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Si vous pratiquez des opérations de couverture de taux, de change , ou des opérations de change à terme, il est très probable que vous ayez déjà fait connaissance avec le règlement UE n° 648/2012  du 4 juillet 2012 sur les produits dérivés négociés de gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux et que l’on appelle le règlement EMIR pour « European Markets Infrastructure Regulation ».

Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas normal…et vous devriez vous renseigner sur ce sujet.

Par exemple, en commençant par lire ce petit billet.

Au moment de la chute de la banque Lehman Brothers le 15 septembre 2008,  les autorités chargées d’enrayer la panique financière qui menaçait de devenir incontrôlable, se rendirent compte avec angoisse qu’elles étaient incapables d’estimer avec précision le volume des engagements de cette banque sur les marchés de produits dérivés  « OTC » ( « over the counter » =  négociés de gré à gré) dont elle était « un acteur de premier plan et une banque de référence »[i] ) et donc de mesurer l’impact de la défaillance de cet établissement sur l’ensemble du système financier mondial.

Ces mêmes autorités se rendirent aussi compte qu’elles avaient laissé se développer le marché des dérivés OTC au point qu’il devienne énorme (684.000 Milliards (vous avez bien lu milliards) de Dollars US d’encours notionnels de dérivés OTC au premier semestre 2008), alors même que ce marché souffrait  d’insuffisances structurelles  telles qu’une grande opacité puisqu’il s’agissait d’un marché constitué par des opérations bilatérales négociées de gré à gré sans chambre de compensation ni organisme chargé de les recenser de façon centralisée.

 On ignorait donc l’ampleur des risques auxquels étaient exposées les parties à ces opérations (et par voie de conséquence leurs propres créanciers), ni la nature de ces risques.

 On savait juste qu’ils existaient, que les montants en jeu étaient considérables et que les opérations pouvaient de surcroit être très difficiles à analyser, car complexes.

 Or, en cas de panique financière, rien n’est pire qu’une situation dans laquelle chaque opérateur doute de ce que ses contreparties ont réellement dans leur bilan, et a d’autant plus de raisons d’en douter, qu’il se demande lui-même ce qu’il a vraiment dans le sien….

 Les régulateurs de la finance reçurent donc du G20 le mandat de mettre bon ordre à ce qui ressemblait par trop à un réacteur nucléaire largement hors de contrôle.

 Pour ce faire trois instruments principaux ont été utilisés, et, en Europe, vont se retrouver dans la législation issue de ce mandat :

 1° Le principe d’une obligation de compensation de ces opérations au travers de chambres de compensation dotée d’une contrepartie centrale ; quitte à admettre des exceptions pour les opérations qui ne se prêtent pas à la standardisation que suppose le recours à une chambre de compensation ou qui ne sont pas assez liquides ou dont le prix est difficile à évaluer.

 2°La déclaration obligatoire des transactions réalisées, y compris les opérations bilatérales exclues par exception de l’obligation de compensation, auprès d’organismes chargés de les recenser et pouvant mettre les données qu’ils centralisent à la disposition des autorités prudentielles et de régulation des marché pour que celles-ci puissent enfin savoir « ce qui se passe » et préviennent d’éventuelles évolutions indésirables en  intervenant avant, et non après, la catastrophe.

3° L’adoption de techniques d’amélioration de la gestion du risque pour les opérations qui ne seront pas dans le champ de celles devant faire l’objet d’une compensation centrale, afin de limiter les risques opérationnels et  financiers de ces opérations et d’assurer un meilleur suivi de leurs engagements par les parties prenantes.

 Ce « programme réglementaire » se retrouve dans le Règlement n°648/2012 puisque celui-ci instaure des « obligations de compensation et de gestion bilatérale du risque concernant les contrats dérivés de gré à gré ainsi que des obligations de déclaration pour les contrats dérivés », de même qu’il réglemente « l’exercice des activités des contreparties centrales et des référentiels centraux » nom donné aux organismes auxquels vont être déclarés les produits dérivés (art.1 al. 1).

