Questionnements sur les préconisations du Guide méthodologique – La Fonction achat des GHT
Depuis l’adoption de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016, il est évident que les achats des hôpitaux vont être profondément bouleversés.
Pour tenter d’éclaircir l’horizon des acteurs concernés par la problématique achat, la DGOS prépare actuellement un « Guide méthodologique – La Fonction achat des GHT ». Ce Guide a vocation à éclairer les dirigeants et responsables des achats des établissements de santé sur la mise en œuvre du dispositif prévu par la loi du 26 janvier 2016.
Pour mémoire, en application de l’article L. 6132-3-I du Code de la santé publique, l’établissement support du GHT « assure la fonction achat pour le compte des établissements parties au groupement »[1].
Comment concrètement permettre à l’établissement support de procéder simultanément aux achats de tous les établissements parties au GHT qui ont des besoins similaires ? Il convient de synchroniser les dates de renouvellement des marchés, alors que de nombreux marchés des établissements sont en cours avec des termes différents…
Le législateur et le pouvoir réglementaire sont restés muets sur cette question.
Cette problématique est, de toute évidence, une des premières que vont rencontrer les établissements de santé suite à la mise en place de ces GHT, puisqu’il s’agit de savoir comment gérer la durée des marchés en cours, afin de synchroniser leur date de renouvellement au sein du GHT.
Une doctrine administrative était donc clairement attendue. C’était l’objet du Guide méthodologique. Tel que nous en avons connaissance, ce Guide, malgré ses 162 pages, ne fait guère la lumière sur le brouillard ambiant.
En effet, pour tenter d’apporter une réponse à cette interrogation, le Guide préconise de mettre en œuvre une « convergence des marchés »[2].
Il s’agit de recenser les différentes dates d’échéance des marchés, puis d’analyser les outils juridiques à disposition pour que les termes de ces marchés soient alignés au plus tard le 31 décembre 2020, afin qu’à compter de cette date, l’ensemble des marchés des établissements parties puissent être passés par l’établissement support.
Si cette démarche n’est pas obligatoire, elle est fortement recommandée par le Guide.
LES MODALITES JURIDIQUES DISPONIBLES EN VUE DE LA CONVERGENCE DES MARCHES
Quatre options sont analysées mais elles suscitent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses.
La cession des marchés en cours
1°) Premièrement, la cession des marchés en cours par l’établissement partie à l’établissement support, sous réserve du consentement du titulaire du marché, est une des solutions juridiques offertes. Toutefois, ainsi que le Guide le remarque, la cession aurait vocation à ne concerner que les marchés d’assistance à maitrise d’ouvrage relatifs aux missions d’accompagnement à la passation d’un marché ou à l’élaboration de plan d’actions des achats.
En effet, seuls ces marchés sont susceptibles d’intéresser l’établissement support dans la mesure où ce dernier assure désormais la passation des marchés des établissements parties au GHT.
Toutefois, on peut lire dans le Guide : « dans le cas où un établissement partie disposerait effectivement d’un marché de ce type, celui-ci aurait été conclu pour satisfaire le besoin spécifique de cet établissement partie. [3]». La cession ne serait pas opportune.
Nous ne partageons pas l’idée selon laquelle ces marchés n’auront pas vocation à être transférés. En effet, les établissements parties à un GHT n’ont plus de besoins en missions d’accompagnement à la passation puisque, depuis le 1er avril 2016[4], la passation de ces marchés doit être assurée par l’établissement support.
En somme, si la cession de certains marchés semble être utile aux établissements qui se sont engagés pour des besoins qu’ils n’ont plus en raison de la réforme, elle ne permet pas d’aligner les dates d’échéance des marchés.
La conclusion d’avenants aux marchés en cours
2°) Deuxièmement, afin de synchroniser le renouvellement des marchés des établissements parties, le Guide préconise la conclusion d’avenants de prolongation ou d’avenants visant à la couverture de besoins supplémentaires. Il faut d’ores et déjà souligner que ces avenants visant à couvrir des besoins supplémentaires auraient ici vocation à allonger la durée du marché. S’ils n’ont pas d’incidence sur la durée, ils n’ont pas d’incidence sur la convergence des marchés.
Sur ce point, il est essentiel de distinguer selon qu’il s’agit d’un marché pour lequel une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence a été envoyé à la publication avant ou après le 1er avril 2016, date à laquelle sont entrés en vigueur l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et son décret d’application n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, qui ont modifié les règles prévues par le Code des marchés publics.
Principalement, seront concernés les marchés qui ont été conclus sous l’empire de l’ancien Code des marchés publics.
S’agissant de ces marchés, l’article 20 du Code des marchés publics, relatif aux avenants, disposait qu’un avenant ou une décision de poursuivre ne pouvait bouleverser l’économie du marché, ni en changer l’objet. La jurisprudence a, quant à elle, estimé qu’une augmentation par avenant de 15 % à 20 % ou plus du prix d’un marché était susceptible d’être regardée comme bouleversant l’économie du contrat.
S’agissant des marchés pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel à la concurrence a été envoyé à la publication après le 1er avril 2016, la règle est désormais fixée expressément[5]. Les marchés peuvent être modifiés si le montant de la modification est, d’une part, inférieur aux seuils européens et, d’autre part, inférieur à 10 % du montant du marché initial pour les marchés publics de services et de fournitures ou à 15 % du montant du marché initial pour les marchés publics de travaux.
