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In memoriam Georges

 

Le Conseil constitutionnel ayant privé la SFIL-CAFFIL, DEXIA, et les autres banques qui ont commercialisé des « emprunts toxiques » auprès des collectivités territoriales et des établissements publics de santé, du cadeau de Noël que constituaient les mesures de validation contenues aux paragraphes II et III de l’article 92 (ex. 60) de la Loi de Finances pour 2014[1],  le gouvernement ne pouvait laisser passer Pâques sans récompenser leurs attentes et leur témoigner de sa sollicitude…..  

 

Il a donc présenté le lendemain du lundi de Pâques, un projet de loi « relatif à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public » qui vise de nouveau à rendre impossible la remise en cause des stipulations d’intérêts de ces contrats de prêts.

 

1-      Un champ d’application très restreint mais comportant des zones de flou….

 

Le projet de loi que vient ainsi de présenter le gouvernement comporte à cet effet trois articles rédigés comme suit :

Article1er

 

Sousréservedesdécisionsdejusticepasséesenforcedechosejugée,est  validée  la  stipulation  d’intérêts  prévue  par  tout  écrit  constatant  un contrat de prêt ou un avenant conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public, en tant que la validité de cette stipulation serait contestée par le moyen tiré du défaut de mention, prescrite en application  de l’article L. 313-1 du code de la consommation, du taux effectif global, du taux de période ou de la durée de période, dès lors que cet écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant indique de façon conjointe :

 

1° Le  montant  ou  le  mode  de  détermination  des  échéances  de remboursement du prêt en principal et intérêts ;

La périodicité de ces échéances ;

Le nombre de ces échéances ou la durée du prêt.

 

Seraient ainsi validés les « télécopies de confirmation » et autres « écrits constatant un contrat de prêt »  conclus par les personnes morales de droit public et qui auraient omis de stipuler[2] le taux effectif global (TEG) alors que la loi, comme l’a reconnu le Tribunal de Grande Instance de Nanterre[3], l’imposait. 

Article2

 

Sousréservedesdécisionsdejusticepasséesenforcedechosejugée,est  validée  la  stipulation  d’intérêts  prévue  par  tout  écrit  constatant  un contrat de prêt ou un avenant conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi entre un établissement de crédit et une personne morale dedroitpublic,entantquesa validité serait contestée par le moyen tiré de la mention d’un taux effectif global, d’un taux de période ou d’une durée de période qui ne sont pas déterminés conformément à l’article L. 313-1 du code de la consommation, dès lors que cet écrit constatant un contrat de prêt ou un avenant indique de façon conjointe :

 

1° Le  montant  ou  le  mode  de  détermination  des  échéances  de remboursement du prêt en principal et intérêts ;

La périodicité de ces échéances ;

Le nombre de ces échéances ou la durée du prêt.

 

 Lorsqu’un écrit tel que celui mentionné au premier alinéa mentionne un taux effectif global inférieur au taux effectif global déterminé conformément à l’article L. 313-1 du code de la consommation, l’emprunteur a droit au versement par le prêteur de la différence entre ces deux taux appliquée au capital restant dû à chaque échéance.

 

Seraient ainsi également validés les contrats de prêt et autres « écrits constatant un contrat de prêt » conclus par les personnes morales de droit public et dans lesquels le TEG aurait été mal calculé, ou qui auraient omis d’indiquer le taux et/ou la durée de la période.   Là encore et sur cette dernière hypothèse, cet article vient en réponse à une récente décision du Tribunal de Grande Instance de Nanterre.[4]

 

Article3

Sont exclus du champ de la présente loi les écrits constatant un contrat de prêt ou un avenant comportant un taux d’intérêt fixe ou un taux d’intérêt variable défini comme l’addition d’un indice et d’une marge fixe exprimée en points de pourcentage.

Seraient ainsi exclus de cette validation, les prêts « classiques », à taux fixe ou à taux variable afin, dans l’esprit des rédacteurs de ce projet, que les deux mesures de validations que constituent les deux articles précédents ne s’appliquent qu’aux prêts dits structurés.  

 

Comme on le constate à la lecture de ces dispositions, le moyen de la « sécurisation » législative des contrats de prêts concernés par ces mesures est déjà connu: via une « validation législative » cette loi dispose, en dérogation de l’article 2  du Code civil, pour le passé afin de couvrir a posteriori un vice entachant lesdites conventions.

 

Mais, à la différence du dispositif présenté fin 2013, cette nouvelle mouture n’a pas en outre pour ambition de légiférer pour l’avenir ; son effet est strictement limité au « stock existant » des prêts concernés. En effet, ce projet de loi se borne à valider les stipulations d’intérêts des écrits constatant un contrat de prêt ou un avenant conclus antérieurement à son entrée en vigueur. Les contrats de prêt conclus postérieurement à cette loi ne seront donc pas concernés par elle.

 

C’est par conséquent un assez rare exemple de loi dont l’effet ne sera « que » rétroactif, même si évidemment cette loi vise à empêcher aussi de futurs contentieux, et fait réserve, ainsi que l’y oblige les principes dégagés par le conseil constitutionnel sur le fondement de la séparation des pouvoirs législatifs et judiciaires, des décisions de justice passées en force de chose jugée.

 

Le projet de loi limite par ailleurs ses effets aux « personnes morales de droit public » : les emprunteurs de droit privé ne sont donc plus concernés, alors que le dispositif initial s’appliquait à tous les emprunteurs sous réserve qu’il s’agisse de personnes morales.

 

Ce projet exclut aussi de son champ d’application les « écrits  constatant un contrat de prêt ou un avenant comportant un taux d’intérêt fixe ou un taux d’intérêt variable défini comme l’addition d’un indice et d’une marge fixe exprimée en points de pourcentage ». Ce qui fait qu’en pratique, seules les stipulations d’intérêts des contrats de prêts dits « structurés » dont la stipulation d’intérêt est plus complexe qu’un simple taux fixe ou variable se présentant sous la forme de l’addition d’une marge fixe à un indice de référence, vont être validées par cette loi.