 Arrivés à ce paragraphe, certains d’entre vous se diront sans doute que tout ceci ne concerne que les « financiers » et en particulier les banques, les assureurs et les entreprises d’investissement (les « contreparties financières » dans le jargon du règlement) et ils abandonneront leur lecture pour se consacrer à leur vrai travail, vraiment productif, au service des vrais gens……, mais ils auront tort. Car, l’EMIR concerne tout le monde, en tout cas  toutes les entreprises, au sens le plus large du terme[ii], qui sont situées sur le territoire de l’Union Européenne, et qui utilisent des produits dérivés, ne serait-ce que pour des opérations banales de couverture.

Ce que le règlement EMIR appelle les « contreparties non financières ».

Si vous êtes une entreprise et contractez un swap de taux pour couvrir à taux fixe le risque de taux d’un emprunt à taux  variable, si vous avez des fournisseurs qui vous facturent en Dollars US et souhaitez  vous couvrir par une option de change ou par un achat à terme de devises contre le risque de la hausse du Dollar, si vous consommez beaucoup de gazole et voulez vous garantir un prix d’achat maximum au cours du prochain exercice, voire le prix d’achat de toutes vos livraisons de l’année, toutes situations dont on conviendra  qu’elles sont quand même assez banales pour de très nombreux  opérateurs économiques,  et y compris ceux au service des vrais gens, vous entrez donc dans le champ de la réglementation EMIR et devez par conséquent  vous soumettre aux obligations qu’elle met à votre charge[iii].

Il est vrai que,  comme l’indique l’AMF, « le règlement prévoit des obligations moins contraignantes pour les contreparties non financières qui ne traitent des produits dérivés qu’à des fins de couverture  [comme dans les exemples ci-dessus], ou  du moins dont l’activité sur les marchés de dérivés hors couverture reste en dessous d’un seuil appelé seuil de compensation »[iv].

Mais vous devez en toute hypothèse :

  • Conserver un enregistrement de chacun des évènements liés à la réalisation d’une transaction sur instrument financier (sa négociation, son exécution, sa confirmation et sa modification), et ce, pendant au moins 5 ans à compter de sa cessation,
  • Déclarer vos contrats dérivés à un référentiel central,  ce qui suppose notamment que vous demandiez votre LEI (Legal Entity Identifier === > Si vous êtes français allez voir par là : https://lei-france.insee.fr/index et ne vous impatientez pas….),  sachant que les nouveaux contrats, les modifications aux contrats existants et les cessations de contrats doivent être déclarés le jour ouvré suivant l’évènement déclaré et qu’il vous est possible de déléguer cette obligation à votre contrepartie (c’est généralement ce que votre banque va vous proposer)
  • Appliquer les techniques d’atténuation des risques imposées par le Règlement EMIR, comme celles relatives à la confirmation rapide, au rapprochement ou à la compression de portefeuilles, et au règlement des différends. Le règlement EMIR impose en effet aux parties aux opérations sur instruments financiers à terme de se doter « de procédures formalisées solides, résilientes et pouvant faire l’objet d’un audit permettant de rapprocher les portefeuilles, de gérer le risque associé, de déceler rapidement les éventuels différends entre parties et de les régler, et de surveiller la valeur des contrats en cours ».

 

En pratique, vous devrez, notamment :

–          Veiller à bien retourner les confirmations des opérations, une fois que vous les aurez bien vérifiées dans les délais très courts désormais applicables (deux jours),

 –          Vous mettre d’accord avec chacune de vos contreparties pour procéder selon la fréquence imposée par la réglementation (et qui est a minima annuelle si vous avez au plus 100 transactions en cours) et selon la méthode que vous définirez ensemble (transmission unilatérale ou échange bilatéral des données du portefeuille) à la réconciliation du portefeuille (ce qui signifie pour une contrepartie donnée comparer les données de l’ensemble des contrats financiers conclus avec cette contrepartie),

 –          Convenir avec chacune de vos contreparties des modalités de règlement des désaccords  susceptibles d’apparaître à la suite de cette réconciliation, et des procédures à mettre en œuvre pour résoudre ces désaccords, y compris ceux qui persisteraient pendant plusieurs jours.   

