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Lors de la réunion de concertation avec les fédérations hospitalières relative au contrôle externe de la tarification a l’activité qui s’est tenue le 10 mars 2010, l’Assurance Maladie a présenté le bilan des contrôles effectués sur l’exercice 2008. Il en ressort que :

– 222 établissements étaient concernés par une possibilité de sanction (129 ex DG ; 93 ex OQN) ;
– une sanction a été proposée par les UCR aux COMEX pour 150 établissements (91 ex DG ; 59 ex OQN) ;
– 87 établissements ont reçu une notification de sanction par l’ARH (55 ex DG ; 32 ex OQN) ;
– Le montant des sanctions notifiées par les ARH aux 87 établissements s’élève à 8.8 M€ (7.1 M€ pour les ex DG ; 1.7 M€ pour les ex OQN) ;
– Les montants notifiés aux établissements représentent globalement 52% des montants proposés par les UCR.

Face à cette première vague de sanctions, de nombreux établissements envisagent d’introduire ou ont d’ores et déjà introduit des recours contentieux.

Au-delà des innombrables moyens qui peuvent être fournis par chacune des situations particulières, un moyen doit retenir l’attention : la question de la conformité à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et du Citoyen de la procédure instaurée par le code de la sécurité sociale et le code de la santé publique en matière de sanctions financières T2A.

Rappel du cadre juridique des sanctions financières T2A

L’article L.162-22-18 du code de la sécurité sociale (CSS) a instauré un système de pénalités à compter du 1er janvier 2005.

Les établissements de santé sont passibles, après qu’ils aient été mis en demeure de présenter leurs observations, d’une sanction financière en cas de manquement aux règles de facturation fixées en application des dispositions de l’article L. 162-22-6 CSS, d’erreur de codage ou d’absence de réalisation d’une prestation facturée.

Cette sanction est prise par la commission exécutive de l’ARH, à la suite d’un contrôle réalisé sur pièces et sur place par les médecins inspecteurs de santé publique ou les praticiens-conseils des organismes d’assurance maladie en application du programme de contrôle régional établi par ladite commission. La sanction est notifiée à l’établissement.

Son montant est fonction du pourcentage des sommes indûment perçues par rapport aux sommes dues. Il est calculé sur la base des recettes annuelles d’assurance maladie de l’établissement ou, si le contrôle porte sur une activité, une prestation en particulier ou des séjours présentant des caractéristiques communes, sur la base des recettes annuelles d’assurance maladie afférentes à cette activité, cette prestation ou ces séjours, dans la limite de 5 % des recettes annuelles d’assurance maladie de l’établissement.

Les établissements qui font obstacle à la préparation et à la réalisation du contrôle sont également passibles d’une sanction.

Les conditions et modalités de mise en oeuvre de cette disposition ont été précisées par le décret « sanctions » n° 2006-307 du 16 mars 2006 pris pour l’application de l’article L. 162-22-18 du code de la sécurité sociale ainsi que par la Circulaire DHOS n°2007-303 du 31 juillet 2007 DHOS/F1 no 2007-303 du 31 juillet 2007 relative à la procédure d’application par la COMEX des sanctions financières résultant des contrôles menés dans le cadre de la tarification à l’activité.

La sanction envisagée et les motifs la justifiant sont notifiés à l’établissement par tout moyen permettant de déterminer la date de réception (Art. R162-42-13 du code de la sécurité sociale).

L’établissement dispose d’un délai d’un mois pour présenter ses observations.

Au terme de ce délai, la commission exécutive prononce la sanction, la notifie à l’établissement par tout moyen permettant de déterminer la date de réception et lui indique le délai et les modalités de paiement des sommes en cause.

Cette procédure est-elle conforme à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et du Citoyen ?

En application du paragraphe 1 de l’article 6 CEDH, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».

Le Conseil constitutionnel dans sa Décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 a admis «qu’aucun principe ou valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu’une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction», ajoutant que ce n’est qu’à la condition, «d’une part, que la sanction susceptible d’être infligée (soit) exclusive de toute privation de liberté et, d’autre part, que l’exercice du pouvoir de sanction (soit) assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis».

La Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 21 février 1984, Oztürk c/ R.F.A. a également admis la validité du procédé de la sanction administrative au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais non sans rappeler le nécessaire respect des prescriptions de l’article 6 relatif au droit à un procès équitable. Conformément aux principes généraux du droit, tels que posés par l’arrêt de principe du Conseil d’Etat du 5 mai 1944, Veuve Trompier-Gravier (Lebon, p. 133), l’administré qui fait l’objet d’une sanction qu’elle soit administrative ou pénale, “doit avoir été mis à même de discuter les griefs formulés contre lui”.

C’est ainsi que les autorités administratives indépendantes doivent respecter les stipulations de l’article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et du Citoyen lorsqu’elles infligent des sanctions pouvant être considérées comme des accusations en matière pénale et où leurs attributions se rapprochent de celles des juridictions. Sont notamment visées les principes de publicité des débats et d’impartialité (Cass. AP, 5 février 1999, COB/Oury, pour la commission des opérations de bourse ; Cass. Com., 5 octobre 1999, SNS Campenon Bernard SGE, pour le conseil de la concurrence ; CE, 3 décembre 1999, Didier, pour le conseil des marchés financiers ; CE, 28 octobre 2002, Laurent, pour la commission de contrôle des assurances).