 

Les contrats des prêts « classiques » resteront hors champ et, le cas échéant, pourront donc donner lieu à une remise en cause de l’intérêt conventionnel stipulé en cas d’omission du TEG ou  d’erreur commise par la banque dans son calcul ou encore dans l’application du texte (par exemple parce qu’aura été omise l’indication du taux ou de la durée de la période comme le prévoit la loi).

 

On est ainsi très loin des ambitions initiales du paragraphe III de l’article 92 du projet de loi de finances qui, en introduisant un nouvel article  L. 313-2-1 dans le Code de la consommation, remettait en cause de façon générale la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur les conséquences à tirer des omissions ou des erreurs commises dans l’application de la réglementation sur le taux effectif global lorsque le prêt était consenti à une « personne morale ».

 

Ce texte remplaçait en effet la sanction résultant de cette jurisprudence, à savoir  la nullité de la stipulation d’intérêts et la substitution du taux légal au taux conventionnel, par une simple obligation de règlement par le prêteur de la différence éventuelle entre le taux d’intérêt stipulé et le TEG réel correctement calculé. Et il s’appliquait à tous les emprunteurs  personnes morales,  qu’ils soient de droit public ou de droit privé, et y compris donc aux entreprises, ainsi qu’à toutes les catégories d’emprunts passés ou à venir.

 

En cherchant désormais à imposer aux banques « Lorsqu’un écrit constatant  un contrat de prêt ou un avenant conclu antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi mentionne un taux effectif global inférieur au taux effectif global déterminé conformément à l’article L. 313-1 du code de la consommation », de verser à l’emprunteur « la différence entre ces deux taux appliquée au capital restant dû à chaque échéance » pour les seules opérations conclues « entre un établissement de crédit et une personne morale de droit public » , et pour autant qu’il ne s’agisse pas de prêts dont la clause d’intérêts est une clause d’intérêt fixe ou variable « simple », le projet de loi a considérablement restreint son champ d’application.

 

Ce qui fait irrésistiblement songer au thésard en histoire, qui après avoir choisi comme sujet de thèse les guerres puniques, en vient à ne se consacrer qu’au guerrier punique, puis à l’uniforme du guerrier punique, puis enfin à la plume du casque du guerrier punique,  pour ne pas succomber sous la tâche…  

 

Pour les banquiers qui ont subi le relèvement du taux de la taxe de risque systémique afin de co-financer le fonds de soutien aux collectivités territoriales, seul rescapé du naufrage constitutionnel de l’article 92 de la Loi de finances pour 2014, ce renoncement aux ambitions initiales du gouvernement est forcément décevant.

 

Leur mise à contribution avait été acceptée moyennant la révision de la législation sur les TEG et en particulier la mise au ban de la jurisprudence décennale de la Cour de Cassation et ce quels que soient les emprunteurs personnes morales et notamment les entreprises. Or si leur contribution reste, leurs soucis concernant le TEG n’ont pas pour autant disparu… De sorte que s’ils espéraient un arrêt des contentieux liés au TEG, sachant que la plupart d’entre eux n’ont pas consenti de prêts structurés, et n’avaient d’ailleurs même pas de personnes morales de droit public dans leur clientèle, ce ne sera pas pour cette fois-ci. 

 

Partie remise ?   

 

Toutefois, même ainsi défini a minima, le champ d’application de ce texte comporte des zones de flou.

 

Si les prêts structurés les plus « toxiques »  dont la formule de taux repose sur un écart d’indices (prêts de pente, prêts indexés sur des écarts de parité monétaire cotés entre 3D et 6F (hors charte) selon l’échelle de risques de la charte Gissler), sont certainement dans le champ,  et  si les prêts classiques (« non-structurés ») à taux fixe simple ou à taux variable simple sont tout aussi certainement en dehors de ce champ,  quid des produits structurés dits de première génération  du type EURIBOR post fixé – 0,31 % ou Tec 10 post fixé – 1,30% ?

Car si le taux de ces prêts est un taux variable, il est exprimé sous la forme de la « soustraction » et non de « l’addition » d’un indice et d’une marge fixe.

 

Si dans l’esprit des rédacteurs de ce texte, il est probable que l’application s’impose dans ce cas

au motif qu’il s’agit d’additionner une marge négative, on relèvera qu’un texte dérogatoire est d’interprétation stricte.

 

On peut également se demander si les prêts à barrière simple du type : taux fixe de x% sur une première période puis taux fixe de x % si l’Euribor 12 mois est inférieur à  5,50%, sinon taux variable = Euribor 12 mois + une marge de 0,05% ne vont pas aussi poser un problème d’interprétation des dispositions de ce texte.

 

On a vu que sont exclus de son champ d’application les prêts comportant un taux d’intérêt fixe ou un taux d’intérêt variable.  Mais cela signifie-t-il que ne sont exclus que les prêts soit à taux fixe, soit à taux variable sur toute leur durée (« à taux fixe ou à  taux variable ») ?  Les prêts comportant une phase à taux fixe et une phase  à taux variable seraient-ils alors forcément dans  le champ d’application de ces mesures de validation?

 

Pourtant, dans l’exemple précédent, le prêt est bien « à taux fixe ou à taux variable », en fonction du moment et des circonstances, et lorsqu’il est à taux variable, son taux résulte bien de l’addition d’un indice et d’une marge fixe exprimée en points  de pourcentage…

 

Et qu’entend- on par « indice » ?

 

Un indice affecté d’un coefficient multiplicateur (ex. 2* LIBOR Franc suisse + constante)  est-il encore un indice ? 

 

Un indice pourtant aujourd’hui « hors charte » GISSLER tel qu’un indice relatif aux matières premières, aux marchés d’actions ou un indice propriétaire non strictement adossés à un indice autorisé par la Charte, ou encore un indice de crédits ou un indice de référence à la valeur de fonds ou à la performance de fonds qui serait utilisé par un prêt et rendrait celui-ci potentiellement « toxique » car faisant varier le taux en fonction du cours d’un sous-jacent particulièrement volatil ou démultipliant les hausses des taux interbancaires ferait-il que ce prêt reste en dehors du champ de la validation législative parce que le taux est calculé par l’addition d’une marge fixe à cet indice ?

