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Les médias se sont fait l’écho, ces derniers jours, du conflit qui entoure la nomination du nouveau directeur général adjoint ducentre de lutte contre le cancer Gustave Roussy de Villejuif (IGR). En effet, Marisol TOURAINE, Ministre des Affaires sociales et de la Santé, voudrait imposer l’un de ses proches au poste de Directeur général adjoint, se mettant en opposition avec le choix de l’institution qui a retenu, après une procédure accrue de recrutement, un autre candidat.

Au-delà de la polémique, l’occasion est donnée de revenir sur le particularisme juridique de la nomination des directeurs généraux et directeurs généraux adjoints dans les centres de lutte contre le cancer (CLCC).

Rappelons que les centres de lutte contre le cancer sont nés au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, par une ordonnance du 1er octobre 1945 du Général de Gaulle, afin de rebâtir l’offre de soins en cancérologie sur le territoire français[1].

Ceci explique que, bien que les CLCC soient des Etablissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), ils supportent une forte emprise de l’Etat :

– leur création relève d’un arrêté du ministre en charge de la santé qui en fixe la liste (cela en fait une singularité à notre connaissance de notre ordonnancement juridique),

– leur gouvernance est strictement encadrée par le code de la santé publique,

– leur conseil d’administration, arrêtant la politique générale ainsi que la politique d’évaluation et de contrôle, est présidé par un représentant de l’Etat, ce qui peut conduire dans certains cas, à des incompatibilités ;

– et – ce sur quoi nous allons porter notre intérêt -, le Ministre en charge de la santé nomme par arrêté ministériel leurs directeurs généraux (DG) ainsi que – uniquement pour l’IGR –  le directeur général-adjoint.

Au passage, notons une autre particularité, aux allures d’usage, le DG est un médecin et le DGA un administratif.

Si, dans l’ensemble des CLCC, le  Directeur Général nomme directement son DGA, l’article D.6162-13 du Code de la santé publique prévoit qu’au sein de l’Institut Gustave Roussy, la procédure de nomination du DGA est semblable à celle du DG :  « il est nommé, pour une période de cinq ans renouvelable, par arrêté du ministre chargé de la santé après avis du conseil d’administration de l’institut Gustave Roussy et de la fédération nationale la plus représentative des centres de lutte contre le cancer. »

Le conseil d’administration de l’institut Gustave Roussy va donc devoir émettre un avis sur la nomination du prochain DGA lors de la prochaine réunion du Conseil d‘administration qui aura lieu le 14 décembre. Il ressort de l’article D. 6162-6 du Code de la santé publique qu’une majorité des membres en exercice doit assister à la séance du conseil d’administration pour que la délibération et l’avis émis soient valables. Si ce quorum n’est pas atteint, l’avis émis ne sera juridiquement pas valable et le CA devra organiser une nouvelle délibération afin d’émettre un nouvel avis qui sera désormais valable quel que soit le nombre de membres présents.

A la suite aux avis régulièrement émis par le Conseil d’administration de l’Institut Gustave Roussy et de la fédération nationale la plus représentative des centres de lutte contre le cancer, la Ministre chargée de la santé prendra alors l’arrêté de nomination du DGA.

Dénués de force obligatoire, ces avis sont purement consultatifs, signifiant que la Ministre n’est, juridiquement, pas obligée de le suivre. Si juridiquement, elle n’y est pas obligée, socialement et politiquement, la question se pose.

Peut-on néanmoins envisager une contestation de la décision ministérielle ?

Le recours prendrait la forme d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif aux fins d’annulation de l’arrêté dans un délai de deux mois à compter de la notification. Toute décision administrative peut en effet faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et un arrêté ministériel ne fait pas exception à ce principe général du droit consacré par le Conseil d’Etat le 17 février 1950 (CE, 17 février 1950 – Ministre de l’agriculture c/ Dame Lamotte). Dispensé du ministère d’avocat, ce recours est facile d’accès, pouvant s’engager par simple lettre devant le juge administratif.

Toutefois, nul doute que les arguments juridiques ne seront guère aisés à apporter au soutien d’une nullité. L’élaboration anticipée de l’arrêté combiné à d’éventuels avis négatifs ne justifierait pas de détournement de pouvoir.

Les éventuelles pistes seraient plus certainement  à rechercher sur les moyens de légalité externe (incompétence de l’autorité qui a pris la décision et le vice de forme ou de procédure).

Quoi qu’il en soit, cette affaire  pose clairement la question de la légitimité politique du pouvoir de nomination du DGA de l’IGR par le ministre de la santé et plus généralement des DG des CLCC qui sont des établissements privés ; compréhensible au sortir de la seconde guerre mondiale, elle apparaît désormais comme la source de tentations et de jeux personnels peu conformes à l’efficience que l’on attend de la nomination d’un directeur administratif et de l’intérêt général.

Pour l’heure, le conseil d’administration de Gustave Roussy se réunit le 14 décembre 2016, si le quorum des membres n’est pas atteint, la procédure de nomination sera repoussée.

Le combat du pot de terre contre le pot de fer ?



[1]Gustave Roussy, héritier du Centre régional de lutte contre le cancer de la banlieue parisienne créé en 1925 par le conseil général de la Seine, présidé par le Docteur Gustave Roussy, et  reconnu d’utilité publique en 1927, est aujourd’hui le premier centre de lutte contre le cancer d’Europe