Scroll Top
Partager l'article



*




Il faut toujours se méfier des jolies formules surtout lorsqu’elles recèlent une association de
mots qui confine à l’oxymore. Avant de chercher le concept qu’elle entend imposer, il faut
s’imposer le jeu de la traduction ou plus exactement de la définition.

“Culture” et “Performance” sonnent aussi bien que “Moraliser” et “Capitalisme” ou “Croissance” et
“Maîtriser”.

L’agressivité intrinsèque de performance est adoucie voire légitimée par le mot culture pris dans son acceptation ethnologique(1) qui renvoie à un comportement acquis (donc admis sans plus de discussions possibles) par tous.
Mon esprit retors me pousse à révéler les quelques définitions savoureuses que mon dictionnaire culturel en langue française me livre de performance:

“- (1839)Turf. Manière dont se comporte un cheval de course au cours d’une épreuve;
– (1867) Résultat sportif exceptionnel;
– (1953) Psychol. Résultat individuel dans l’accomplissement d’une tâche, dont les facteurs
principaux sont l’aptitude et la motivation;
– Arts. Production immédiate d’un événement de nature artistique, par gestes, sons musicaux,
mouvements du corps;
-(1943) Techn. Rendement maximal (d’une machine, et, par extension, d’un être vivant, de
l’homme)”
Je retiendrai en l’état que les définitions relevant des Arts ou de la psychologie sont par nature hors jeu.
Ignorant sans doute l’humour (qui ne va pas sans une libre critique de soi-même (2) les tenants de la formule “culture de la performance” ne font pas plus référence aux bourrins qu’aux sportifs (quoique la réunion sous une même chapelle de la santé et du sport aurait pu conduire à de pertinentes comparaisons).
Il nous reste, horreur !, le rendement maximal qui renvoie sans coup férir à la rentabilité (autrement dit le rapport des recettes au montant du capital investi) et à la productivité (valeur de la production rapportée à la quantité de facteurs de production utilisée).

La formule devient aux lieu et place de “culture de la performance” “comportements plus ou moins imposés visant à la rentabilité et à la productivité de l’activité de santé”.
Moins sexy, non?
On pensait encore (naïfs que nous sommes!) que la santé et son parent le médico-social échappaient aux logiques de marché. Que le devoir de nos gouvernants était d’utiliser au mieux les moyens que permettait l’argent public, expression de la solidarité nationale.
On se disait bêtement que bon nombre de mesures pouvaient être prises pour combattre le gâchis, les fraudes et les abus de certains (qu’on hésitait à effleurer d’une réforme pour cause d’enjeux électoralistes) tout en restant dans une logique d’intérêt général.
On se rassurait, nous aussi, avec des formules à l’emporte-pièce comme le droit à la santé, l’égalité des prises en charge, les principes républicains, et que sais-je encore.
Et pourtant! Il n’y aurait que des mots! Mais aujourd’hui, on transpose, en silence, la directive Bolkestein sur les services, et je rappelle incidemment que l’exclusion des services de santé et des services sociaux (SSIG, selon la terminologie communautaire) n’est que provisoire.
Mais foin de notre pessimisme! Regardons vers l’avenir puisqu’on nous y convie !
L’Agence Nationale d’Appui à la performance est là pour mener les établissements vers de nouveaux chemins armés de tous les indicateurs utiles.
Espérons qu’au milieu des indicateurs de suivi économiques et financiers, des données de résultats et de bilan, des comptes
d’exploitation et des relevés de trésorerie, on trouvera encore un peu…d’humanité. Quelle est sa définition?
Le conseil de la baleine aux directeurs d’établissements : c’est d’avoir toujours un dictionnaire de la langue française dans leur bureau.

La Baleine

1 “Ensemble des formes acquises de comportement, dans les sociétés humaines”
2 André Suarès