Au-delà de ces seuils, le décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics prévoit un faisceau d’indices permettant d’identifier si l’avenant entraine une modification substantielle du contrat. Le cas échéant, l’avenant serait irrégulier.
Les opérateurs devront donc être particulièrement vigilants sur ce point, car si le Guide prône un alignement des termes des marchés en cours, les avenants à ces marchés ne peuvent être signés que s’ils respectent les règles précises applicables à la modification des contrats.
« Une analyse au cas par cas, au regard des montants des marchés et des conditions de mise en concurrence préalable, est nécessaire. »
Au demeurant et en tout état de cause, la durée du marché ne peut pas dépasser celle prévue par les dispositions du Code des marchés publics et de l’ordonnance du 23 juillet 2015. En particulier, la durée des marchés à bons de commande ne peut pas excéder quatre ans, tout comme la durée des accords-cadres.
Enfin, le Guide affirme qu’à partir d’un marché initial d’un établissement partie, et afin d’aligner les termes des marchés, il pourrait être recouru à un avenant pour couvrir les besoins supplémentaires soit d’un établissement partie signataire initial du marché, soit de plusieurs établissements parties au GHT.
Toutefois, la possibilité de couvrir les besoins d’un autre pouvoir adjudicateur dans le cadre d’un marché déjà conclu est illusoire. Soit le marché initial (dans le cadre d’un GCS par exemple) répond d’ores et déjà aux besoins de plusieurs établissements parties au GHT, et dans ce cas, les avenants au marché pourront, en effet, répondre, aux besoins supplémentaires de ces établissements, soit le marché ne répond initialement aux besoins que d’un seul établissement et les avenants ne pourront pas répondre aux besoins d’autres établissements, nonobstant son appartenance à un GHT.
On pressent déjà la nouvelle problématique qui ne manquera pas d’apparaître : qui aura compétence pour signer les avenants des marchés en cours ?
Le Guide reste silencieux sur ce point.
Aujourd’hui, le Code de la santé publique dispose que l’établissement support du GHT assure la « fonction achat » pour le compte des établissements parties au GHT. L’article R. 6132-14-I du Code de la santé publique précise qu’au titre de cette fonction, l’établissement support assure la « passation des marchés ». Or, au sens de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et de son décret d’application du 25 mars 2016, la conclusion des avenants relève de l’exécution des marchés et non de leur passation[6].
A première vue, la signature des avenants relève encore des établissements parties au GHT.
Néanmoins, un projet de décret aurait pour objet de modifier l’article R. 6132-14-I précité en prévoyant que l’établissement support assurerait la passation des marchés et de leurs avenants.
Là encore, de nouvelles questions émergent : quels avenants ? Seulement ceux des marchés dont il aura assuré la passation ? Ou ceux, en plus, de l’ensemble des marchés en cours des établissements membres du GHT ?
Enfin, le Guide aborde mais déconseille deux autres options.
La résiliation des marchés en cours
3°) La première consisterait à résilier l’ensemble des marchés afin d’en conclure de nouveaux. Sous réserve d’accord des parties, une telle solution s’avèrerait coûteuse pour les établissements de santé qui devraient alors verser des indemnités à leurs cocontractants.
La conclusion de nouveaux marchés
4°) La deuxième consisterait à conclure de nouveaux marchés jusqu’à la date prévue pour la convergence des marchés, au 31 décembre 2020. Néanmoins, cette solution ne parait adaptée que pour une certaine catégorie de marchés qui peuvent être contractés sur des périodes courtes.
Compte tenu des contraintes juridiques propres à chacune des solutions offertes pour aboutir à cette convergence tant souhaitée, il sera nécessaire d’être vigilant sur les solutions à mettre en œuvre.
Il est vraisemblable que l’ensemble du panel des options proposées soit nécessaire dans la pratique, chaque marché nécessitant une solution sur-mesure, fonction de sa durée, de son montant et des modalités de mise en concurrence préalable.
En somme, il sera indispensable de procéder à une analyse fine de la situation contractuelle des établissements et d’engager une concertation poussée entre les différents établissements parties du GHT.
Un long chantier s’annonce !
Me Henda BOUCETTA
[1]« I. L’établissement support désigné par la convention constitutive assure les fonctions suivantes pour le compte des établissements parties au groupement :
(…)
3°) La fonction achats ;
(…)»
[2] Guide Méthodologique – La Fonction achat des GHT, page 31 sur 162
[3] Guide Méthodologique – La Fonction achat des GHT, page 76 sur 162
[4] Sous réserve de la publication du projet de décret en cours qui prévoit à son article 2 :
« Le directeur de l’établissement support du groupement exerce les compétences énoncées au sixième alinéa de l’article L. 6143-7 pour le compte des établissements de santé parties au groupement hospitalier de territoire, pour l’ensemble des activités mentionnées à l’article L. 6132-3, au 1er janvier 2018, sauf si une date antérieure a été prévue dans la convention constitutive de groupement hospitalier de territoire. »
[5] Article 139 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics
[6] Titre IV Exécution du marché public, décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics