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La réforme estivale – publication au Journal Officiel du 23 août de l’Ordonnance n°2014-947 du 20 août 2014 relative au taux de l’intérêt légal –  et sans bruit, du mode de calcul du taux de l’intérêt légal, constitue une nouvelle manifestation de la bienveillance des autorités envers le secteur bancaire.

Certains se demanderont peut-être avec une certaine amertume « qui gouverne qui ?»,  ou si l’ennemi désigné d’hier n’est pas aujourd’hui dans la place.

D’autres, et notamment les amateurs de billard à trois bandes, apprécieront à sa juste valeur le soutien apporté à un secteur essentiel au fonctionnement de l’économie du pays, avec les résultats que chacun peut contempler, à défaut de pouvoir s’en réjouir.

Depuis 1989, le taux de l’intérêt légal était fixé par référence au taux des emprunts d’Etat à court terme avec un petit décalage dans le temps,  puisque publié chaque année en début d’année il était égal à « la moyenne arithmétique des douze dernières moyennes mensuelles des taux de rendement actuariel des adjudications de bons du Trésor à taux fixe à treize semaines »[i].

Ainsi, lorsque l’Etat empruntait à des taux élevés, il était élevé (10,26% pour l’année 1991….) et lorsque l’Etat empruntait à des taux bas, voire très bas comme actuellement, il était bas : 0,71% en 2012, 0,04% en 2013 et de nouveau 0,04% pour cette année 2014.

Pour la plupart des créanciers dont la créance est productive d’intérêts au taux légal, à savoir ceux qui ont obtenu la condamnation de leur débiteur par décision de justice, la baisse de ce taux au cours des dernières années était un inconvénient modéré.

Car les dispositions de l’article L.313-3 du Code monétaire et financier  majorent le taux de l’intérêt légal de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire.

En 2013 et 2014, le retard de paiement persistant de leur débiteur était donc en pratique générateur d’intérêts à 5,04 % l’an. Soit tout de même bien plus que l’inflation ou le taux du livret A. Leur pouvoir d’achat était donc en principe préservé (tout le monde ne peut en dire autant), et leurs débiteurs fortement incités à s’acquitter de leurs dettes.

Quant aux autres créanciers, ils ont généralement pris la précaution de stipuler dans leurs contrats ou leurs factures le taux des intérêts moratoires.  Ce qui leur évitait l’application du taux de l’intérêt légal, puisque celui-ci est supplétif du taux conventionnel.

Supplétif, le joli mot.

Qui s’applique si bien à l’Etat lorsqu’il vient encore et toujours au secours des banques.

Il ne suffisait certes pas d’aider les banques dont les taux des emprunts structurés étaient contestés à raison  des omissions ou des erreurs affectant les clauses de taux effectif global, en promulguant ce même été 2014 la loi de validation des taux de ces emprunts. Et en empêchant ainsi leurs clients de bénéficier de l’application du taux légal et de la restitution des intérêts perçus en sus de ce taux.

Il fallait aussi aider toutes les autres banques. Voire le cas échéant, et sous une autre forme, les premières citées, si l’application de la loi de validation venait à être contestée.

Et pour ce faire, le plus sournois malin était certainement de modifier le mode de calcul du taux de l’intérêt légal pour que celui-ci reflète davantage le coût de refinancement des intéressées…. Et bien plus si affinités.

C’est ce que fait la réforme du taux de l’intérêt légal qui résulte de l’ordonnance précitée et qui prévoit deux catégories de taux légal. Le premier, applicable aux créanciers personnes physiques n’agissant pas pour des raisons professionnelles. Le second, applicable aux autres créanciers.

L’ordonnance renvoie le détail de la formule de calcul à un décret.

Mais on sait déjà grâce son article 1er, que le taux légal fera l’objet d’un calcul semestriel sur la base du taux directeur de la Banque centrale européenne, et que le taux applicable à chaque catégorie de créanciers sera fondé sur les taux effectifs moyens des crédits les plus représentatifs du financement de la catégorie considérée.

Le rapport qui accompagne l’ordonnance précise que le taux légal sera ainsi calculé comme un taux de référence (taux directeur de la Banque centrale), auquel sera ajouté l’écart moyen sur deux ans entre le taux du refinancement de la catégorie considérée et le taux de la Banque centrale.

Si on s’intéresse au taux de l’intérêt légal applicable aux créanciers qui ne sont pas des particuliers, on comprend de ces dispositions, qu’à compter du 1er janvier 2015 date d’application de la réforme, le taux légal dont ces créanciers vont bénéficier va tout simplement refléter le taux de refinancement des sociétés non financières.

Lequel n’est évidemment pas différent du taux auxquels les banques prêtent à leurs clients : c’est le même !

En d’autres termes, les banques qui seront créancières d’intérêt au taux légal bénéficieront d’un véritable « effet d’aubaine », puisque leur taux de refinancement sera toujours bien inférieur au taux légal (dès lors qu’elles se refinancent en fonction du taux directeur de la banque centrale sans majoration) tandis qu’elles percevront des intérêts calculés à un taux légal, qui ne sera pratiquement pas différent du taux auquel elles prêtent à leurs clients….

 

Par conséquent, si les taux conventionnels de leurs prêts sont annulés faute d’avoir pu profiter de la loi de validation, ce ne sera plus vraiment un problème.

Le taux du contrat d’hier est annulé ?  Même pas mal !

Je vais vous appliquer le taux légal, qui n’est autre désormais que le taux auquel je prête ces temps-ci…. 

Elle est pas encore plus belle la vie ?

                                                                                                                           Manlius



[i] Il était auparavant (et depuis 1975), égal au taux d’escompte pratiqué par la Banque de France le 15 décembre de l’année précédente.