passent un contrat de coopération qui précise la mutualisation de leurs moyens et qui permet la facturation entre eux à prix coûtant. Ces transmissions ne peuvent porter que sur 15% du total des activités d’un laboratoire."

Ainsi, la ristourne ne peut s’admettre que si elle vient soutenir une action de coopération qui par définition ne repose pas sur le versement d’un prix en contrepartie d’une prestation mais sur une mutualisation de moyens et un partage des coûts. Dès lors, tout procédé marchand est exclu sauf à risquer une requalification du partenariat.

Avec un peu de malice, on pourrait avancer que la notion même de ristourne ne peut qu’être étrangère à la logique coopérative…

Notons que le Rapport met en exergue qu’en l’absence de disposition spécifique, "le principe qui s’applique en matière contractuelle est la survie de la loi du contrat. Toutefois, le renouvellement d’un contrat en cours s’opère en principe dans les conditions prévues par la loi du jour où il intervient. En l’espèce, les ristournes accordées en vertu de contrats signés alors qu’elles étaient autorisées, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2010, ainsi que dans la période courant entre l’entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 et l’entrée en vigueur de la présente proposition de loi, doivent pouvoir continuer à être pratiquées jusqu’à l’expiration de ces contrats. En revanche, les ristournes ne pourront pas être accordées dans le cadre de renouvellements ou de reconductions tacites des contrats."

Cette proposition de loi adoptée par l’Assemblée Nationale est en cours de discussion au Sénat.

Quelle force en présence, quels intérêts l’emporteront ?

En croyant la victoire acquise, certains avaient sans doute oublié que ristourne est un terme de droit maritime.

En ces matières, il faut savoir résister à la houle et au tangage.



La Baleine