 

Et la résultante de la soustraction de deux indices (ex.[2 fois Euribor 12 mois-TEC 10]) ne peut-elle être considérée aussi comme un indice ?

 

Ce qui, dans ce dernier cas pourrait exclure  du champ d’application du texte des produits assez risqués de type OVERTEC qui comportent deux phases, la première à taux fixe, et la seconde pendant laquelle l’intérêt est calculé comme suit : [2xEuribor 12 mois – TEC10] + une constante K exprimée en points de pourcentage.

 

En dépit de la procédure accélérée choisie par le Gouvernement, et qui limite l’examen de ce texte à une seule lecture par chaque chambre,  il faut espérer que les travaux parlementaires permettront de préciser davantage certains termes de ce projet, en particulier ce qu’il faut entendre par « indice »  et par « l’addition » d’un indice et d’une marge fixe.

   

Remarquons également, qu’un champ d’application aussi restreint pourrait bien entraîner des effets pervers. Imaginons un emprunteur qui aurait dans son encours avec la même banque un prêt à taux fixe dont le taux est élevé, et un prêt à taux variable dont les variations futures l’inquiètent, et un prêt indexé sur la parité Euro Franc suisse qui s’avère comme tous les autres du même type, catastrophique.

 

Admettons que chacun de ces prêts souffre d’une imperfection de sa clause de TEG : le calcul est erroné, le taux de période ou la durée de la période ne sont pas indiqués, ou encore le TEG n’est pas mentionné dans la télécopie de confirmation de l’opération de prêt.

 

Si le projet de loi devait être adopté, l’emprunteur ne pourrait plus remettre en cause la clause d’intérêt du prêt structuré. Il pourra en revanche toujours contester les taux d’intérêts conventionnels des deux autres pour notamment disposer  d’un levier dans le cadre de négociations sur l’emprunt structuré.

 

La nature ayant horreur du vide, il peut arriver qu’en chassant une contestation par la porte, deux autres entrent par la fenêtre, s’il ne reste plus que ce moyen pour tenter de parvenir à un accord transactionnel avec la banque sur l’application du taux structuré.

 

 

2 – Une constitutionnalité encore et toujours douteuse

 

Dans sa décision précitée, le Conseil constitutionnel avait censuré la mouture précédente de la loi de « sécurisation », au double motif de la nature de cavalier budgétaire de la réforme du Code de la consommation, et de la disproportion entre les buts affichés par le gouvernement i.e. « prévenir les conséquences financières susceptibles de résulter, pour certains établissements de crédit auxquels l’État a apporté sa garantie et qui ont accordé des emprunts « structurés » à des collectivités territoriales » et les moyens employés. Le Conseil constatant que la mesure de validation s’appliquait « à toutes les personnes morales et à tous les contrats de prêts », et que les critères ainsi définis  n’étaient donc « pas en adéquation avec l’objectif poursuivi », cette validation revêtant « une portée très large » de sorte que  « les dispositions contestées » portaient selon lui « une atteinte injustifiée aux droits des personnes morales ayant souscrit un emprunt ».

 

Il ne faut pas chercher plus loin le motif du rétrécissement ci-dessus décrit du champ d’application de ces mesures de validation : dans leur première version elles « allaient trop loin »  en bénéficiant à toutes les banques pour tous leurs emprunts passés et futurs avec toutes les personnes morales, alors qu’il ne s’agissait somme toute que de préserver DEXIA et la SFIL-CAFFIL des risques des contentieux opposant ces banques à des collectivités publiques à raison de leurs emprunts structurés passés. C’est ce qui explique que ne sont désormais dans le champ de ces mesures que les seuls prêts structurés ayant déjà été consentis à des personnes morales de droit public.

 

De cette façon, il n’y a plus de disproportion entre le but officiellement poursuivi et les moyens utilisés, et le texte ne devrait donc plus encourir cette critique.

 

Cependant, dans leur application scolaire des termes de la décision du  Conseil Constitutionnel, les auteurs du projet semblent avoir oublié que celui-ci n’a pas écarté, mais simplement jugé qu’il n’était pas « besoin d’examiner »  les autres griefs qui avaient été présentés par les requérants au soutien de leur recours constitutionnel.

 

A savoir, la rupture d’égalité entre les personnes (puisque seules les personnes morales étaient privées du droit de remettre en cause les clauses d’intérêts de leurs emprunts), et l’absence d’intérêt général suffisant. Puisque, comme le rappelle le Conseil, « aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 » : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’à point de Constitution »,  et que par conséquent le législateur ne peut modifier « rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé »,  qu’à « la condition de poursuivre un but d’intérêt général suffisant »

 

Or il se pourrait bien que ces deux griefs justifient une nouvelle censure de la part du Conseil, que ce soit dans le cadre d’un nouveau recours avant la promulgation de la loi, ou dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.

 

Car, même si elle n’est plus la même, il y a toujours une rupture d’égalité. Qui s’opère cette fois-ci  au détriment des personnes morales de droit public dès lors qu’elles perdent la possibilité de contester les clauses d’intérêts de leurs prêts structurés, alors que les autres personnes, morales ou physique, qui auraient contracté de tels emprunts vont pouvoir continuer à se prévaloir de la jurisprudence de la Cour de cassation pour contester les taux d’intérêts qui leur sont demandés.

 

On dira que ce traitement inégal est désormais justifié par l’objectif poursuivi par la loi qui est de préserver les banques DEXIA et SFIL-CAFFIL contre les recours intentés par leurs emprunteurs, qui sont pour l’essentiel des personnes morales de droit public, et que ces mêmes personnes morales de droit public pourront, pour les prêts concernés, bénéficier du fonds de soutien institué par le paragraphe I de l’article 92 de la loi de finances pour 2014.

