Scroll Top
Partager l'article



*




La chambre sociale de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt parfaitement prévisible dans un dossier opposant un CHSCT à un centre hospitalier universitaire (CHU).

Dans cette affaire, le CHU a présenté un projet de réorganisation des services au CHSCT lors d’une séance au mois de mai 2011.

Immédiatement, le CHSCT de ce CHU vote la désignation d’un expert agréé au visa et sur le fondement de l’article L.4614-12 2° du code du travail (projet important modifiant les conditions de travail).

Il nous est donné de comprendre, en lisant cet arrêt, que ledit CHU a nonobstant poursuivi la mise en œuvre de son projet et que le CHSCT, au visa de l’article 809 du code civil, a saisi le juge judiciaire afin que celui-ci prononce la suspension du projet de restructuration des services voulu par l’établissement, au motif que la poursuite du projet durant les opérations d’expertise aurait emporté “un trouble manifestement illicite“.

Le juge du premier degré de juridiction a suspendu, par une ordonnance de référé, le projet le temps que les opérations d’expertise du CHSCT se déroulent jusqu’à leur terme.

La Cour d’appel a cependant infirmé l’ordonnance et, dans un arrêt du 3 mai 2012, débouté le CHSCT de ses demandes.

La chambre sociale de la Cour de cassation, appelée à se prononcer à son tour, censure et casse l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse, non pas au visa de l’article L.4614-12 2° du code du travail en affirmant que l’employeur est tenu de suspendre son projet le temps nécessaire au bon déroulement des opérations d’expertise, mais au visa et sur le fondement de l’article L.4614-8 du code du travail qui dispose: “Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.”

La chambre sociale de la Cour de cassation, après avoir relevé que la Cour d’appel de Toulouse avait constaté que “les informations données par l’employeur au CHSCT étaient sommaires et ne comportaient pas d’indications relatives aux conséquences de la réorganisation du service sur les conditions de travail des salariés, de sorte que le comité ne pouvait donner un avis utile“, censure le juge d’appel pour ne pas avoir tiré toutes les conséquences de ses constatations et donc, implicitement, pour ne pas avoir confirmé la suspension du projet du CHU.

C’est arrêt est très intéressant à plus d’un titre.

En premier lieu, la chambre sociale de la Cour de cassation confirme implicitement que l’expertise voulue par le CHSCT sur le fondement de l’article L.4614-12 2° du code du travail n’emporte pas de plein droit la suspension de la mise en œuvre dudit projet par le centre hospitalier.

On ne peut que saluer ce raisonnement alors d’une part que le texte ne prévoit pas une obligation corrélative pour l’employeur de suspendre le projet et alors d’autre part, qu’il existe un principe fondamental qui s’impose à tout centre hospitalier, celui de la continuité du service public. Si certains invoquent à corps et à cri le délit d’entrave en pareille hypothèse, on objectera qu’il ne peut y avoir constitution d’un tel délit lorsque le texte ne prescrit pas une obligation particulière de suspendre le projet et, accessoirement, au motif simple mais imparable que le code du travail prévoit expressément que le délit d’entrave au CHSCT n’est pas applicable aux établissements visés à l’article 2 de la loi n°86-33 du 9 janvier 1986.

En deuxième lieu, cet arrêt, qui ne fait que répéter ce que la chambre sociale affirme depuis des années pour des entreprises du secteur privé, est très utile en ce qu’il sonne comme un coup de semonce pour les gestionnaires d’établissements publics de santé qui doivent aujourd’hui, nécessairement, modifier leur approche de la problématique et s’inscrire dans une démarche d’information complète du CHSCT sur les conséquences de tout projet de restructuration des services.

Le juge administratif n’est pas, d’ailleurs, en reste comme le démontre un jugement du Tribunal administratif de Marseille en date du 27 juillet 2012 rendu sous le numéro 1107178, que nous avions commenté en son temps dans la revue SANTE- RH. Le juge administratif avait prononcé l’annulation de la décision de fusion de deux établissements, avec effet différé, au visa et sur le fondement de la méconnaissance des dispositions de l’article L.4614-8 du code du travail.

Reste que cette partie du code du travail applicable aux seuls établissements publics visés à l’article 2 de la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires de la fonction publique hospitalière mais ni à la fonction publique de l’Etat ni à la fonction publique territoriale, n’a pas été rédigé pour tenir compte des contraintes du service public hospitalier.

Je ne trahis pas le secret professionnel de l’avocat en affirmant ici qu’il y a une légitimité forte à s’interroger sur l’objectif poursuivi par certains syndicats dans certains établissements en ordonnant des expertises aux frais de l’hôpital lorsque le projet de l’établissement conduit par exemple à la livraison d’un établissement neuf et donc à des conditions de travail qui ne sont pas dégradées mais bien au contraire sensiblement meilleures.

Je ne trahis pas non plus le secret professionnel de l’avocat en affirmant ici qu’il y a une légitimité forte à s’interroger sur la proximité entre certains cabinets d’experts agréés et certains syndicats représentatifs au niveau national.

L’incompréhension du monde hospitalier sur le fait d’imposer à l’hôpital une expertise qui coûtera à l’établissement au minimum un ou deux équivalents temps plein sur l’année, voire pour certains bien plus, n’a d’égal que le manque de courage du législateur qui jusqu’à présent n’a pas souhaité adapter les dispositions du code du travail aux missions et aux obligations du secteur hospitalier.

L’incompréhension est d’autant plus forte que le manager public doit, dans le même temps, répondre à une contrainte budgétaire de plus en plus forte.

L’expérience de la gestion de ces dossiers montre que le rapport livré par le cabinet d’expertise agréé constitue au pire, un document truffé d’erreurs majeures en méconnaissance totale du secteur public (je prends ici l’exemple d’un cabinet d’expert agréé qui a eu l’intelligence de confondre le stagiaire de la fonction publique – qui est le fonctionnaire en devenir – et le stagiaire du secteur privé qui est aujourd’hui le symbole de la précarité) et de surcroît un document qui n’apporte aucune plus-value pour l’établissement (je prends ici comme exemple le rapport qui ne constitue en grande partie que la retranscription d’éléments purement subjectifs et partiaux).

Reste que crier à l’incompétence et à l’inconséquence n’apporte rien.

En dehors de l’hypothèse de soumettre les CHSCT, lesquels, n’en déplaisent à certains sont bien des pouvoirs adjudicateurs, aux règles de la commande publique et d’imposer a minima une mise en concurrence simplifiée, il existe l’hypothèse de doter le CHSCT d’un budget propre au même titre que le comité d’entreprise.

Je ne suis cependant pas certain que cette dernière hypothèse soit la bonne solution. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Reste qu’il est nécessaire que les établissements publics de santé s’astreignent aujourd’hui à bien informer le CHSCT en amont de tout projet important susceptible de modifier les conditions de travail, quitte à spontanément faire appel à un prestataire extérieur dont les honoraires seront fixés de manière “raisonnable” (pour rester aimable).

Ses marges de manœuvres résident en effet dans l’accompagnement des opérations d’expertise et la mise en place d’une réelle stratégie de gestion du dossier en amont, durant les opérations d’expertise et postérieurement au dépôt du rapport.

Il y a alors certaines choses à faire et d’autres …à ne pas faire.

La suite au prochain épisode.