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GHT MOP
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On apprend que la direction générale de l’offre de soins (DGOS) aurait indiqué, dans un message adressé le 8 décembre dernier à HOSPIMEDIA, « qu’après expertise de la direction des affaires juridiques de Bercy » (DAJ), ce serait « bien l’établissement support du groupement hospitalier de territoire (GHT) » qui serait « compétent pour la passation de tous les marchés, y compris les marchés publics de travaux », à compter du 1er janvier prochain. Il y serait affirmé que, « il ne ressort ni de la loi […] de Santé ni des travaux parlementaires que le législateur réserve ce transfert de compétences aux seuls achats de fournitures et de services. Il convient en outre de considérer qu’une loi spéciale a, par nature, pour effet de déroger à la loi générale, conformément à l’adage speciala generalibus derogant ». Or, selon le message de la DGOS, la loi de Santé aurait « l’aspect » d’ « une loi spéciale » qui dérogerait donc à la loi générale relative à la maîtrise d’ouvrage publique (MOP) (Source : HOSPIMEDIA, 12/12/2017).

Cette prétendue dérogation législative n’a toutefois pas donné lieu au moindre débat parlementaire lors de l’examen de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, bien au contraire :

  • L’exposé des motifs évoquait une simple mutualisation des fonctions et non un transfert de compétences
  • L’étude d’impact évoquait la gestion en commun de certaines fonctions transversales en précisant que le transfert porterait sur la « politique d’achats»
  • Si le rapport déposé devant l’Assemblée nationale envisageait bien « Tous les achats», il précisait immédiatement que la politique d’achats commune du GHT devait s’apprécier « en termes de gouvernance, de pilotage, d’organisation », allant même jusqu’à indiquer : « Concernant la passation des marchés, (…) certains marchés pourront être passés par le GHT pour ses membres ou partie de ses membres »
  • L’amendement N°AS970 présenté par le Gouvernement qui a proposé la substitution de la notion de « fonction achats» à celle initiale de « politique d’achats » n’a donné lieu à aucune justification ni à aucun débat, alors même que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, imposent au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques[1].

Il conviendrait surtout de justifier le fait que l’article 107 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 n’ait pris ni la précaution de viser la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 modifiée relative à la maîtrise d’ouvrage publique ni de préciser l’étendue – et les limites – de la dérogation alléguée aux dispositions de la loi MOP, contrairement à la pratique systématique en cas de dérogation à des dispositions législatives[2].

Il en va d’ailleurs de même du décret n° 2017-701 du 2 mai 2017 relatif aux modalités de mise en œuvre des activités, fonctions et missions mentionnées à l’article L. 6132-3 du code de la santé publique alors même qu’il prend la peine de viser l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

D’aucuns pourraient prétendre qu’il s’agit d’un débat nébuleux voire abscons n’intéressant que des juristes particulièrement sourcilleux ou tatillons.

Cependant, ce qui est en cause ici, ce n’est pas une nouvelle querelle des anciens et des modernes, mais rien moins que la sécurité juridique tant des contrats qui seront signés à compter du 1er janvier 2018 dont l’annulation pourrait être prononcée par les juridictions administratives pour absence de respect de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 par l’établissement partie comme pour incompétence du signataire, que des directeurs d’établissements auxquels il pourrait être reproché de ne pas avoir respecté les obligations qui leur incombaient.

En effet, le transfert de compétences, obligatoire ou facultatif, ne dispense pas ces derniers d’exercer, dans leurs établissements respectifs, la mission générale qui leur incombe en particulier en matière bonne utilisation des crédits, de sécurité des biens et des personnes. Ils restent en tout état de cause l’autorité compétente pour assurer la police générale de l’établissement[3] et doivent veiller à ce que les conventions et contrats qu’ils signent préservent les intérêts bien compris de l’établissement dont ils ont la charge et leur permettent d’exercer pleinement leurs responsabilités de directeur.

Or, comment établissements et directeurs pourraient-ils efficacement se réfugier derrière le seul argument  que constitue le «speciala generalibus derogant», alors même que :

  • le législateur s’est contenté d’évoquer « la fonction achats» (Article L6132-3) qui ne répond à aucune définition dans aucun texte, sans prendre la peine de la qualifier juridiquement ?
  • profitant du vide, c’est le pouvoir règlementaire qui s’est autorisé à lui donner un contenu mouvant par touches successives (Décrets n° 2016-524 du 27 avril 2016, n° 2017-701 du 2 mai 2017, Guide, etc.) ?

