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« Le sommeil de la raison engendre des monstres ».
Goya (Légende d’une gravure des Caprices)

Dans son Rapport public pour 1991, le Conseil d’État déplorait la «logorrhée législative et réglementaire» ainsi que l’instabilité «incessante et parfois sans cause» des normes. Il réitérait ses critiques notamment dans son rapport pour l’année 2006 et, en 2007, fustigeait des «dispositions dont l’utilité et la pertinence sont douteuses».
Malgré sa création encore récente, le groupement de coopération sanitaire (GCS) illustre malheureusement parfaitement ce constat. En effet, alors que la reconnaissance de son utilité ne cesse de s’accroître, il a d’ores et déjà été créé, défini, précisé, modifié, corrigé, réformé, maquillé, transformé par une litanie de textes législatifs ou règlementaires eux-mêmes rectifiés, modifiés, réformés, abrogés, que nous ne résistons pas au plaisir de psalmodier : ordonnances n° 96-346 du 24 avril 1996, n°2003-850 du 4 septembre 2003, n°2006-460 du 21 avril 2006, lois n° 2002-303 du 4 mars 2002, n°2003-1199 du 18 décembre 2003, n°2004-806 du 9 août 2004, n°2004-1485 du 30 décembre 2004, n°2006-1640 du 21 décembre 2006, n°2008-776 du 4 août 2008, n°2008-1330 du 17 décembre 2008, décrets n°97-240 du 17 mars 1997, n°2005-213 du 2 mars 2005, n°2005-1681 du 26 décembre 2005, n°2006-77 du 24 janvier 2006, n°2006-550 du 15 mai 2006, n°2006-576 du 22 mai 2006, n°2006-577 du 22 mai 2006, n°2006-1332 du 2 novembre 2006, n°2006-1497 du 29 novembre 2006, n°2007-364 du 19 mars 2007, n°2007-704 du 4 mai 2007, n° 2007-1110 du 17 juillet 2007, n°2007-1428 du 3 octobre 2007, n°2008-87 du 24 janvier 2008, n°2008-376 du 17 avril 2008, n°2008-435 du 6 mai 2008, n°2009-801 du 23 juin 2009, n° 2009-959 du 29 juillet 2009, …sans compter, bien sûr, quelques arrêtés et d’immanquables circulaires ou autres instructions plus ou moins officielles.
C’est pourquoi nous étions nombreux à nous réjouir lors de la présentation de la loi HPST qui annonçait une «simplification du droit des groupements de coopération sanitaire» et la confirmation de leur vocation à être le «mode de coopération privilégié entre établissements de santé publics et privés» . Las ! bien imprudemment ! Le résultat est en effet à l’inverse de ce qui était annoncé : la dernière réforme du GCS ne parvient pas à échapper à la règle et traduit une fois de plus l’incapacité des pouvoirs publics et de la représentation nationale à penser cet outil autrement que de manière technocratique, dogmatique, jacobine et toujours …aussi peu globale et cohérente.
De quoi avait-on réellement besoin ?
Simplement de quelques dispositions qui ne nécessitaient pas une réécriture complète du Chapitre III du Livre 1er, voire qui ne relevaient pas forcément de la loi. Il s’agit pour l’essentiel :
– du financement de l’activité des GCS gérant des autorisations, ce qui nécessitait une simple modification du code de la sécurité sociale ;
– du financement des investissements des GCS constructeurs, qui, en l’état des textes, doivent obligatoirement transiter par les établissements membres, dès lors qu’il s’agit d’aides à l’investissement et non de subventions ;
– de la rémunération des gardes et astreintes des médecins libéraux intervenant dans le cadre des GCS, qui nécessite un simple arrêté que l’on nous annonce avec constance depuis plusieurs années ;
– De clarifications fiscales à l’instar de ce qui a été fait dans la période récente pour les associations, afin de couper court aux analyses parfois surprenantes de certains services fiscaux.

Qu’a-t-on obtenu en définitive ?

