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Malgré les critiques nombreuses (et justifiées) dont le dispositif du Fonds de soutien[1] aux collectivités territoriales (et à certains établissements publics) ayant souscrit des emprunts à risques n’a cessé de faire l’objet[2], nombreuses seront sans doute les collectivités publiques éligibles à déposer un dossier de demande d’aide dès sa mise en œuvre annoncée pour la fin du mois d’octobre.

Rappelons que le dispositif a pour principal objectif de permettre à ses bénéficiaires de sortir définitivement des contrats de prêt ou des contrats financiers considérés comme « toxiques » car générateurs de risques de taux très élevés (pour certains supérieurs à 20% l’an…).

Certes la loi prévoit « Dans une phase initiale et pour une durée limitée à trois ans à compter du dépôt de la demande, une part de cette aide peut néanmoins être versée pour faire face aux charges financières relatives à ces emprunts et instruments. A l’issue de cette phase, les collectivités territoriales ou établissements publics mentionnés au premier alinéa peuvent obtenir, dans les conditions déterminées par le Comité national d’orientation et de suivi et pour une durée de trois ans renouvelable, la poursuite du versement de l’aide jusqu’au terme des emprunts et des instruments financiers ; dans les autres cas, le versement du solde de l’aide est subordonné au remboursement anticipé des emprunts structurés et des instruments financiers ». Cependant, il ne sera probablement recouru à cette option que très subsidiairement, les banques et en premier chef Dexia Crédit Local et la SFIL/CAFFIL ayant tout intérêt à déboucler définitivement les opérations litigieuses pour pouvoir assainir leurs encours de crédits et de produits dérivés et ne plus s’exposer aux risques d’impayés.

Nous écarterons en conséquence pour l’heure cette hypothèse de notre réflexion.

Il s’agit ici en reprenant chacune des étapes du processus de relever les pièges qu’il recèle, d’éclairer autant que possible les zones d’ombre et de faire quelques  recommandations qui se veulent utiles.

 

1-      Les contrats éligibles

 

Sont éligibles au Fonds de soutien les contrats de prêt structurés classés hors Charte (6 F) ou 3E, 4E, ou 5 E dans la classification dite « Gissler » souscrits par les collectivités territoriales ( communes, départements, régions), leurs groupements (établissements publics de coopération intercommunales, syndicats mixtes, …), les établissements publics locaux et les services départementaux d’incendie et de secours.

Sont également éligibles les contrats financiers (de type généralement swap ou swaptions[3]) souscrits par les mêmes pour lesquels la combinaison du contrat de prêt et du contrat financier associé conduit à une classification Gissler hors Charte (6 F) ou 3E, 4E, ou 5 E. Sous réserve cependant que le contrat financier ait été souscrit avant la première échéance du contrat de prêt auquel il est lié, auprès de la même banque, et dont le montant notionnel est égal au montant en principal dudit contrat de prêt. Conditions, rigides qui excluent de fait un grand nombre  de contrats financiers parmi pourtant les plus risqués signés par les collectivités territoriales dans les années 2005-2008 pour « couvrir » a posteriori des encours de dettes exposés alors à la hausse des taux d’intérêts à court terme ou pour « améliorer » des taux d’intérêts à taux fixes jugés encore trop élevés.

 

2-      Le dépôt d’un dossier de demande auprès de la Préfecture

 

Le dossier de candidature doit comprendre :

–          Un projet de transaction au sens de l’article 2044 du code civil[4] établi entre la collectivité et l’établissement de crédit concerné « portant sur les contrats faisant l’objet de la demande d’aide ».

–          L’avis de l’établissement de crédit sur l’éligibilité au fonds de soutien des contrats faisant l’objet de la demande d’aide.

–          Les contrats concernés.

–          Des pièces justificatives complémentaires devant être fixées par arrêté et qui aux termes du projet de circulaire préfectorale seraient : la justification détaillée et chiffrée de la part du ou des contrats éligibles dans l’encours total de la dette de la collectivité demanderesse au titre des comptes des budgets principal et annexes du dernier exercice clos accompagnés des annexes état de la dette, la population. Eléments indispensables pour apprécier le montant de l’aide susceptible d’être allouée en regard des critères retenus par le Décret du 29 avril 2014 (voir infra).

 

S’agissant d’un projet, la transaction ne revêt pas à ce stade la signature des parties, elle n’oblige en rien.

Cependant l’élaboration d’un tel projet suppose que les parties aient repris langue. Des mesures prudentielles s’imposent en particulier si un litige est en cours. Les banques conduisent souvent leurs interlocuteurs pour plus de rapidité et de fluidité dans les échanges à limiter le recours aux conseils pour privilégier des contacts directs.