 

Tandis qu’auparavant seules les personnes morales de droit public éligibles au fonds de soutien pouvaient en bénéficier, alors que toutes les autres personnes morales sans distinction étaient également privées de leur droit à contester en justice les taux de leurs emprunts sans avoir de droits au titre du fonds. 

 

Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans ce domaine, la discrimination qu’emporterait nécessairement une telle mesure serait dès lors acceptable, puisqu’il y aurait ainsi un « lien direct et rationnel » entre les différenciations de traitement opérées par la loi et l’objectif qu’elle poursuit. 

 

Cependant, une partie de cet argument manque en fait : toutes les personnes morales de droit public sont affectées par ces mesures de validation, mais certaines d’entre elles, qui ont pourtant de lourds encours d’emprunts structurés, ne sont et ne seront  pas éligibles au dispositif du fonds de soutien. En particulier les établissements publics de santé ou les offices d’HLM constitués sous forme d’offices publics à l’habitat.

 

Pour les établissements publics de santé, le gouvernement a bien annoncé quelques jours avant le dépôt du projet de loi un « dispositif »[5] des mesures d’aides exceptionnelles d’un montant de 100 millions d’Euros[6], mais ces aides ne sont pas précisément définies, et surtout, elles ne sont gagées sur aucune ressource, à la différence du fonds de soutien. Enfin, leur montant est de toute évidence parfaitement insuffisant au regard des encours de prêts structurés toxiques portés par ces établissements. Ceux-ci  se chiffrent en milliards d’Euros  (on estime l’encours de prêts structurés à huit milliards d’Euros dont un milliard et demis sont considérés comme « toxiques ») alors que cent millions d’Euros ne permettront de désensibiliser qu’environ 70 millions d’Euros de prêts indexés sur la parité Euro –Franc suisse, compte tenu du montant actuel des indemnités de remboursement anticipé exigées pour mettre fin à ces opérations.

 

Les caractéristiques du fonds de soutien comme celles du dispositif réservé aux hôpitaux qui apparaît plus comme un instrument tactique visant à calmer les mécontentements du monde hospitalier ne permettront pas de désensibiliser les encours du monde public local qui se trouvera de surcroît dépourvu d’un certain nombre de moyens d’action en justice.

 

En outre, ces dispositifs pourraient conduire en raison même de leur fonctionnement ( qui pose comme objectif, une sortie définitive des emprunts entraînant le paiement du capital restant dû et du montant exorbitant de l’indemnité de remboursement anticipé) à un surendettement des établissements et collectivités concernés qui devront trouver les ressources pour  non seulement financer la part leur restant mais également assurer l’avance du paiement qui sera couvert par tranches annuelles par le fonds.

 

Une banque qui a commercialisé des emprunts structurés auprès d’une clientèle de personnes morales de droit privé, pourrait également se plaindre – à plus ou moins juste titre- que les emprunts en question soient toujours à risques de contentieux, alors que d’autres banques, concurrentes, qui auront commis les mêmes erreurs pour  les mêmes types d’emprunts, seront désormais à l’abri des poursuites parce qu’elles auront prêté, sans risque, à des personnes publiques.  

 

Cette même banque serait-elle pas en droit de fustiger l’aide sélective de l’Etat ?

 

C’est une autre question que pose ce texte qui, en définitive, induit non pas une, mais des ruptures d’égalité dont la légitimité échappe à l’observateur.

 

En outre, et peut-être surtout, la limitation du champ d’application du texte fait forcément douter de l’existence d’un motif d’intérêt général suffisant.

 

On sait que tant le Conseil Constitutionnel que la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’ont admis la constitutionnalité, pour le premier, ou la compatibilité avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme pour la seconde, de validations législatives similaires que si celles-ci étaient justifiées par un « impérieux motif d’intérêt général ».

 

Ce à quoi peuvent correspondre, pour le Conseil Constitutionnel, « la nécessité d’éviter le développement d’un contentieux pouvant entraîner des conséquences financières préjudiciables à l’équilibre des régimes sociaux » (CC n° 93-332 DC du 13 janvier 1994) ou encore celle « de prévenir un contentieux pouvant entraîner des risques considérables pour l’équilibre du système bancaire et, par voie de conséquence, pour l’activité économique » (CC n° 96-375 DC du 9 avril 1996).

 

Pour ces juridictions, le droit au respect des biens (y compris aux « espérances légitimes » de créance des emprunteurs[7]) et des instances en cours, implique que toute atteinte à ce droit doit être justifiée par des considérations d’intérêt général la rendant indispensable.

 

En circonscrivant l’application de ces mesures de validation législatives à, pour l’essentiel, l’encours des prêts structurés de DEXIA et de SFIL-CAFFIL, force est de constater que l’intérêt général mis en avant est en réalité l’intérêt financier particulier de l’Etat et même le seul intérêt financier de l’Etat actionnaire.

 

Lequel  ne devrait pas en principe être confondu avec l’intérêt général proprement dit.

 

Ce d’autant que l’intérêt général devrait conduire à sanctionner conformément au droit positif la mauvaise application par les banques concernées de la réglementation en matière de TEG afin d’ éviter aux personnes morales de droit public victimes de ces manquements de devoir payer des taux d’intérêts exceptionnellement élevés.

 

Conscients des faiblesses de sa position, le gouvernement accompagne la présentation du projet de loi d’une « étude d’impact » qui vise manifestement à édifier ses lecteurs sur les conséquences insupportables qu’aurait selon eux l’absence de loi de validation pour les finances publiques, pour le financement des collectivités locales, et pour la « France » en général.

 

Il est expliqué en effet que le risque posé par la jurisprudence qu’il s’agit de réduire à néant par la voie législative peut être évalué à dix-sept  milliards d’Euros.

