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responsabilité financière des gestionnaires hospitaliers
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Responsabilité financière tous azimuts des gestionnaires hospitaliers

Article rédigé le 22 mars 2022 par Me Pierre-Yves Fouré

Le projet d’Ordonnance relatif au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics récemment divulgué (cf. dépêche Hospimédia du 24 février 2022) envisage en effet une refonte substantielle des juridictions financières et des règles de procédure. La loi de finances pour 2022 portant réforme du régime de responsabilité des gestionnaires publics pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2023 vient de connaître une accélération soudaine.
Pourquoi précipiter un tel projet sans débat parlementaire ?
Pourquoi refondre des juridictions financières répressives sans achever l’indépendance procédurale du magistrat chargé de l’instruction ?
Pourquoi fonder ce nouveau régime juridique sur l’imprécision flagrante de la notion de « faute grave ayant causé un préjudice financier significatif » ?
Pourquoi ne pas envisager l’exonération de responsabilité des ordonnateurs agissant sous l’autorité des tutelles ?

 

Première lecture synoptique des dispositions essentielles d’un projet d’Ordonnance susceptible de modifier en profondeur l’encadrement juridique de la responsabilité financière des décideurs hospitaliers.

Un projet précipité et privé de tout débat parlementaire

S’il semble étonnant que ce projet soit porté par le seul Ministère de la transformation et de la fonction publique à l’exclusion du Ministère de la Justice et, pour ce qui concerne les décideurs hospitaliers plus particulièrement concernés, du Ministère des Solidarités et de la Santé,  et s’il est surprenant que cette réforme vienne soudainement devancer le « projet stratégique des juridictions financières 2025 » annoncé le 1er décembre 2021 par le Premier Président de la Cour des comptes , une forte inquiétude gagne déjà les directeurs d’établissements et la Fédération Hospitalière de France.

Inquiétude d’autant plus légitime que, s’agissant d’un projet d’Ordonnance de l’article 38 de la Constitution, aucun débat parlementaire ne permettrait d’enrichir et améliorer un texte.

Alors que la crise sanitaire majeure du Sars-Cov-2 et de ses variants n’en finit pas de finir, non sans mobiliser à l’envi le système de santé tout en jetant une lumière crue sur les injonctions paradoxales que connaissent de longue date bon nombre de gestionnaires hospitaliers, n’aurait-il pas été plus sage d’envisager une concertation préalable avec les premiers intéressés avant de précipiter la création et l’entrée en vigueur de leur nouveau régime de responsabilité financière ?

Aurait-on confondu, pour emprunter à une formulation bien connue des amateurs de ballon rond, vitesse et précipitation ?

Une refonte bienvenue des juridictions financières répressives

Au risque apparent de se contredire, les premières dispositions purement procédurales du projet d’Ordonnance aperçu semblent tout à fait bienvenues, pour ne pas dire particulièrement attendues. Les règles de procédure devant la Cour de discipline budgétaire et financière, institution juridictionnelle répressive rattachée à la Cour des comptes et habituellement désignée par son acronyme CDBF, avait bien bénéficié, par le truchement de l’Ordonnance du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières, d’une mise à jour pertinente de la loi d’origine du 25 septembre 1948 initialement conçue pour sanctionner les fautes de gestion commises à l’égard de l’Etat et des collectivités.

Est ainsi à souligner le progrès indéniable qui résulterait de la création d’un double degré de juridiction. C’est une nouvelle Chambre du contentieux de la Cour des comptes à laquelle reviendrait compétence pour juger en premier ressort les gestionnaires publics (sous réserve de la compétence dévolue par ailleurs aux Chambres territoriales des comptes) tandis qu’une nouvelle Cour d’appel financière (en quelque sorte héritière de la CDBF) composée de Conseillers d’Etat, de Conseillers-Maîtres à la Cour des comptes, et, nouveauté à signaler, de deux personnalités désignées en raison de leur expérience dans le domaine de la gestion publique, aurait à connaître des appels, sous le contrôle, inchangé du Conseil d’Etat juge de cassation.