 

 

Dès lors, ni l’existence ni le contenu de ces échanges ne sont confidentiels. Par conséquent, et selon la formule consacrée, tout ce que les collectivités pourraient écrire, dire, ou omettre, et a fortiori concéder, est et sera susceptible d’être retenu et utilisé pour contredire ou affaiblir les allégations et les prétentions formulées dans le cadre des procédure judiciaires pendantes devant les juridictions  ou à venir.

Il est en conséquence indispensable de maîtriser très attentivement le contenu des communications afin de limiter au maximum une telle  exploitation et d’être assisté tout au long des négociations par ses conseils (financiers et juridiques).

En outre, si, aux termes de l’article 2 du Décret, la transaction ne doit porter que sur les contrats faisant l’objet de la demande d’aide, il est fort probable que les banques exigeront que le renoncement à toute action judiciaire s’étende à  l’ensemble des contrats souscrits auprès d’elles.

Se pose dès ce stade la question toujours non résolue  des éventuelles concessions accordées par les banques outre leur participation au Fonds de soutien par le biais de leur assujettissement à la taxe systémique ou pour la SFIL/CAFFIL et Dexia Crédit Local leurs versements au fonds de concours.

L’aide accordée par le Fonds de soutien sera-t-elle complétée par une contribution spécifique des banques dans le cadre transactionnel via un abandon partiel des sommes dues au titre des indemnités de remboursement anticipé (IRA)? Le taux des nouveaux emprunts permettant le refinancement des opérations de crédit  et/ou des produits dérivés résiliés par anticipation et de ces indemnités traduira-t-il un réel effort de leur part ou va-t-il au contraire être fixé de telle sorte qu’elles puissent reconstituer leurs marges ? Les emprunteurs devront soigneusement vérifier ces points avec leurs conseils pour éviter d’être de nouveaux les dindons de la farce.    

En tout état de cause, nombre de collectivités dans l’hypothèse même extrêmement favorable d’un versement en une seule fois d’un montant d’aide maximal (soit 45% du montant de l’indemnité de remboursement anticipé) seront de toute façon bien en peine de couvrir le reste à charge…

Surtout, le projet de transaction devra fixer pour chaque contrat le montant de l’indemnité de remboursement anticipé.

 

A cet effet, il est prévu que la banque transmette les éléments utiles au calcul de l’IRA.

 

Il est donc essentiel que le montant évalué par la banque  puisse être soigneusement vérifié non seulement par la collectivité (aidée de ses conseils) mais aussi par le service à compétence nationale chargé de l’instruction des demandes d’aide [5]

 

D’une part, parce que le délai séparant l’envoi du dossier de la communication de la décision de refus ou d’octroi d’aide (trois mois selon le Décret du 29 avril 2014),  peut avoir pour effet de conduire la banque  à majorer ce montant pour  conserver une « marge de sécurité » dans l’éventualité d’une dégradation des conditions de marché sur la période.

 

D’autre part, parce que les textes jusqu’ici publiés ne donnent aucune indication sur la méthode de calcul de ces indemnités, dont on peut donc penser qu’elles seront évaluées en application des dispositions contractuelles y applicables.

 

Or, pour les prêts structurés (c’est moins vrai pour les instruments financiers éligibles), les dispositions des contrats concernés laissent de facto de larges marges de manœuvre à la banque et ne garantissent nullement un traitement loyal et transparent des emprunteurs, d’autant moins que l’évaluation d’une IRA n’est pas une science exacte, et qu’il sera toujours possible à la banque d’exciper de l’évolution des conditions de marché ou de l’absence de liquidité des instruments concernés pour justifier une évaluation supérieure au montant réellement réclamé par la contrepartie de la banque.

 

On peut même imaginer que lesdites contreparties soient particulièrement désireuses de réduire leur exposition sur des banques telles que DEXIA et SFIL/CAFFIL et acceptent de consentir des rabais que ces dernières « oublieront » de répercuter à leurs clients.    

 

Il serait particulièrement choquant  qu’un contrôle déficient ou a fortiori complaisant des pouvoirs publics puisse permettre aux banques-sur lesquelles pèsent des présomptions de méconnaissance systématique de leurs obligations au moment de la conclusion et de l’exécution des contrats toxiques dont les collectivités doivent sortit aujourd’hui à si grands frais-de récolter des marges à l’occasion de ces remboursements anticipés facilités par l’octroi d’aides publiques.