 

Dont dix milliards au titre du risque financier « direct »  correspondant aux provisions qui devraient être dotées si l’ensemble des contentieux potentiels devaient être provisionnés, et sept milliards correspondant au risque financier indirect induit par le coût de la mise en extinction de SFIL-CAFFIL qui, selon le gouvernement, résulterait nécessairement de la recapitalisation dont aurait besoin cet établissement pour doter ces provisions.

 

Dix-sept milliards c’est évidemment beaucoup d’argent, sachant que selon le gouvernement neuf milliards de risques se matérialiseraient dès la fin 2014/début 2015. Le gouvernement n’hésite donc pas à écrire  que cet impact sur les finances publiques  « devrait impérativement être compensé par des mesures d’économies de grande ampleur à très court terme avec des répercussions très significatives sur l’économie ».

 

Quant à la mise en extinction, de SFIL-CAFFIL qui résulterait « nécessairement » de l’absence de loi de validation, elle provoquerait « à court terme des perturbations du financement du secteur public local » et « ne manquerait pas d’avoir des effets défavorables sur la disponibilité des crédits octroyés par les banques aux collectivités locales ».

 

Cependant, si l’on prend une par une les conséquences prétendues d’une telle absence, on se rend compte assez vite que l’on joue bien abusivement sur des peurs irrationnelles.

 

Prenons par exemple, les « pertes significatives qu’enregistrerait le secteur bancaire dans son ensemble » (page 8 de l’étude d’impact » et les prétendus effets défavorables sur la disponibilité des crédits octroyés par les banques aux collectivités locales (ibid p. 7).

 

La même étude reconnait pourtant in fine (p. 8) que dans le cas des autres établissements de crédit de la place « aucun chiffrage précis n’est disponible ». Et que DEXIA CREDIT LOCAL et SFIL-CAFFIL « concentrent une part significative des prêts structurés ». On sait également, par le document présenté au Conseil Constitutionnel par le Gouvernement pour défendre son premier projet, que les autres banques parviennent à trouver des accords transactionnels avec leurs clients.

 

On sait aussi que la disponibilité des crédits bancaires pour les collectivités territoriales,  mais aussi pour les établissements publics de santé  s’est rétablie à partir de 2012 comme l’a constaté le Cour des Comptes dans ses derniers rapports sur la dette des collectivités territoriales, et sur la dette des établissements publics de santé. Et ce, au moment même où  que se multipliaient les contentieux sur les emprunts structurés comme l’explique l’étude d’impact.

 

Enfin, aucune banque autre que DEXIA CREDIT LOCAL, ou la SFIL-CAFFIL, n’a fait état de risques significatifs pour elle-même qui seraient liés à ces contentieux. Quant à l’ACPR et la Fédération Bancaire Française, elles  n’ont pas non plus identifié de risque systémique pour le secteur en raison de ceux-ci. On peut pourtant ne pas douter que la Fédération Bancaire Française et le régulateur n’auraient pas manqué de tirer le signal d’alarme, et pour ce dernier d’exiger des provisionnements, si les contentieux liés aux emprunts structurés mettaient réellement en péril de nombreuses banques françaises.

 

Les allégations du Gouvernement sur les conséquences sur le système bancaire et sur son offre de crédits aux collectivités territoriales ne reposent donc sur rien de tangible.

 

Elles ne sont d’ailleurs absolument pas chiffrées, puisque les seuls chiffres présentés sont les chiffres de provisionnement et de recapitalisation de DEXIA CREDIT LOCAL et de SFIL-CAFFIL.

 

Les chiffres en question, dix milliards d’Euros de risque direct (10,6 exactement), sept milliards d’Euros de risque indirect, sont d’ailleurs eux-mêmes tout aussi sujets à caution.

 

Aux termes mêmes de l’étude d’impact, les dix milliards d’Euros de risques financiers directs, dont 7,5Md€ pour SFIL et 3,1Md€ pour DEXIA correspondent au montant des provisions qui devraient être dotées si tous les contentieux potentiels devaient être provisionnés à 100%.

 

Mais cela supposerait que tous les crédits structurés soient ainsi provisionnés.

 

Or, tous ne sont pas « toxiques » et donc tous ne donneront pas lieu à des recours en justice de la part des emprunteurs (pourquoi le feraient-ils ?), et pour ceux qui le sont, les recours qui étaient envisageables sont souvent désormais impossibles car tout a été fait par ces banques pour gagner du temps de sorte que beaucoup d’actions sont désormais prescrites.

 

Si l’on prend par exemple les contentieux liés à l’absence de TEG, sur le fax de confirmation, cette absence étant visible le jour de la réception du fax, la prescription de cinq ans a atteint toutes les opérations de ce type, et elles sont très nombreuses, contractées avant 2008. 

 

 

Au demeurant, en dépit de la publicité donnée à la question des emprunts toxiques on ne recense à la fin de 2013  « que » 205  actions en justice (page 4 de l’étude d’impact) ce qui est finalement assez peu si l’on songe qu’un bien plus grand nombre d’emprunteurs ont été victimes de ces emprunts structurés qui ont été distribués par milliers en particulier par DEXIA CREDIT LOCAL.

 

La réalité du risque de provisionnement est donc bien inférieure à ce que prétend le gouvernement : on peut l’estimer aux provisions correspondant aux encours faisant déjà l’objet de procédures contentieuses, soit 3,3 Mds€ au premier semestre 2014 pour la SFIL et 0,3 Mds€ pour DEXIA selon les chiffres communiqués par l’étude d’impact. 

 

Ces montants ne sont évidemment pas négligeables, mais ne constituent pas un risque systémique.

 

Il n’en va ni de l’intérêt des finances publiques, ni de celui du système bancaire, ni encore moins de l’intérêt de la France …

 

Le gouvernement confond sans doute l’intérêt particulier de l’Etat actionnaire et l’intérêt général.

 

Anticipant la critique, l’étude d’impact s’empresse d’ajouter que ces chiffres sont « sans doute des minorants » (on appréciera à sa juste valeur ce « sans doute » qui trahit le peu d’assurance des auteurs de l’étude…), au motif que la revue de la qualité des actifs de SFIL-CAFFIL et de DEXIA qui sera conduite par la BCE exigera un niveau de provisionnement supérieur à celui exigé par leurs commissaires aux comptes.

