SISA : les apports de la loi Valletoux
Article rédigé le 19 février 2024 par Me Laurent Houdart
La loi n° 2023-1268 du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels dite « Loi Valletoux » – du nom de son auteur désormais ministre de la santé – restera à jamais comme une étape importante dans la consolidation des maisons de santé.
Deux modifications essentielles ont été apportées au régime des Sociétés Interprofessionnelle de Soins Ambulatoire (SISA) :
– La limitation de la responsabilité financière de ses membres;
– Et le report de 6 mois à 3 ans la dissolution de la SISA qui ne comporte plus de médecin ou d’auxiliaire médical !
Sur la limitation de la responsabilité financière des associés
Pour bien comprendre la problématique de la responsabilité personnelle financière des associés d’une SISA, revenons un peu en arrière :
Rappelons que l’adhésion est obligatoirement individuelle quand bien même le professionnel exercerait en SEL ou en SCM. Au moment de la création des SISA, en 2011, l’objectif était de s’assurer du partage des financements relatifs à la coordination et à l’éducation thérapeutique (NMR) sans qu’il ne déborde sur l’exercice libéral des soins de chacun.
Si l’intention était louable, elle a fait fi de la réalité des exercices et de l’évolution des maisons de santé mais surtout elle a entraîné une autre conséquence, cette fois-ci préjudiciable pour les professionnels, une responsabilité financière personnelle.
En effet, comprenons bien que la SISA est une des formes les plus récentes de la grande famille des sociétés civiles. Lors de sa création en 2011, le législateur a donc pris soin d’indiquer ; « (Les SISA) sont des sociétés civiles régies par les chapitres Ier et II du titre IX du livre III du code civil et par le présent titre. ». En l’absence d’un texte particulier, le régime de responsabilité est donc celui des sociétés civiles.
Quel est ce régime ?
Nous devons nous référer à l’article 1844-1 CC : « La part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire. »
En d’autres termes, un créancier qui n’obtient pas le règlement de sa créance par la SISA peut se retourner contre chaque associé à proportion de sa participation au capital.
Un exemple va nous aider pour mieux comprendre les enjeux :
Imagions une SISA avec 5 associés et un capital social de 10 000 € : Le premier associé A a apporté 4 000 € (40% des droits), le second B et le troisième C ont apporté chacun 2000€ (soit 20 % des droits chacun) , le quatrième D et le cinquième E ont apporté chacun 1000 € (soit 10% des droits chacun). La SISA présente une dette de 200 000 € à l’égard d’une banque qu’elle ne peut plus honorer. La banque a engagé des poursuites (mises en demeure, sommation de payer/référé) contre la SISA mais sans aucun effet. Les associés ne s’entendent plus et chacun rejette la faute sur les autres. Ils envisagent de mettre un terme à leur association. Mais qui va payer la dette ?
Chaque associé sera personnellement responsable à proportion de ses droits sociaux et qu’importe qu’ils décident ou non de dissoudre la SISA. La banque, sur le fondement de l’article 1844-1 va réclamer à A 80 000€, à B et à C 40 000€ chacun, et à D et à E, 20 000€ chacun.
Chacun aura ainsi à payer sans pouvoir limiter sa responsabilité aux apports qu’il a fait initialement.
Dans cet exemple, la dette est de 200 000€, mais ce serait le même mécanisme applicable si la dette était supérieure à 1 000 000 €. La responsabilité aux dettes est dite « indéfinie ».
On comprend alors très vite les effets délétères pour le patrimoine personnel des acteurs de santé de la combinaison d’une adhésion à titre individuelle et d’une responsabilité indéfinie à proportion des parts détenues dans le capital.
Comment, dans ces conditions, envisager que la SISA investisse ? recrute des salariés ? ce mécanisme de responsabilité est un frein au développement des SISA.
Nous l’avons écrit à plusieurs reprises ( voir nos articles MSP,CPTS et SISA : faut-il légiférer ? et Une SISARL sinon rien), et la fédération des maisons de santé, AvecSanté, consciente de l’importance de modifier le régime de responsabilité a pu convaincre le législateur de passer aux actes.
C’est ainsi que l’article 14 de la loi « Valletoux » du 27 décembre 2023 (joli cadeau de Noël !) crée dans le code de la santé publique un article L4042-4 qui prévoit : « La responsabilité à l’égard des tiers de chaque associé de la société interprofessionnelle de soins ambulatoires est engagée dans la limite de deux fois le montant de son apport dans le capital de la société. »
Lors des premiers débats, l’amendement prévoyait une responsabilité limité au montant des apports. Mais les sénateurs ont considéré que les professionnels de santé devaient néanmoins supporter une fraction plus importante des dettes. C’est ainsi qu’il a été décidé de limiter la responsabilité de chaque associé à deux fois ses apports.