La création de ce double degré de juridiction et ce droit d’appel avec effet suspensif répondraient incontestablement à une nécessité légitime tant il peut être frustrant pour un ordonnateur de ne pas pouvoir saisir un juge d’appel étant rappelé les suites disciplinaires voire pénales susceptibles d’être données et l’impact potentiel sur la carrière et à titre plus personnel de la publication au Journal officiel d’une sanction, fût-elle anonymisée.

Cette refonte des juridictions financières répressives serait donc la bienvenue.

 

L’indépendance procédurale inachevée du magistrat chargé de l’instruction

Le projet d’Ordonnance prévoit ensuite un encadrement plus précis des prérogatives dévolues au Ministère public près la Cour des comptes.

Si le Ministère Public près la Cour des comptes demeurerait en substance compétent – à la manière d’un Procureur judiciaire – pour mettre en mouvement l’action publique, décider d’un classement sans suite ou décider d’ouvrir une instruction, le Magistrat instructeur désigné – à la manière d’un Juge d’instruction – viendrait alors non seulement conduire la procédure d’instruction en toute indépendance (ce qui est déjà le cas aujourd’hui) mais également envisager lui-même, par Ordonnance de règlement (se substituant à l’actuel Rapport d’instruction), la suite à donner à ses investigations.

Mais cette Ordonnance de règlement n’aurait pas véritablement de portée décisionnaire : après que l’ordonnateur mis en cause ait eu la faculté de présenter un Mémoire écrit postérieurement dans un délai de deux mois (ce qui voudrait dire qu’il n’en serait pas tenu compte lors de la rédaction de l’Ordonnance), le Ministère public près la Cour des comptes garderait in fine la compétence ultime de décider s’il y a lieu de renvoyer l’affaire à la Chambre du contentieux, de demander un complément d’instruction ou bien de procéder à un classement.

Se pose dès lors la question de savoir pourquoi le Magistrat chargé de l’instruction ne pourrait pas recevoir, en toute indépendance du Ministère public près la Cour des comptes, la pleine compétence pour décider lui-même d’un renvoi ou non à l’audience en tenant compte des réquisitions préalables du Ministère public et des observations en défense de l’ordonnateur mis en cause.

Ce maintien entre les mains de l’autorité de poursuite du pouvoir de donner suite ou non à une instruction ne lasse pas d’interroger fortement. Qui comprendrait, en matière judiciaire, qu’un Procureur de la République puisse méconnaître et invalider à sa guise la décision d’un Juge d’instruction indépendant ?

Le progrès induit par la création d’un double degré de juridiction risquerait fort de s’en trouver substantiellement amoindri.

 

L’imprécision juridique flagrante de la notion de « faute grave ayant causé un préjudice financier significatif »

La refonte des infractions envisagée par le projet d’Ordonnance pris pour application de la loi de finances 2022 annonce une idée en force : recentrer les poursuites et la répression aux situations d’une gravité avérée, qu’il s’agisse de la violation des règles relatives à l’exécution de recettes ou des dépenses ou de l’approbation par une tutelle de telles violations.

Mais le critère envisagé pour conduire les juridictions financières à séparer le bon grain de l’ivraie ne manque pas de surprendre : il s’agirait en effet de ne rendre passible de sanctions que le seul ordonnateur qui « par une faute grave [aura] causé un préjudice financier significatif » ainsi définie par le projet d’Ordonnance :

« Le caractère significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable. »

Les exégètes du droit des contrats connaissent parfaitement la pertinence de cette notion qui veut qu’une clause qui crée un « déséquilibre significatif » entre les droits et les obligations des parties soit réputée non écrite. Mais une transposition un tantinet alambiquée de la notion de « préjudice significatif » en matière de responsabilité répressive ne lasse pas d’interroger. Certes, il s’agit-là de mettre en œuvre la volonté exprimée par le législateur par l’article 168 de la loi de finances afin de « définir un régime d’infractions financières sanctionnant la faute grave (…) ayant causé un préjudice financier significatif » ; mais l’incrémentation d’une appréciation corrélée au montant global du budget d’un établissement interroge.