 

Ceci n’est pourtant nullement prouvé, et n’est guère charitable pour ces derniers, dont il n’y a pas de raison de douter a priori qu’ils ont par prudence fixé leurs exigences de provision à un niveau adéquat, et ce d’autant que les risques en question sont facilement évaluables.

 

Il est également prétendu que si ces chiffres sont des « minorants » c’est parce que de nouvelles assignations vont accroître à due concurrence le montant des provisions à doter. Mais cet argument ignore délibérément que  ces nouvelles assignations seront de moins en moins nombreuses du fait de la prescription, et qu’il n’y a pas de raison objective à ce que des emprunteurs qui n’ont rien fait se réveillent brutalement pour assigner leurs banques au seul motif de l’absence de loi de validation.

 

Compte tenu de la date de leur mise en place et de la durée des périodes de taux bonifié, la plupart des « emprunts toxiques » sont désormais en phase de taux structuré et leurs emprunteurs savent à quoi s’en tenir : s’ils n’ont pas agi dès à présent, c’est qu’ils n’ont pas voulu le faire. Pourquoi voudraient-ils tous le faire maintenant ?

 

Surtout, le Décret n°2014-444 du 29 avril 2014 relatif au fonds de soutien aux collectivités territoriales et à certains établissements publics ayant souscrit des contrats de prêt ou des contrats structurés à risque subordonnant l’octroi de l’aide à la conclusion d’un protocole transactionnel entre la banque et l’emprunteur conduira les candidats au fonds à chercher des voies autres que contentieuses.

 

Que l’Etat n’ait pas envie, et n’ait guère les moyens de recapitaliser la SFIL-CAFFIL et, encore et toujours, DEXIA, chacun peut  le comprendre.

 

Mais alors, pourquoi avoir fait le choix de la reprise de DEXIA MUNICIPAL AGENCY (DMA) rebaptisée CAFFIL et partant de l’essentiel des emprunts toxiques distribués par DEXIA CREDIT LOCAL?

 

N’oublions pas non plus que cette reprise s’est faite à l’euro symbolique pour cause d’absence de garantie de passif de la part du vendeur (DEXIA) et des risques liés aux emprunts structurés sensibles figurant au bilan de DMA. Pour  l’Etat une disparition des risques contentieux liés aux emprunts toxiques figurant à l’actif de cette société après l’avoir acquise à ce prix symbolique c’est un peu vouloir le beurre et le sourire de la fermière, après avoir déjà encaissé l’argent du beurre.

 

L’autre risque dit indirect, qui se réaliserait en l’absence de loi de validation, est celui qui est estimé à 7 milliards d’Euros et qui correspond selon l’étude d’impact au coût de la mise en extinction de la SFIL-CAFFIL.

 

Selon l’Etat cette mise en extinction serait à coup sûr exigée par les autorités européennes de la concurrence en contre-partie de l’accord qu’elles devraient donner pour permettre la recapitalisation de SFIL-CAFFIL si cet établissement devait provisionner ses risques contentieux. Ce qu’il n’a pas les moyens de faire sans apport de l’Etat  qui est son actionnaire principal et de référence.

 

Cependant,  outre que la question de la mise en extinction de SFIL-CAFFIL n’est pas – ou du moins pas encore… – sur la table, il n’y a aucune preuve tangible du bien fondé de cette allégation.

 

Le précédent de DEXIA qui lui sert de motif n’a rien de comparable avec ce qu’est la SFIL-CAFFIL: tant l’ampleur de l’aide d’Etat requise, que les risques systémiques associés à une défaillance de DEXIA  que l’importance de DEXIA sur le marché bancaire européen, et en particulier en France et en Belgique  n’ont strictement rien à voir avec la situation de la SFIL-CAFFIL, qui ne pose évidemment pas les mêmes problèmes de concurrence.

 

Quant aux sept milliards d’Euros de risques financiers estimés, l’étude d’impact elle-même dit bien qu’il s’agit d’un maximum et ne donne aucune explication sur la façon dont ce chiffre a été calculé. On ne peut donc que le prendre avec beaucoup de prudence.

 

Et quant aux effets soit disant irrémédiables de la disparition de la SFIL-CAFFIL sur le financement des collectivités locales et autres personnes morales de droit public il faut là encore faire preuve d’un scepticisme raisonné : au pire moment de la déconfiture de DEXIA, lorsque cette banque était pratiquement dans l’incapacité de continuer à financer les collectivités territoriales comme les hôpitaux,  l’Etat, via la Caisse des Dépôts et Consignations, les banques du secteur mutualistes et privé, et le marché lui-même, via les émissions de titres de personnes publiques, ont fini par pallier la défaillance de DEXIA.

 

Et la bonne santé retrouvée des banques françaises et celle du marché obligataire, comme l’arrivée des assureurs sur le marché des financements devraient convaincre les pessimistes que le financement des collectivités territoriales et des autres personnes publiques se relèverait de la disparition programmée de ces banques sous-perfusion.

 

Ajoutons à cela que, d’une manière ou d’une autre,  les pouvoirs publics au sens européen du terme  devront payer.

 

Là nous sommes au cœur du paradoxe :

 

–     Soit l’Etat comme actionnaire de DEXIA et de SFIL-CAFFIL leur donnera les moyens nécessaires à la reconstitution nécessaire de leurs fonds propres,

–     Soit les personnes morales de droit public devront en raison  de la loi de validation  supporter les coûts de financement ou de sortie exorbitants résultant des prêts structurés. Et si ces opérations ne sont pas remboursées par anticipation, il faudra bien que ces charges d’intérêts apparaissent un jour ou l’autre sous forme de provisions dans leurs comptes….

 

Que l’Etat le veuille ou non  les risques en question finiront donc bien, d’une façon ou d’une autre par être consolidés dans la dette publique, et en définitive il n’y aura que les prêteurs de droit privé, bénéficiaires aussi des mesures de validation et toutes les banques qui ont contracté avec DEXIA et SFIL-CAFFIL les opérations de couverture de ces prêts structurés et qui vont pouvoir compter sur leur maintien, ou leur résiliation à bon compte, qui seront réellement bénéficiaires dans cette opération.

 

Est-ce là l’intérêt général ?

 

3 – Une aide d’Etat illégale au regard du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne ?

 

On sait que pour empêcher les distorsions de concurrence sur le marché intérieur, le droit communautaire pose le principe de l’interdiction des aides d’Etat.

 

Ce principe est énoncé par le premier paragraphe de l’article 107 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne  (TFUE) qui dispose que : « Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».

 

En vertu de ces dispositions, tout projet qui institue ou modifie une aide d’Etat doit être notifié à la Commission et sa mise en œuvre est suspendue tant que la Commission ne l’a pas déclaré compatible avec le marché intérieur (article 108 du TFUE).

 

A la lecture de l’exposé des motifs du projet de loi de validation et de l’étude d’impact qui l’accompagne, on constate qu’à aucun moment les auteurs de ce projet ne semblent avoir envisagé que les mesures de validation contenues par ce projet pourraient constituer des aides d’Etat et donc devoir être notifiées pour que la Commission puisse se prononcer sur leur compatibilité avec le droit communautaire. A les lire, seule la recapitalisation de SFIL-CAFFIL qui serait selon eux la conséquence inévitable de la non-prise de ces mesures, devrait être notifiée à la Commission Européenne (page 5 de l’étude d’impact). Laquelle, toujours selon eux, ne manquerait pas d’exiger en contrepartie de son autorisation, une mise en extinction de la SFIL-CAFFIL, à l’instar de ce qui a été exigé pour DEXIA en échange des recapitalisations et des garanties publiques consenties par les Etats français, belges et luxembourgeois.

 

En résumé, la recapitalisation serait constitutive d’une aide d’Etat, tandis que les mesures de validation prises pour ne pas l’effectuer ne le seraient pas.

 

Il est permis de douter du bien fondé,  et même de la logique, de ce raisonnement.

 

L’article 107 précité du TFUE vise les aides accordées tant par les Etats qu’au moyen de ressources d’Etat,  ce qui est pour la CJUE le critère déterminant de ce qu’est une aide d’Etat.

 

En effet, selon la Cour sont considérés comme aides d’Etat, les  « avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’Etat » [CJCE, 17/03/1993, aff. C-72/91 et C-73/91, Sloman Neptun].

 

Et ces avantages seront considérés aussi comme « directs » même s’ils ne sont pas consentis par l’Etat au sens strict, mais par des « pouvoirs publics » ce qui englobe les autorités publiques centrales, et les collectivités décentralisées à tous les niveaux : régional, provincial, départemental, local.

 

Si l’on examine en fonction de ces données le dispositif de validation tel qu’il a été conçu, on observe tout d’abord qu’il ne va s’appliquer qu’aux personnes morales de droit public : collectivités territoriales et établissements publics pour l’essentiel et qu’au regard du droit communautaire, l’Etat est responsable des manquements au droit communautaire des collectivités territoriales. Quant aux établissements publics, tels que par exemple les établissements publics de santé, ce sont des établissements publics qu’on ne peut dissocier de l’Etat : ils en sont une partie intégrante.

 

Par « avantages », on entend toute forme « d’avantage économique », que celui-ci prenne la forme d’une « dépense » impliquant une sortie budgétaire, ou d’une dépense dite « fiscale » se traduisant par un manque à gagner. Une exonération fiscale, une transaction à prix bas, ou un abandon de créance ou encore un abandon de droit, peuvent donc constituer aussi des aides d’Etat du point de vue du droit communautaire, puisque ce manque à gagner est équivalent à un transfert de ressources constitutif d’un avantage économique[8].

 

 

Or, les mesures de validation, vont avoir pour effet d’interdire à ces personnes morales de droit public de réclamer à leurs banques non seulement la substitution du taux conventionnel de leurs emprunts structurés par le taux légal, mais encore la restitution du trop-perçu correspondant à la différence entre les intérêts conventionnels perçus depuis la date de début du prêt et ceux calculés au taux légal à compter de cette date : les mesures de validation impliquent donc ipso facto de la part des personnes morales de droit public concernées, y compris donc d’établissements publics de l’Etat, un abandon – forcé, mais un abandon – de cette créance de restitution.

 

En outre, le maintien des conditions contractuelles des prêts structurés, mis à l’abri des contestations par les mesures de validation législative, va aussi se traduire par la poursuite du paiement aux banques prêteuses, et en particulier à DEXIA et à SFIL-CAFFIL qui sont au cœur du dispositif, d’intérêts excédentaires par rapport à ceux dont ces personnes morales de droit public auraient été légalement débitrices en vertu du droit positif que constitue la jurisprudence de la Cour de Cassation sur les conséquences à tirer de l’absence de mention du TEG ou des erreurs commises dans l’application de la réglementation du TEG.

 

Sous la forme du paiement de ces intérêts excédentaires par rapport à ceux réellement dus,   il s’opère donc aussi un transfert de ressources en provenance des « pouvoirs publics » : les collectivités territoriales ou les établissements publics d’Etat qui ont souscrits de tels prêts et  qui,  volens nolens, vont devoir continuer de payer les intérêts de ces prêts.    

 

A ainsi été assimilée à une aide d’Etat une législation qui écarte le droit commun des faillites pour certaines entreprises en leur permettant notamment d’échapper aux voies d’exécution individuelle aux dettes fiscales, aux pénalités, intérêts et majorations en cas de retard de paiement de l’impôt sur les

Sociétés[9].

 

En l’espèce, il s’agit d’une législation qui écarte l’application du droit commun relatif aux TEG pour quelques banques concernées en leur permettant d’échapper à la jurisprudence de la Cour de cassation et de bénéficier ainsi du renoncement par leurs clients publics à faire valoir leurs créances. Il y a donc incontestablement incidence sur le budget public.