Du plus visible au plus complexe, on trouve une réécriture de l’ensemble des dispositions du Chapitre III qui passe de 6 articles à 9, l’introduction de règles plus contraignantes que par le passé et surtout la distinction entre GCS « de moyens » et GCS « établissements de santé ».
La réécriture du Chapitre III
Celle-ci présente peu d’intérêt si ce n’est qu’elle semble plus appartenir à la « culture tag » , comportement régressif cher à un ancien ministre de la culture, que relever d’une réelle volonté d’améliorer le texte initial.
Pour le reste, elle confirme ce que nous soulignions déjà dans ces mêmes colonnes :
L’extension du champ est particulièrement opportune : elle concerne pour l’essentiel la recherche et l’enseignement. Les coquetteries rédactionnelles n’apportent quant à elles aucune modification sur le fond en ce qui concerne les activités que peuvent mener les GCS, les établissements n’ayant pas attendu ce texte pour coopérer dans les domaines administratifs, logistiques, techniques ou médico-techniques. Elles ne font que rendre explicite ce qui était implicite, ce qui ne manquera pas de susciter de nouveaux débats pour savoir si les énumérations sont d’interprétation stricte ou pas et sur la définition de tel ou tel item.
La clarification en ce qui concerne les membres est également la bienvenue.
Ainsi, il est mis expressément fin aux débats oiseux concernant la participation sous forme groupée des médecins libéraux. Mais pourquoi avoir retenu la formulation « à titre individuel ou en société » ? Doit-on y voir l’obligation de réserver l’adhésion aux seules formes de sociétés d’exercice libéral ouvertes aux médecins libéraux ? Les associations de la loi de 1901, souvent utilisée en pareilles circonstances, devront-elles être bannies alors qu’elles offrent de plus grandes souplesses de constitution et de gestion notamment lorsque la participation des médecins n’engendre pas de flux financiers entre le groupement et lesdits médecins ?
Il en va de même de la suppression du qualificatif de « concourant aux soins » qui interdisait inutilement l’adhésion de tiers ne remplissant pas cette condition, par exemple des organismes de recherche, mais pas uniquement. Mais pourquoi donc avoir ajouté à la liste les centres de santé ? Ceux-ci ne seraient-ils pas légitimes à participer à un GCS si la loi ne les visait pas de manière explicite ? Qu’en sera-t-il alors des maisons de santé pluridisciplinaires plébiscitées par le Sénat ou de tout nouvel organisme créé par la loi, le règlement ou …par l’initiative privée ? Paradoxalement, la précision sème le doute. Et pourquoi y avoir ajouté les postmodernes « pôles de santé » dont on ne sait même pas s’ils disposeront de la personnalité morale ?

L’introduction de règles plus contraignantes

Sous réserve des surprises que peuvent réserver les futures dispositions règlementaires d’application de la loi HPST, la principale contrainte nouvelle réside dans l’article L. 6133-3 qui ne laisse plus aucune liberté de choix de la nature juridique aux groupements mixtes constitués de membres publics et de membres privés ou libéraux.
Désormais, le GCS sera automatiquement de droit public « si la majorité des apports au groupement ou, s’il est constitué sans capital, des participations à ses charges de fonctionnement proviennent de personnes de droit public ». Dans le cas inverse, il sera obligatoirement de droit privé.
Une telle règle qui peut, de prime abord, paraître de bon sens, est, à l’examen totalement absurde, pernicieuse et contreproductive.
Absurde, dans l’hypothèse où le groupement serait constitué sans capital et où les participations aux charges seraient erratiques d’un exercice sur l’autre ce qui n’est pas un simple cas d’école. Dans une telle situation, il conviendrait, sauf à se mettre en contravention avec la loi, de changer de régime juridique à chaque changement de majorité dans le financement. Cela fera le délice, n’en doutons pas des comptables et des gestionnaires. Heureusement, rien n’interdit encore de faire preuve d’un minimum d’intelligence et figer dans le temps l’équilibre des forces en constituant un capital. Ouf !
Pernicieux et contreproductif, car, pour échapper à ce système infernal et à l’application automatique du droit public, des établissements publics ne manqueront pas de limiter leurs droits sociaux dans le groupement quand bien même ils seraient les plus gros contributeurs ou les plus gros bénéficiaires des services du groupement (C’est d’ailleurs ce que certains font actuellement pensant échapper ainsi aux obligations de publicité et de mise en concurrence d’origine européenne…). A défaut, les partenaires privés pourraient également refuser de participer au groupement, ce qui est une constante de la constitution de tels groupements. En effet, les GCS de droit publics sont intégralement soumis au droit public : personnel, comptabilité, régime des biens propres , marchés, etc. ce qui n’attire pas les foules !
La distinction entre groupements de moyens et établissements de santé
La loi HPST crée le GCS « établissement de santé » ce qui constitue à l’évidence la réforme fondamentale du GCS, le code de la santé publique affirmant jusqu’alors que le GCS n’était pas un établissement de santé .

L’article L.6133-7, 1° alinéa énonce : « Lorsqu’il est titulaire d’une ou plusieurs autorisations d’activités de soins, le groupement de coopération sanitaire est un établissement de santé avec les droits et obligations afférents. Le groupement de coopération sanitaire de droit privé est érigé en établissement de santé privé et le groupement de coopération sanitaire de droit public est érigé en établissement public de santé, par décision du directeur général de l’agence régionale de santé ».
Le code de la santé publique distingue donc désormais :
– le GCS de moyens : articles L. 6133-1 à L. 6133-6 ;
– le GCS établissement de santé : articles L. 6133-7 à L. 6133-8.
La création, pardon l’érection, d’un établissement privé par décision d’un représentant de l’Etat constitue déjà en soi une curiosité juridique. A quand la création des sociétés par décision préfectorale !
Mais ceci n’est pas le plus grave !
Le plus grave, c’est que la disposition risque d’avoir l’effet inverse de celui qui était escompté.
En effet, sauf à y être contraint notamment par la pression amicale du Directeur Général de l’Agence Régionale de la Santé, qui, sain de corps et d’esprit, acceptera de constituer un tel groupement ?
Alors que l’on nous annonçait une simplification et des allègements des contraintes, la loi HPST impose de nouvelles lourdeurs de gestion. Ainsi, en application de l’article L. 6133-7 2ème alinéa, les GCS « établissement public de santé » devront appliquer intégralement les règles de fonctionnement et de gouvernance des établissements publics de santé, sous quelques réserves mineures :
– Les fonctions de l’administrateur du groupement seront exercées en sus des fonctions du directeur ;
– Le conseil de surveillance sera composé de cinq représentants des collectivités territoriales ou de leurs groupements, cinq représentants du personnel médical et non médical du groupement de coopération sanitaire et de cinq personnalités qualifiées, parmi lesquelles deux désignées par le directeur général de l’agence régionale de santé et trois, dont deux représentants des usagers désignées par le représentant de l’Etat dans le département.