D’emblée, deux remarques s’imposent :

– La simple transmission écrite d’observations, prévue par les textes, sans possibilité de débattre contradictoirement devant la Comex des faits reprochés à l’établissement n’offre à l’évidence pas une garantie suffisante des droits de la défense.

– La Comex ne saurait être considérée comme étant impartiale faute d’indépendance vis-à-vis des caisses d’assurance-maladie qui participent aux contrôles des établissements (dans le cadre des UCR : article R162-42-9 du code de la sécurité sociale), sont les premières bénéficiaires du reversement des indus et des sanctions prononcées par la Comex dont elles sont également membres (article L6115-7 du code de la santé publique). Ses règles de composition et de fonctionnement portent indéniablement atteinte au principe général du droit garantissant aux administrés que toute autorité individuelle ou collégiale est tenue de traiter leurs affaires de façon impartiale, sans préjugés ni partis pris, consacré par l’arrêt de principe du Conseil d’Etat du 27 octobre 1999, Fédération française de football (N° 196251):« Considérant qu’au nombre des principes généraux du droit qui s’imposent aux fédérations sportives agissant en matière disciplinaire figure notamment le principe d’impartialité ; »

Cependant, ces remarques n’épuisent pas le sujet.

En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme définit le tribunal comme tout organe chargé de trancher en droit et à l’issue d’une procédure organisée toute question relevant de sa compétence (CEDH, 27 août 1991, Demicoli c/Malte, n° 13057/87).

Le Conseil d’Etat a quant à lui considéré dans un avis rendu en 1995 que l’article 6 n’était applicable « qu’aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions » (CE, avis, 31 mars 1995, Société Auto Industrie Méric, Lebon, p. 1954). Il a maintenu cette analyse à l’occasion de nombreux contentieux (CE, 10 mars 2004, Sarl ACBM, n° 254110, Lebon T. 694 ; CE, 27 mai 2005, Section française de l’observatoire national des prisons, n° 280866, Lebon, T. 959 ; CE, 31 mars, 2006, Robert, n° 276605 ; CE, 4 avril 2008, Stade rennais de football club, n° 308561).

Pour qu’une autorité administrative puisse être considérée comme un tribunal au sens de l’article 6 CEDH (CE, 3 décembre 1999, Didier précité), il convient que :
– l’organe soit indépendant du pouvoir politique ;
– les décisions doivent être prises de manière collégiale au terme d’un processus délibératif ;
– elle doit statuer en droit sur des questions qui pourraient tout aussi bien relever de juridictions.

La Comex de l’ARH, qui ne dispose pas de la personnalité morale, est-elle un tribunal au sens de l’article 6 CEDH ?

Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’Homme estime que le respect de l’article 6 doit s’apprécier au regard de l’ensemble de la procédure administrative et juridictionnelle. Ainsi, pour que l’article 6 ne puisse être invoqué, il suffit que la décision administrative soit susceptible de recours devant une juridiction à même de connaître de l’ensemble des faits et questions de droit réglés par l’autorité administrative et de réformer cette dernière en tout ou partie (CEDH, 26 avril 1995, Fischer c/Autriche, n°16922/90, Série A n° 312 ; CEDH, 23 octobre 1995, Gradinger c/Autriche, n° 15963/90, Série A n° 328 ; CEDH, 19 décembre 1997, Helle c/Finlande, n° 20772/92).

Le fait que les établissements concernés puissent déférer la sanction à laquelle ils ont été condamnés devant les juridictions administratives leur interdit-il d’invoquer l’article 6 CEDH ?

C’est à ces deux questions que devront, n’en doutons pas, prochainement répondre les juridictions administratives.

Plus que quelques semaines pour participer à l’émergence d’une jurisprudence en la matière (Les Comex disparaissent avec les ARH) !

Mais ne désespérons pas. Le nouveau cadre juridique des sanctions tel qu’il résulte de l’ordonnance de coordination maintient un dispositif similaire : “Cette sanction est prise par le directeur général de l’agence régionale de santé, à la suite d’un contrôle réalisé sur pièces et sur place par les médecins inspecteurs de santé publique, les inspecteurs de l’agence régionale de santé ayant la qualité de médecin ou les praticiens-conseils des organismes d’assurance maladie en application du programme de contrôle régional établi par l’agence. Le directeur général de l’agence prononce la sanction après avis d’une commission de contrôle composée à parité de représentants de l’agence et de représentants des organismes d’assurance maladie et du contrôle médical. La motivation de la sanction indique, si tel est le cas, les raisons pour lesquelles le directeur général n’a pas suivi l’avis de la commission de contrôle. La sanction est notifiée à l’établissement”.

Et les choses seront désormais plus claires puisque la sanction ne sera plus prononcée par une commission mais par le directeur général de l’établissement public de l’Etat qu’est l’ARS.