Cela conduirait-il, par exemple, à considérer que l’Ordonnateur qui s’abaisserait à une dépense relativement modique mais totalement injustifiée à des fins personnelles échapperait aux foudres du préjudice significatif tandis que le directeur d’hôpital contraint à des dépenses substantielles pour garantir la continuité de l’offre de soins sans pouvoir respecter à la lettre toutes les contraintes réglementaires en matière de rémunération des médecins serait inéluctablement condamné ?

Quant à l’invocation d’une « faute grave », peut-être par opposition à une « faute simple » acceptable et sans aller jusqu’à l’exigence d’une « faute lourde » qui procède en substance de l’intention de nuire, l’imprécision est encore plus flagrante.

Tellement flagrante d’ailleurs que, face à l’inquiétude exprimée par les directeurs, « un guide [pour] orienter les juridictions et réduire le risque encouru » (cf. dépêche Hospimédia du 11 mars 2022) serait envisagé alors que l’encre du projet d’Ordonnance n’est pas encore sèche !

Ce véhicule d’un « guide » ne manquerait pas d’interroger tout juriste balbutiant en termes de normativité juridique et d’opposabilité. Plus encore se poserait la question de la lecture qui en serait faite par les magistrats financiers auxquels doit revenir l’office de juger en toute indépendance.

Qu’il soit permis de craindre que ce gloubi-boulga de « guide » confine à l’offense faite aux magistrats de la Rue Cambon alors que leur jurisprudence consacre déjà, grâce à une appréciation in concreto, le principe de l’insuffisante gravité de faits susceptibles d’être reprochés à un ordonnateur hospitalier pour ne pas sanctionner.

Last but not least, il n’est pas certain au vu du projet d’Ordonnance que ce critère de faute grave causant un préjudice financier significatif soit aussi applicable sur l’infraction redoutable d’octroi d’avantage injustifié, corollaire classique de l’infraction précitée de violation des règles relatives à l’exécution des dépenses.

L’esprit de l’article 168 de la loi de finances apparaît donc imparfaitement respecté.

 

L’exonération incertaine de responsabilité des ordonnateurs hospitaliers agissant sous l’autorité des tutelles

Comme s’il s’agissait de faire écho à une très immodeste proposition de l’auteur de ces lignes présentée par ailleurs à dessein de voir clairement exonérer les gestionnaires ayant agi sous l’information préalable des tutelles , il y a lieu de souligner enfin l’ambiguïté du projet d’Ordonnance.

En lieu et place de l’actuel article L.313-9 de l’actuel Code des juridictions financières :

« Les [justiciables de la CDBF] ne sont passibles d’aucune sanction si [ils] peuvent exciper d’un ordre écrit de leur supérieur hiérarchique ou de la personne légalement habilitée à donner un tel ordre, dont la responsabilité se substituera dans ce cas à la leur, ou donné personnellement par le ministre compétent, dès lors que ces autorités ont été dûment informées sur l’affaire. »

Et de l’actuel article L.313-10 de l’actuel Code des juridictions financières :

« Les dispositions de l’article L.313-9 s’appliquent aux fonctionnaires et agents des collectivités territoriales et de leurs groupements qui peuvent exciper d’un ordre écrit donné préalablement par leur supérieur hiérarchique ou par la personne légalement habilitée à donner un tel ordre, le maire, le président du conseil départemental, le président du conseil régional, le président du conseil exécutif de Corse ou le président élu d’un des groupements susvisés, dès lors que ces autorités ont été dûment informées sur l’affaire. Si l’ordre émane du supérieur hiérarchique ou de la personne légalement habilitée à donner un tel ordre, la responsabilité de ces derniers se substituera à celle du subordonné. »

Le projet d’Ordonnance envisage de substituer les deux dispositions suivantes :

« Sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public, le justiciable qui agit conformément aux instructions de son supérieur hiérarchique ou d’une personne habilitée n’est passible d’aucune sanction. La responsabilité du supérieur hiérarchique se substitue à celle du subordonné. »

« Les justiciables ne sont passibles d’aucune sanction s’ils peuvent exciper d’un ordre écrit émanant [des membres du Gouvernement ou d’une autorité exécutive élue] , dès lors que cette autorité a été dûment informée sur l’affaire. »

En apparence rédigée à droit constant, force est d’observer que l’incrémentation des termes « sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public » créerait un doute majeur sur l’exacte consolidation de la cause exonératoire en présence d’une l’instruction reçue ou d’un ordre écrit donné.