En outre, ces groupements devront mettre en place les organes de représentation du personnel prévus par le code de la santé publique comme par le code du travail, alors qu’ils échappaient à cette contrainte tant que le code de la santé publique affirmait que les GCS n’étaient pas des établissements de santé.
Ceci devrait déjà refroidir l’ardeur à constituer de tels groupements destinés à être titulaires d’autorisations d’activités de soins.
Mais ce n’est pas tout !

La reconnaissance de la qualité d’établissement de santé conduira à vider l’objet social des établissements membres, en tout cas pour les activités transférées au groupement. Les membres seront donc plus ou moins solubles dans le groupement, ce qui devrait calmer les ardeurs d’autant plus que ceux-ci resteront, en tout état de cause, responsables des pertes du groupement à proportion de leurs droits sociaux !
Pour les groupements qui se constitueraient malgré tout entre établissements publics de santé, parions qu’on ne manquera pas de leur reprocher d’ici quelques brèves années les mêmes tares que celles que l’on a bien voulu constater dans les syndicats interhospitaliers et qui ont conduit à leur perte. Et ceci d’autant plus, que la plupart devront également être membres d’un Communauté hospitalière de territoire !
Pour les groupements constitués uniquement d’établissements de droit privé, l’intérêt du GCS s’efface par rapport aux autres formes de constitution de sociétés et d’actionnariat croisé qui fournissent des alternatives beaucoup plus prometteuses.
Quant aux groupements mixtes qui par malheur comporteraient un risque d’être qualifiés d’établissement public de santé, parions qu’il ne s’en constituera pas un seul …volontairement.
En effet, au-delà des contraintes de gestion rappelées plus haut, un tel groupement comporterait pour les partenaires privés des vices rédhibitoires lié à son statut public.
Cette situation conduirait inexorablement à :
– La limitation de l’exercice du pouvoir effectif de décision au sein des organes du groupement ;
– L’interdiction de partager les excédents de gestion éventuels entre les membres, puisque ces excédents sont des deniers publics propriétés d’une personne publique ;
– l’impossibilité de toute patrimonialisation entre les mains du ou des membres privés qu’il s’agisse des autorisations ou des biens propres du groupement. En effet, les autorisations sont indissolublement liées au service public et les biens propres du groupement relèvent du domaine public.
Pour toutes ces raisons, nous avons la faiblesse de penser que la loi HPST va à l’encontre des buts affichés d’un renforcement de la coopération entre l’ensemble des acteurs et qu’elle risque même de fragiliser de nombreux groupements mixtes qui font leurs preuves parfois depuis de nombreuses années.
De surcroît, il faut craindre que les dispositions permettant l’emploi direct de professionnels libéraux par les EPS ne mettent un coup d’arrêt aux GCS « libéraux » qui se développent largement.
L’article L. 6146-2 autorise le directeur d’un EPS à admettre des médecins, sages-femmes, odontologistes, auxiliaires médicaux exerçant à titre libéral « à participer à l’exercice des missions de cet établissement » et à exercer leur activité sur les « usagers de l’établissement public concerné ». Les honoraires de ces professionnels de santé seront à la charge de l’EPS et pourront être « le cas échéant minorés d’une redevance ». L’admission fera l’objet d’un contrat avec l’établissement de santé, qui fixera les conditions et modalités de la participation aux missions de l’établissement et sera approuvé par le directeur général de l’ARS.
L’extension à l’ensemble des EPS de la possibilité de recourir à des professionnels libéraux, reconnues jusque là aux seuls hôpitaux locaux, signe la fin de la constitution de GCS motivée par l’interdiction qui était posée par le code de la santé publique de recourir à des professionnels en dehors des statuts publics Il ne s’agit donc plus d’une coopération entre l’hôpital public et les professionnels libéraux mais d’un exercice médical normal des médecins libéraux à l’hôpital public, ce qui était jusque là l’apanage des seules cliniques privées essentiellement lucratives.
En conclusion, on ne peut qu’être très perplexe sur les motivations foncières qui ont conduit à l’adoption d’un tel texte et circonspect sur ses conséquences potentielles. Ainsi que le déclarait justement un des grands théoriciens du management : « Il n’y a rien de plus inutile que de faire avec efficacité quelque chose qui ne doit pas du tout être fait ».

Laurent Houdart, Avocat
Dominique Larose, Juriste

(Article paru dans les Cahiers Hospitaliers)