 

Il est donc primordial que les banques agissent cette fois en toute transparence et avec loyauté et fournissent tous les éléments indispensables à la vérification des évaluations des IRA (méthodologie employée, paramètres utilisés, identité et cotations des contreparties, …).

 

L’argent public n’a pas éternellement et itérativement à subvenir aux besoins d’organismes bancaires en difficultés.

 

Par ailleurs, quid du différentiel entre le montant d’indemnité de remboursement anticipé qui va servir à fixer le niveau de l’aide ( qui selon d’aucuns résultera de la combinaison d’un montant d’IRA au 31 décembre 2013 et au 31 décembre 2014, voire au 30 septembre 2014), montant qui pourrait être qualifié de théorique,  et le montant de l’IRA qui devra être versé in fine par la collectivité au jour du remboursement anticipé par le bénéficiaire de l’aide et qui sera fixé par topage avec la salle des marchés ?

Dans l’hypothèse d’une augmentation de l’IRA, du fait de l’évolution des conditions de marché, le différentiel sera-t-il alors à la charge exclusive de la collectivité ? Ce qui aurait pour conséquence de baisser mécaniquement le niveau pris en charge réellement par le Fonds de soutien… Inversement, si le montant de l’IRA est plus faible, le montant de la subvention sera-t-il révisé à la baisse pour rester dans les limites du taux maximal de prise en charge (45%) ?

Les délais extrêmement contraints imposés aux collectivités pour déposer un dossier ( date limite fixée au  15 mars 2015 ramenée au 31 décembre 2014 pour pouvoir bénéficier du versement de l’aide en une seule fois alors même que le Fonds de soutien n’est toujours pas opérationnel)  ne favorisent pas la tenue de pourparlers dans des conditions optimales et hypothèqueront sans doute l’élaboration de contre-propositions efficientes par les collectivités.

Pour éviter encore une fois de subir les « solutions de refinancement » des banques, il est donc souhaitable  que les collectivités publiques procèdent par anticipation et évaluent au plus près, en prenant appui sur des expertises fiables, à quelles conditions le Fonds de soutien et la transaction qui l’accompagne, peuvent constituer de véritables solutions aux problèmes posés par leur encours de prêts structurés ou de produits dérivés à risques.

Dans certains cas, il s’avérera en effet que la solution de « sortie » immédiate via un remboursement anticipé sera, compte tenu du coût financier des emprunts de refinancement, (qui devront intégrer les IRA et préfinancer les subventions du fonds) et des conditions de marché actuellement très défavorables pour certains types d’emprunts ou de swaps, beaucoup plus onéreuse, que la couverture par des produits de marché des risques financiers encourus. Un bilan « coût-avantages » soigneux devra donc être fait avant toute décision.   

 

3-      La procédure d’examen.

 

Dans un premier temps, il revient à la Préfecture dans un délai d’un mois de se prononcer sur la complétude du dossier. Le cas échéant, après un premier examen des comptes de la collectivité en lien avec la Direction régionales des finances publiques, le dossier est transmis pour instruction au service à compétence nationale à qui il revient dans un délai de deux mois d’évaluer le montant de prise en charge pour chaque contrat par le Fonds.

Pour déterminer le montant de l’aide, le service devra s’appuyer sur une « doctrine d’emploi » élaborée en regard des recommandations du Comité national d’orientation et de suivi du fonds de soutien créé par la loi[6]

Le Décret a en outre précisé dans son article 5 que

«  I. ― Le taux de prise en charge par le fonds de soutien tient compte, pour chaque bénéficiaire de l’aide :

1° Du montant de sa dette, rapportée à la population ;

2° De sa capacité de désendettement mesurée par le rapport entre l’encours de la dette et l’épargne brute ;

3° De son potentiel financier rapporté à sa population ou, en ce qui concerne les régions, de l’indicateur des ressources fiscales des régions rapporté à leur population ;

4° De la part des contrats structurés éligibles dans l’encours total de la dette.
Pour les groupements, la population s’entend de la somme des populations des collectivités composant le groupement, telles qu’issues du dernier recensement de population. Pour les services départementaux d’incendie et de secours et les établissements publics locaux, la population prise en compte est celle de la collectivité de rattachement.

Le 3° n’est pas applicable aux services départementaux d’incendie et de secours, aux établissements publics locaux, aux collectivités d’outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie.

II. – Un arrêté conjoint du ministre chargé du budget, du ministre chargé des collectivités territoriales et du ministre chargé de l’outre-mer définit les modalités d’application du I. »

 

L’arrêté n’a toujours pas été publié…Le sera-t-il après la « Doctrine d’emploi » (sur le site de la DGFIP) ?