Ce mécanisme n’est pas totalement nouveau et nous avions pris à l’époque, pour justifier d’une limitation de la responsabilité des associés, (Une SISARL sinon rien) l’exemple des sociétés civiles ou sociétés d’épargne forestière dans lesquelles la responsabilité de chaque associé à l’égard des tiers est engagée en fonction de sa part dans le capital et dans la limite de deux fois le montant de cette part. (Article L214-89 CMF). Le législateur a suivi. Tant mieux.
Qu’est ce que cela veut dire concrètement ?
Reprenons notre exemple : La banque (toujours dans l’hypothèse ou la SISA ne peut régler sa dette) ne pourra demander que :
- 8000 € à A (soit 2X son apport de 4000€) au lieu de 80 000 €
- 4000 € à B et C (soit 2X leur apport de 2000 €) au lieu de 40 000€
- 2000 € à D et E (soit 2X leur apport de 1000€) au lieu de 20 000€
On comprend que la responsabilité financière dépendra directement du montant des apports.
Cette modification est donc essentielle et va permettre aux associés des SISA de pouvoir s’engager plus sereinement dans des projets qu’ils n’auraient pas mené compte tenu des possibles implications financières de leurs décisions (recrutement de salariés, investissement d’équipements, baux de longue durée, etc)
En revanche, nous invitons ardemment, toutes les SISA actuellement constituées, à modifier leurs statuts qui, immanquablement, vise le régime précédent. Cela va mieux en l’écrivant et évitera des discussions avec de potentiels créanciers ! cette modification peut avoir lieu à l’occasion d’un toilettage des statuts, souvent utile après plusieurs années d’exercice.
Sur les causes de dissolution de la SISA
Mais ce n’est pas tout de l’apport de la Loi Valletoux aux MSP !
Lors de la création des SISA en 2011, la volonté des pouvoirs publics a été qu’un minimum de deux médecins et un auxiliaire médical en soient associés. Aussi, lorsque l’un des deux médecins vient à se retirer (ou le seul auxiliaire médical), la SISA dispose de 6 mois pour rechercher et retrouver un médecin (ou l’auxiliaire médical). Passé ce délai, la dissolution de la société peut être demandée par toute personne intéressée (un associé/le tribunal/un créancier/etc). La demande est faite au tribunal judiciaire qui, constatant l’absence de deux médecins, ou d’un auxiliaire médical, n’a d’autre choix que de prononcer la dissolution. Le tribunal peut cependant accorder un délai supplémentaire dans la limite de 6 mois.
Encore une fois, l’objectif était louable, disposer d’un minimum de médecins dans la maison de santé. C’était oublier que de nombreuses maisons de santé / pôles de santé libéraux ambulatoire situés – en particulier – en zone rurale – ont beaucoup de difficultés à pérenniser l’association d’au moins deux médecins et un délai de 6 mois est beaucoup trop court.
Plusieurs maisons de santé étaient lors de l’adoption de la loi dans cette situation terriblement inconfortable avec un risque sérieux de fermeture définitive.
Aussi, La loi Valletoux a étendu le délai laissé à une SISA régulièrement constituée pour se mettre en conformité : L’article L 4041-4 du CSP prévoit désormais : «Une société interprofessionnelle de soins ambulatoires doit compter parmi ses associés au moins deux médecins et un auxiliaire médical. Lorsque la société ne remplit plus pendant trois ans la condition prévue au premier alinéa, tout intéressé peut demander la dissolution de la société. »
Le délai passe ainsi de six mois à trois ans, offrant ainsi vrai répit aux associés de la SISA. Il était nécessaire de disposer d’un temps long pour pouvoir se retourner, rechercher d’autres professionnels, réfléchir à une stratégie différente (rapprochement avec une autre maison de santé par exemple).
En conclusions, ces deux mesures sont donc bien loin d’être anodines et apportent aux nombreuses maisons de santé déjà crées et à tous les porteurs de projets une sécurité nouvelle qui vient conforter et solidifier leur structuration :
- Aux associés la certitude qu’ils n’engageront pas leur patrimoine personnel en s’associant et qu’ils peuvent désormais mettre en place des projets ambitieux ;
- Aux associés mais également à tous leurs partenaires, en particulier les collectivités territoriales, que la maison de santé, même en l’absence d’un médecin, dispose du temps nécessaire pour assurer sa continuité.
Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.
Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …).
Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).
Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.
Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.