En permettant à une juridiction financière d’écarter l’effet exonératoire de la validation de l’action de l’Ordonnateur par une tutelle ou une autorité exécutive dès lors qu’elle serait regardée comme « manifestement illégale » ou compromettant « un intérêt public », il est à craindre que la protection des gestionnaires hospitaliers soit bien au contraire fortement fragilisée.

Appliquée au cas particulier de l’équation bien souvent insoluble entre l’obligation de permanence des soins en établissement de santé (PDSES) et l’obligation de respecter les règles juridiques applicables en matière de rémunération des personnels médicaux, l’ordonnateur hospitalier pourrait-il par exemple toujours utilement invoquer la préférence qui était exprimée par une Agence régionale de santé de donner priorité à celle-là plutôt qu’à celle-ci ?

Comme il est tout aussi perceptible que l’abrogation des dispositions de l’article 60 de la loi de finances pour 1963 relatives à la responsabilité personnelle et pécuniaire des Comptables publics, requise par ce même article 168 de la loi de finances pour 2022 et prévue par ce projet d’Ordonnance, pourrait bien priver l’Ordonnateur de l’alerte, parfois précieuse, de la vigie extérieure du Trésor public ! A fortiori à l’heure du déploiement des délégations de compétences à l’échelle des établissements composant les Groupements Hospitaliers de Territoire.

Il est donc plus que jamais déterminant de clarifier véritablement le Code des juridictions financières de sorte que l’ordonnateur d’un établissement de santé et/ou médico-social puisse bénéficier d’une réelle cause exonératoire dès lors qu’il est bien justifiée d’une information préalablement donnée à l’autorité de tutelle.

L’expérience montre en effet que la disponibilité d’une instruction explicite ou d’un ordre écrit d’une autorité de tutelle de commettre une irrégularité plutôt qu’une autre est aussi aléatoire que la quête du Saint-Graal.

Et pour cause, toute autorité supérieure est mécaniquement réticente, dès lors qu’elle est elle-même justiciable de la juridiction financière (contrairement à une autorité ministérielle ou un élu), à voir sa responsabilité se substituer à celle du gestionnaire hospitalier de terrain.

Dès lors, ne serait-il pas pertinent de retenir que le critère de gravité justifiant des poursuites à l’encontre du gestionnaire hospitalier s’apprécie non seulement en regard d’un préjudice financier significatif mais également en tenant compte de l’absence de volonté de dissimulation et d’une information transparente préalablement donnée à l’autorité de tutelle ?

 

Il faut donc se rendre à l’évidence : en l’état de sa rédaction et à l’inverse de l’objectif affiché, ce nouveau régime de responsabilité dessine le spectre d’une mise en cause tous azimuts des ordonnateurs hospitaliers.

 

Depuis sa prestation de serment (février 2000), Pierre-Yves FOURÉ conseille et défend directeurs d’établissements, cadres et professionnels du monde de la santé (établissements de santé, médecins, établissements médico-sociaux, organismes d’assurance maladie et complémentaires), de l’université, ainsi que tous dirigeants et institutions nationales, déconcentrées ou locales.

Avocat de la défense dans les affaires complexes à forts enjeux de responsabilités (sang contaminé, amiante, surriradiés, accidents graves, harcèlement et conflits professionnels, infractions aux biens), Pierre-Yves FOURÉ est également le conseil de proximité au quotidien comme celui des situations de crises médiatisées.

Pierre-Yves FOURÉ intervient devant les juridictions pénales (juge d’instruction, tribunal correctionnel), disciplinaires (conseil de l’ordre), financières (cour de discipline budgétaire et financière), administratives ou civiles.

Au-delà de sa maitrise des matières juridiques qu’il pratique depuis plus de 20 ans, Pierre-Yves FOURÉ est reconnu pour son engagement dans la défense et la forte dimension humaine de la relation client.