Ce qui bouleverserait la hiérarchie des normes mais on en est plus à quelques hérésies près…

Déjà nombre d’observateurs  prévoient que le Fonds privilégiera les collectivités les plus petites (moins de 10 000 habitants) disposant dans leur encours d’un emprunt à barrière de change (en particulier EURO/CHF) et dans une situation financière délicate. Peu sans doute parmi ceux-là pourront toutefois bénéficier d’un versement en une seule fois…

 

4-      L’octroi de l’aide

 

La collectivité dispose d’un mois pour répondre favorablement à la décision d’attribution qui lui est notifiée.

On relèvera que les décisions de refus d’attribution, voire les décisions d’attribution ne répondant pas aux attentes des candidats, pourront sans doute fournir un très intéressant contentieux administratif…

Aux termes de l’article 3 du Décret du 29 avril 2014, l’octroi définitif de l’aide est subordonnée à :

–          La signature définitive de la transaction et le remboursement anticipé par le bénéficiaire de l’aide des contrats de prêts ou la résiliation des contrats financiers.

 

Les dispositions réglementaires vont très au-delà de l’article 92 de la loi qui prévoit que « Le versement de l’aide au titre d’un ou de plusieurs emprunts structurés et instruments financiers souscrits auprès d’un même établissement de crédit est subordonné à la conclusion préalable avec cet établissement d’une transaction, au sens de l’article 2044 du code civil, portant sur ceux-ci. »

Dès lors, il conviendra là encore d’être particulièrement vigilant et prévoir dans la transaction les dispositions idoines garantissant à la collectivité  que ses engagements de retrait ou renoncement à tout contentieux ne seront effectifs qu’au jour du premier versement de l’aide.

Cependant, dès lors que l’octroi définitif est également conditionné par l’effectivité du remboursement anticipé, il sera très difficile pour la collectivité de revenir en arrière.

–          La conclusion entre la collectivité et le Préfet d’une convention « définissant les modalités de versement de l’aide ainsi que les modalités de suspension et de restitution de l’aide en cas de non-respect des conditions d’octroi ».

 

Il y a fort à parier que cette convention qui s’apparentera plus à un contrat d’adhésion (voire à une décision unilatérale déguisée) ne laissera pour son élaboration aucune place à la négociation. Or, si manifestement des clauses de suspension ou de restitution de l’aide en cas de méconnaissance par le bénéficiaire de ses engagements seront obligatoirement prévues, quid en cas d’arrêt de versement de l’aide (par principe en quinze annuités) par le Fonds ? Sachant que l’aide ne sera versée qu’à concurrence des crédits disponibles.

Les collectivités auront renoncé à leur contentieux à l’encontre des banques et seront dépourvues de tout moyen d’action à l’encontre de ces dernières. Alors que leur restera-t-il ? Une action contre l’Etat ? Si le législateur a bien pris soin de préciser que le Fonds est abondé à hauteur de 100 millions d’euros pour une durée maximale de 15 ans, ce qu’une loi a fait une autre peut le défaire et les bénéficiaires du fonds de soutien ne disposeront donc pas d’une garantie absolue de perception de l’aide pour son montant promis.

 

Pour toutes ces raisons, si déposer un dossier de demande au Fonds de soutien apparait dans nombre d’hypothèses une option raisonnable, la décision d’acceptation de l’offre qui sera faite devra être très finement réfléchie.



[1] Créé par l’article 92 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 complétée par le Décret du 29 avril 2014 relatif au fonds de soutien aux collectivités territoriales et à certains établissements publics ayant souscrit des contrats de prêt ou des contrats financiers structurés à risque

[2] Voir notamment dans ces colonnes les articles publiés le 30 septembre 2013 « Emprunts toxiques et loi de finances : Fonds de soutien, piège à comptes ? » et le 18 novembre 2013 « Article 60 du PLF 2014 : La peste et le choléra ».

[3] Une swaption est une option call portant sur un swap sur taux d’intérêt (interest rate swap). A l’échéance de l’option, le titulaire de la swaption a la possibilité de conclure un swap sur taux à des conditions prédéfinies.

[4] « La transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.

Ce contrat doit être rédigé par écrit. »

 

[5] Créé par décret n°2014-810 du 16 juillet 2014. Ce service est rattaché conjointement au ministre chargé du budget, du ministre chargé des collectivités territoriales, et au ministre chargé de l’outre-mer. Il est dirigé par M. Régis Baudoin. Il est chargé également  d’élaborer la doctrine d’emploi du Fonds de soutien (après avis du comité national d’orientation et de suivi) et de déterminer les montants d’aide.

[6] Article 92 I de la loi du 29 décembre 2013.