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Au moment même où l’ONG “Médecins du Monde” publie son rapport annuel – un rapport qui fait froid dans le dos – sur la dégradation, en France, de la prise en charge sanitaire des plus démunis, la Baleine nous offre, comme en écho, une réflexion sur les ratées de la loi HPST en matière de service public de santé.

Le Rédacteur en Chef

Solidarité, charité et secteur 2
…ou D’un nouvel eugénisme.

Les effets conjugués de l’imposition de seuils minimaux d’activités, de la raréfaction des implantations et des OQOSS créent un contexte de pénurie de l’offre de santé dont on apprécie encore mal les conséquences…

Prenez un cas d’école : d’une part un hôpital valeureux ayant résisté à bien des tempêtes législatives, des instructions contradictoires, des forces d’inertie peu communes, et des chausse-trappes politiques, d’autre part une clinique passée de l’ère du chirurgien fondateur, bon père de famille, notable respecté, à l’ère du groupe national marqué par l’économisme.

Admettez que ces deux établissements pratiquent des activités concurrentes notamment en cancérologie (malgré la tentation de bon nombre de praticiens publics de franchir la porte d’en face), ce qui préserve une certaine liberté de choix aux patients.

Arrive le moment tant attendu du renouvellement des autorisations. Le schéma d’organisation sanitaire prévoit qu’une seule autorisation pourra être accordée dans nombre de spécialités chirurgicales. La clinique répondant largement, à la différence de l’hôpital (qui ne démérite pas mais flirte avec le nombre d’actes requis), aux seuils est déclarée vainqueur.

Jusque là rien de choquant, la grande majorité des établissements de santé privés, seraient-ils à but lucratif, remplissant avec beaucoup de talents leurs missions.

Là où le bât blesse sérieusement, c’est que les praticiens de notre clinique témoin exercent tous en secteur 2. Dès lors la suppression de l’offre publique en chirurgie cancérologique fait craindre des répercussions majeures sur l’accessibilité aux soins. Surtout que les plus démunis ne sont pas, loin s’en faut, les moins touchés par les pathologies cancéreuses.

On rappellera incidemment que seuls les établissements publics (voire les établissements de santé privés d’intérêt collectif) sont tenus au respect des dispositions de l’article L6112-3 du CSP qui fixe les obligations de service public (égalité d’accès, permanence, prise en charge aux tarifs opposables).

Foin de ces récriminations de juristes obtus! Rassurons nos concitoyens : Nos Tutelles régionales ont la solution. Ne peut-on glisser quelque adroite mention dans les autorisations délivrées aux cliniques obligeant les praticiens à facturer avec tact et mesure en fonction de la situation de chacun (comme leur déontologie les y oblige) et, quand le contexte l’impose, à respecter les tarifs opposables de la sécurité sociale.

Sans craindre d’être traitée de rabat-joie, je susurrerai quelques objections :

– Si une autorisation lie son bénéficiaire par les conditions qu’elle impose, elle n’emporte aucune obligation à l’égard des tiers, en particulier les médecins libéraux.
– De surcroît, la clinique n’aura pas (le plus souvent) la capacité de contraindre les libéraux à respecter une ligne de conduite en matière d’honoraires qu’ils s’estimeront seuls habilités à déterminer, brandissant leur contrat d’exercice comme garant de leur liberté.
– Surtout, l’appréciation de la situation de chaque patient relève de la plus parfaite subjectivité.

Il n’est pas douteux qu’une majorité de professionnels libéraux saura agir en conscience et avec honnêteté.

Le problème n’est pas là.

Le principe fondamental d’accès à tous à des soins de qualité – si souvent scandé pendant l’examen de la loi HPST – ne peut dépendre pour sa réalisation du seul bon vouloir.

Peut-on accepter qu’un patient soit transformé en récipiendaire des bonnes oeuvres des praticiens? Ce n’est pas la conception que nous défendons de la solidarité : Solidarité n’est pas charité.

Une issue consisterait à imposer aux établissements privés qui se retrouvent dans une situation de monopole sur un territoire donné, pour telle ou telle activité, des obligations de service public.

Est-ce possible?

On se trouve là face à un problème technique non négligeable découlant d’une architecture législative abracadabrantesque, déjà visée dans nos colonnes.

Prenons ainsi l’article L. 6122-7 du code de la santé publique : il prévoit qu’une autorisation peut être subordonnée à des conditions relatives à la participation à une ou plusieurs missions de service public définies à l’article L 6112-1 du CSP.

L’article L. 6112-2 impose quant à lui au Directeur général d’ARS que “lorsqu’une mission de service public n’est pas assurée sur un territoire de santé, (…) , sans préjudice des compétences réservées par la loi à d’autres autorités administratives, désigne la ou les personnes qui en sont chargées.”

Tout cela est de bon aloi.

Cependant “Mission de service public” n’est pas “obligation de service public” ; là est l’essentiel. Ces dispositions ne règlent donc rien, et nous allons vous le démontrer.

En effet les missions dont s’agit sont ainsi définies :

“1° La permanence des soins ;
2° La prise en charge des soins palliatifs ;
3° L’enseignement universitaire et post-universitaire ;
4° La recherche ;
5° Le développement professionnel continu des praticiens hospitaliers et non hospitaliers ;
6° La formation initiale et le développement professionnel continu des sages-femmes et du personnel paramédical et la recherche dans leurs domaines de compétence ;
7° Les actions d’éducation et de prévention pour la santé et leur coordination ;
8° L’aide médicale urgente, conjointement avec les praticiens et les autres professionnels de santé, personnes et services concernés ;
9° La lutte contre l’exclusion sociale, en relation avec les autres professions et institutions compétentes en ce domaine, ainsi que les associations qui oeuvrent dans le domaine de l’insertion et de la lutte contre l’exclusion et la discrimination ;
10° Les actions de santé publique ;
11° La prise en charge des personnes hospitalisées sans leur consentement ;
12° Les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier, dans des conditions définies par décret ;
13° Les soins dispensés aux personnes retenues en application de l’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
14° Les soins dispensés aux personnes retenues dans les centres socio-médico-judiciaires de sûreté.”

De fait, l’établissement de santé, ou toute personne chargée d’une ou plusieurs des missions de service public définies à l’article L. 6112-1, garantit à tout patient accueilli dans le cadre de ces missions :
“1° L’égal accès à des soins de qualité ;
2° La permanence de l’accueil et de la prise en charge, ou l’orientation vers un autre établissement ou une autre institution, dans le cadre défini par l’agence régionale de santé ;
3° La prise en charge aux tarifs fixés par l’autorité administrative ou aux tarifs des honoraires prévus au 1° du I de l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale”.

L’article L 6112-3 précise que les garanties mentionnées aux 1° et 3° du présent article sont applicables à l’ensemble des prestations délivrées au patient dès lors qu’il est admis au titre de l’urgence ou qu’il est accueilli et pris en charge dans le cadre de l’une des missions mentionnées au premier alinéa.
Les obligations qui incombent, en application du présent article, à un établissement de santé ou à l’une des structures mentionnées à l’article L. 6112-2 s’imposent donc également à chacun des praticiens qui y exercent et qui interviennent dans l’accomplissement d’une ou plusieurs des missions de service public.
Ceci signifie qu’a contrario, les garanties de service public ne s’appliquent pas (et ne peuvent être imposées à l’établissement de santé privé, ni a fortiori aux médecins libéraux) aux prestations non réalisées en urgence ou dans le cadre de l’une des 14 missions définies à l’article L 6112-1.
Or les actes chirurgicaux programmés accomplis dans le traitement du cancer ne relèvent a priori d’aucune des catégories précitées.
Reste à imaginer que l’autorisation unique soit accordée à un GCS créé entre la clinique et l’hôpital permettant de mutualiser les compétences médicales et paramédicales dans l’assurance d’une offre répondant au moins en partie aux obligations de service public. Mais c’est une autre histoire…
Sinon, faute de pouvoir financer leurs soins sur leur territoire de référence, les malades se verront contraints de s’adresser à d’autres médecins exerçant dans des structures publique ou ESPIC plus éloignées…
Ah! Que les pauvres coûtent chers!
La Baleine
1 L’établissement de santé, ou toute personne chargée d’une ou plusieurs des missions de service public définies à l’article L. 6112-1, garantit à tout patient accueilli dans le cadre de ces missions :
1° L’égal accès à des soins de qualité ;
2° La permanence de l’accueil et de la prise en charge, ou l’orientation vers un autre établissement ou une autre institution, dans le cadre défini par l’agence régionale de santé ;
3° La prise en charge aux tarifs fixés par l’autorité administrative ou aux tarifs des honoraires prévus au 1° du I de l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale.
Les garanties mentionnées aux 1° et 3° du présent article sont applicables à l’ensemble des prestations délivrées au patient dès lors qu’il est admis au titre de l’urgence ou qu’il est accueilli et pris en charge dans le cadre de l’une des missions mentionnées au premier alinéa, y compris en cas de réhospitalisation dans l’établissement ou pour les soins, en hospitalisation ou non, consécutifs à cette prise en charge.