Aux effets ci-dessus, il est plus que recommandable de mettre à jour la convention-cadre FBF (ou ISDA) vous liant à chacune de vos contreparties puisque, biensûr, votre contrepartie financière et vous-mêmes n’avez pas omis de prendre la précaution de conclure une convention cadre pour y soumettre l’ensemble de vos transactions sur instruments financiers à terme…

Rappelons ici, qu’une telle convention globalise ces transactions, et fait bénéficier les parties des dispositions législatives et réglementaires applicables et notamment des articles L. 211-36 et L. 211-36-1 du Code monétaire et financier, ce qui leur permet de compenser les différentes opérations en un solde unique et de rendre opposable aux tiers les modalités de résiliation, d’évaluation et de compensation qu’elle stipule. 

La Fédération Bancaire Française a diffusé auprès de ses adhérents des « kits de mise à jour » des convention-cadre existante de même qu’une nouvelle convention-cadre tenant compte des dispositions du règlement EMIR pour faciliter ce travail de mise à jour et de mise aux normes EMIR qui sera l’occasion de préciser les modalités concrètes d’exécution des obligations résultant de cette réglementation.

Nous vous invitons à être accompagnés pour procéder à cette mise à jour de la convention-cadre FBF et à analyser les documents et les contrats dont vous serez le cas échéant destinataires dans le cadre de la mise en œuvre d’EMIR et pour identifier et traiter les problèmes de conformité de votre portefeuille de transactions et de vos process.

Même s’il ne faut pas exagérer la complexité de cette réglementation[v], ces règles sont techniques, assez rébarbatives pour les non-initiés, et de nombreuses sources d’information ne sont accessibles qu’en anglais.  

Mais ne vous découragez pas. Cet EMIR-là vous veut du bien !

 



[i] Banque de France – Revue de la Stabilité Financière n°14 Juillet 2010 Daniela Russo :Produits dérivés OTC : défis pour la stabilité financière et réponses des autorités.

[ii] Sur cette question voir les réponses 14 et 15 de la F.A.Q publiée par la Commission Européenne (mais le texte est an anglais) : les établissements publics de santé sont dans le champ, les communes non, cf. :  http://ec.europa.eu/internal_market/financial-markets/docs/derivatives/emir-faqs_en.pdf

[iii]Les exemples ici donnés ne sont que des exemples des contrats financiers entrant dans le champ d’EMIR, qui couvre l’ensemble des produits dérivés :

–          Options, Futures, Swaps, Forward Rate Agreements (FRA) et tout autre instrument ou contrat dérivé  conclus sur des titres financiers, devises, taux d’intérêts,  instruments dérivés et indices  financiers,

–          Options, Futures, Swaps, Forward Rate Agreements et tout autre instrument ou contrat dérivé  lié aux matières premières, traité sur un marché régulé ou un Système Multilatéral de Négociation (SMN),

–          Instruments dérivés de crédit (CDS, CDO, FTD),

–          Contract for Difference (CFD),

–          Options, Futures, Swaps, Forward Rate Agreement conclus sur des variables climatiques, des  niveaux de fret, des taux d’inflation ou tout autre statistique économique officielle.

[iv] Voir la rubrique « Produits dérivés – EMIR pour les contreparties non-financières » mises en ligne par l’AMF sur son site.

[v] En particulier si on est une contrepartie non financière effectuant peu de transactions sur instruments financiers à terme et dont les volumes traités restent en deçà des seuils de compensation,