Mais allons un peu plus loin. Nous nous apercevons alors bien vite que la doctrine administrative, outre qu’elle ne repose pas sur une base légale solide, présente des incohérences. Ainsi, le Guide méthodologique consacré à la fonction achats dans les GHT indique p. 16 :

Il y a de souligner ques les dispositions de la loi MOP continueront à s’appliquer pour les autres missions composant la maîtrise d’ouvrage (définition du programme de l’opération et de l’enveloppe financière, exécution des marchés publics…), pour lesquelles chaque établissement public de santé conserve son entière compétence.

Or :

  • Comment laisser la faisabilité, l’opportunité de l’opération envisagée, ainsi que la définition du programme à la responsabilité de l’établissement partie sans contrevenir aux dispositions du décret n° 2017-701 du 2 mai 2017 qui prévoit que « L’établissement support est chargé de la politique, de la planification, de la stratégie d’achat et du contrôle de gestion des achats pour ce qui concerne l’ensemble des marchés et de leurs avenants » ?
  • Comment attribuer à l’un la responsabilité de l’enveloppe financière et à l’autre la stratégie d’achat et la passation du marché ?

Au-delà de ces considérations juridiques, pour tous ceux qui pratiquent les marchés de travaux, l’exercice apparaît vite impossible :

  • Comment, par exemple, concilier la responsabilité de la passation du marché qui incomberait à l’établissement support et la signature du marché de délégation de maîtrise d’ouvrage qui relève exclusivement du maître de l’ouvrage ?

Autant les «achats» de biens ou de services peuvent être segmentés, saucissonnés (néanmoins avec difficulté) entre la définition des besoins, la conformité avec la politique achats commune, la passation et l’exécution parce qu’ils reposent sur une relation juridique simple : l’acheteur verse un prix et reçoit du vendeur une contrepartie.

Autant la maîtrise d’ouvrage publique est un mécanisme global et cohérent qui emporte de part et d’autre des obligations complexes qui ne peuvent être saucissonnées : englober la passation des marchés de travaux publics dans la délégation de compétence au bénéfice de l’établissement support conduit immanquablement à désarticuler un dispositif cohérent ce qui entraînera inéluctablement des dysfonctionnements sans apporter la moindre plus-value.

C’est pourquoi, les textes en la matière étant insuffisamment clairs, lisibles et intelligibles et donc sujets à contentieux, nous souhaitons ardemment que la doctrine administrative fasse rapidement l’objet au minimum d’une instruction conjointe du ministère des solidarités et de la santé et du ministère de l’action et des comptes publics présentant l’analyse juridique ayant permis d’aboutir à une telle conclusion.

Une telle publication permettrait :

  • de vérifier la pertinence de l’affirmation des ministères qui ne peuvent se contenter de d’évoquer l’adage « speciala generalibus derogant» qui en soi ne constitue pas une démonstration juridique, le droit n’étant pas une religion ;
  • d’organiser au mieux les relations entre établissements parties et établissement support en précisant les compétences de chacun, pour autant que celles des établissements parties subsistent, et les responsabilités afférentes.
  • de disposer d’un document opposable dont l’efficacité prophylactique devant les juridictions administratives serait vraisemblablement illusoire en cas de contentieux, mais dont devraient tenir compte les juridictions financières lors de l’examen de la gestion des établissements supports et des établissements parties.
  • De clarifier les obligations et responsabilités des acteurs et l’on ne viendrait pas se demander par exemple :
    • A qui incombe la responsabilité juridique, financière, voire personnelle, en cas d’erreur conduisant au constat de la nullité du marché, voire à l’indemnisation des candidats ;
    • à qui incombe l’engagement de la responsabilité d’un cocontractant à raison de fautes commises dans l’exécution d’un contrat et la responsabilité de la perte de l’indemnisation du préjudice éventuel du maître d’ouvrage public en cas d’erreur de procédure ou d’appréciation des faits[4],
    • Etc.

A défaut d’une telle publication, ce seront immanquablement les juridictions qui seront appelées à clarifier la portée de la loi au détriment vraisemblablement des établissements, …voire de leurs directeurs si des fautes pouvaient leur être reprochées.

« Une occasion manquée se retrouve, tandis qu’on ne revient jamais d’une démarche précipitée. » (Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses).

[1] Cons. Const., Décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005.

[2] Pour les dérogations à la loi MOP, voir par exemple, lois n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, n° 2002-1094 du 29 août 2002 d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, no 2001-602 du 9 juillet 2001 d’orientation sur la forêt, no 97-135 du 13 février 1997 portant création de l’établissement public  « Réseau ferré de France ».

[3] CE 17 nov. 1997 n°168606 CHS de Rennes.

[4] CE, 7ème – 2ème chambres réunies, 17/05/2017, n°396241, Mentionné dans les tables du recueil Lebon.