 

Enfin, à cet abandon de créance et à ces intérêts supplémentaires, vont s’ajouter les subventions provenant du fonds de soutien.

 

Car, pour solvabiliser des emprunteurs qui n’ont plus la possibilité de contester en justice les sommes qui leur sont réclamées, le fonds de soutien mise en place par la Loi de Finances pour 2014 va leur verser une aide destinée spécifiquement au remboursement partiel desdites sommes et dont le remboursement est subordonné à la conclusion d’un accord avec leurs banques.

 

Force est donc de constater qu’au regard du droit européen, l’ensemble de ce dispositif organise donc bien une aide d’Etat sous des formes diverses : abandon de créances, paiement en sus de sommes réellement dues et subventions directes.

 

L’aide d’Etat qui est en principe interdite, se caractérise aussi par le fait qu’elle procure un avantages économique à une ou plusieurs entreprises bien déterminées, qu’il s’agisse d’avantages individuels au profit d’entreprises sélectionnées, ou au profit de toutes les entreprises d’une aire géographique ou présentant certaines caractéristiques communes au sein d’un secteur économique donné.  

 

Et ce critère de « sélectivité » des bénéficiaires de cette aide est également incontestablement rempli, dès lors que SFIL-CAFFIL et DEXIA concentrent, comme le dit l’étude d’impact, « une part significative des prêts structurés » et que seul un tout petit nombre de banques ont distribué de tels produits à des personnes morales de droit public, ce qui fait que par nature ils favorisent  « certaines d’entreprises ou certaines productions » ce qui est un autre élément caractéristique de l’aide d’Etat (voir par exemple arrêt CJCE du 8 novembre 2001 Adria-Wien Pipeline GmbH et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke GmbH contre Finanzlandesdirektion für Kärnten).

 

 

Dans ces conditions, estimer que ce dispositif n’a pas à être notifié à la Commission européenne relève d’une très grande imprudence.

 

D’autant:

 

  • Que « l’avantage économique » en résultant est très facilement évaluable, puisqu’il est le symétrique de ce que DEXIA et SFIL-CAFFIL n’auront pas à provisionner soit, en limitant l’évaluation de cet avantage  aux seuls emprunts ayant donné lieu à des actions en justice 3,3 Mds€ pour la SFIL et 0,3 Mds€ pour DEXIA selon les chiffres communiqués par l’étude d’impact. Des montants qui ne peuvent évidemment bénéficier de l’exception de minimis bénéficiant aux aides d’un montant inférieur 200.0000 € (règlement n°1407/2013 du 18 décembre 2013). Pas plus que de telles aides ne peuvent bénéficier des exceptions par catégories établies par le règlement général d’exemption par catégorie (RGEC) n°800/2008 puisqu’elles n’entrent dans aucune des catégories d’exceptions prévue, et,

 

 

  • Que l’absence de notification d’une aide la rend automatiquement illégale et entraîne son remboursement par l’opérateur….. En cas de non notification d’une aide d’État, le juge national peut également être saisi par les concurrents du bénéficiaire de l’aide et ordonner la récupération de l’aide en attendant que la Commission européenne, voire la Cour de justice, se prononcent[10].   

 

Avant que « toute personne intéressée » ( art.20 du Règlement n°659/1999) ne porte plainte, ou que toute autre  personne choquée par ces mesures ne signale par une lettre à la Commission ces soupçons légitimes d’aide d’Etat illégale, puisque le règlement U.E. 659/1999 permet  à la Commission « d’examiner sans délai » des « informations  concernant une aide prétendue illégale, quelle qu’en soit la source »  « lorsque la Commission a en sa possession » de telles informations (art. 10 du Règlement n°659/1999), le Gouvernement ne pourrait-il pas se poser au moins la question de la nécessité d’une telle notification selon les formes prévues par le Règlement n° 784/2004 ?…

 

A bon entendeur……

 

Au-delà des questions que devrait poser à chaque citoyen l’utilisation abusive du procédé de validation législative, mettant en jeu l’équilibre des pouvoirs et les droits fondamentaux dans un contexte politique particulièrement sensible, cette loi de validation pose plus de questions qu’elle n’en résout et porte les ferments de multiples contestations tant devant les juridictions nationales qu’européennes.

 

Cette loi de validation si elle devait être adoptée ne rendrait pas ses lettres de noblesse à l’action de l’Etat.



[1] Décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013

[2] En particulier dans les télécopies de confirmation constatant les éléments constitutifs du contrat de prêt précédant le contrat « formalisé ».

[3] Jugements du TGI de Nanterre du 8 février 2013 (Conseil Général de Seine-Saint-Denis).

[4] Jugement du TGI de Nanterre du 7 mars 2014 ( Saint-Maur des Fossés).

[5] L’Etat semble avoir suivi ( ou précédé) de manière opportune les recommandations du Rapport d’Avril 2014 de la Cour des Comptes sur la dette des établissements publics de santé qui convenait qu’  « il pourrait paraître opportun (…) que les hôpitaux bénéficient également d’une incitation à neutraliser les risques pesant sur leurs encours, en partie pris en charge par les banques alors par les banques » et préconisait la mise en place d’un dispositif.

[6] Pris sur l’ONDAM ?

[7] CEDH 14 févr. 2006 Lecarpentier c/France

[8] A due concurrence de son montant un abandon de créance appauvrit le créancier et enrichit le débiteur.

 

[9] CJCE, 1er décembre 1998, aff.C-200/97, Ecotrade Srlc/Altiformi et ferriere di Servola SpA.

[10] Sur ce point et pour une présentation des arrêts Altmarkt  CJCE, arrêts du 24 juillet 2003, Altmark trans et Regierungspräsidium Magdeburg, aff. C-280/00, Rec. 2003, p. I-7747, pt 77 voir par exemple http://www.senat.fr/rap/l11-159/l11-1591.html