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« Si le gouvernement persiste à imposer des mesures anti-médecine libérale et des tarifs de mépris, la CSMF engagera un nouveau conflit » annonce Jean-Paul Ortiz, Président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français dans le quotidien du médecin du 5 septembre 2014.

 

La messe est dite : l’avant-projet de loi de santé ne plaît pas aux médecins libéraux. Ont-ils raison de voir dans l’avant-projet de loi une révolution de l’exercice libéral à leur détriment ?

 

L’avant-projet contient en effet plusieurs dispositions relatives aux professionnels libéraux. Certaine mérite une analyse particulière pour mesurer les conséquences sur l’exercice libéral. Nous procèderons à l’analyse de certaines d’entre elles pour mesurer leur incidence sur l’exercice libéral, et vérifier les conséquences sur la liberté d’exercice.

 

Trois nouvelles missions sont dévolues aux ARS concernant les professionnels libéraux, qui devraient avoir un impact sur l’exercice libéral.

 

1-     ARS, programmatrice des besoins de santé sur le territoire

 

Depuis la loi HPST, les ARS « veillent à ce que la répartition territoriale de l’offre de soins permette de satisfaire les besoins de santé de la population »[1]. Pour ce faire, elle définit et met en œuvre un projet régional de santé constitué notamment d’un schéma régional d’organisation des soins (SROS)[2] qui :

 

 « – précise, dans le respect du principe de liberté d’installation des professionnels de santé[3], les adaptations et les complémentarités de l’offre de soins, ainsi que les coopérations, notamment entre les établissements de santé, les communautés hospitalières de territoire, les établissements et services médico-sociaux, les centres de santé, les structures et professionnels de santé libéraux.

(…)

– Indique, par territoire de santé, les besoins en implantation pour l’exercice des soins mentionnés aux articles L.1411-11 [accès aux soins de premier recours] et L.1411-12 [soins de second recours], notamment celles des professionnels de santé libéraux, des pôles de santé, des centres de santé, des maisons de santé, des laboratoires de biologie médicale et des réseaux de santé. Les dispositions qu’il comporte à cet égard ne sont pas opposables aux professionnels de santé libéraux »[4].

 

Cette dernière phrase est d’importance puisqu’à l’égard des professionnels de santé libéraux, le SROS n’a qu’un caractère informatif et non impératif. Le SROS s’apparente à une cartographie de l’offre de soins sur un territoire.

 

On notera à ce titre que le Conseil national de l’Ordre des médecins ne s’estime pas lié (à juste titre) par le SROS lorsqu’il doit se prononcer sur une demande de tout professionnel libéral qui souhaite exercer sur plusieurs sites, conformément à l’article R.4127-85 CSP qui conditionne cette autorisation notamment à l’existence « dans le secteur géographique considéré [d’] une carence ou [d’] une insuffisance de l’offre de soins préjudiciables aux besoins des patients ou à la permanence des soins ». Le Conseil va vérifier si la demande du professionnel de santé vise à répondre aux besoins exprimés par la population.

 

L’avant-projet de loi annonce un profond bouleversement :

 

Le chapitre relatif à la planification régionale de la politique de santé est entièrement refondu.

Plus particulièrement, le SROS est remplacé par le schéma régional de santé (SRS) et il « indique les besoins en implantations pour l’exercice des soins de premier recours et second recours mentionnés aux articles L.1411-11 et L.1411-12 »[5]. La nouvelle rédaction ne fait plus mention d’un défaut d’opposabilité du SRS aux professionnels libéraux. La lecture de l’exposé des motifs de l’avant-projet tend à nous faire remarquer qu’il ne s’agit pas d’un oubli, mais d’une volonté réelle visant à « renforcer le caractère stratégique et l’opérationnalité de la programmation régionale en simplifiant et assouplissant les PRS »[6].

 

Ainsi, à l’avenir, le SRS sera opposable aux professionnels libéraux, ce qui revient à restreindre le principe de liberté d’installation ! Cette disposition vise plus particulièrement les médecins ou les chirurgiens-dentistes[1].

 

Certes, il ne s’agit pas d’une idée nouvelle. Le rapport Maurey « Désert médicaux : agir vraiment » présenté le 5 février 2013 proposait déjà de ne pas conventionner les médecins qui s’installeraient dans des zones considérées comme « surdotées ».

 

Si la rédaction du texte se maintient en l’état, il est fini de la liberté d’installation des médecins et chirurgiens-dentistes. Les Ordres se devront d’appliquer le « SRS » et refuser une primo-installation ou un exercice complémentaire d’un professionnel dans une zone surdotée au motif que les besoins en implantation sont satisfaits sur le territoire demandé.

 

La réforme n’est pas dénuée de sens mais convenons que la Ministre de la Santé a changé son fusil d’épaule : Après avoir énoncé des mesures incitatives dans le cadre du « pacte territoire santé » (décembre 2012), elle engage aujourd’hui un passage en force.

 

 

2-     ARS, organe de financement des activités des professionnels libéraux

 

A la « planification » des soins de premier recours, complète le dispositif par des mesures incitatives confiées aux ARS.

 

  • Il est proposé que le Directeur général de l’ARS « arrête les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante » au sein desquelles il pourra mettre en place des mesures « destinées à favoriser une meilleure répartition géographique des professionnels de santé, des maisons de santé, des pôles de santé, des centre de santé (…) »[7]. Bien évidemment, les mesures seront précisées par décret. On reste dans le flou…

 

  • L’avant-projet de loi instaure également un « service territorial de santé » qui a « pour objectif, par une meilleure coordination des acteurs de santé, l’amélioration et la protection de l’état de santé de la population ainsi que la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé »[8]. Il s’agirait d’un engagement collectif, c’est-à-dire proposé par les professionnels de santé de premier recours, les paramédicaux, les établissements de santé, médico-sociaux et sociaux formalisé dans un contrat. Il vise à solliciter des professionnels qu’ils s’accordent pour offrir aux patients un parcours de santé optimal.

 

Ce contrat s’inscrit dans la stricte continuité du rapport présenté par Bernadette DEVICTOR en  mars 2014 qui évoquait la nécessité de mettre en place un « service public territorial de santé » et s’il n’en reprend pas la dénomination exacte, le dispositif retenu en reprend les attributs tels que décrit à l’article 25 de l’avant-projet :

– accessibilité territoriale et financière

– continuité

– adaptabilité

– neutralité

 

Que cela signifie-t-il ? Quelles seront les obligations des uns et des autres ? Les professionnels contractants accepteraient des contraintes et des sujétions importantes. Quelle serait la contrepartie ? Les professionnels s’engageant dans le cadre du service territorial de santé pourront prétendre à des subventions au titre du fonds d’intervention régional (FIR)[9]. Mais cette contrepartie est-elle aussi alléchante qu’il n’y paraît ? De quoi s’agit-il exactement ? Le FIR n’a pas vocation à constituer des aides de fonctionnement. Il ne pourra donc s’agir de rémunération supplémentaire. La carotte risque d’être en réalité bien maigre.

 

 

3-     ARS, « conseillère » des professionnels de santé pour la prise en charge des patients dans le cadre d’un parcours de soins complexes

 

A priori plus anecdotique, l’avant-projet de loi prévoit que l’ARS sera chargée « d’organiser l’appui aux professionnels, notamment ceux concourant à l’offre de soins de premier recours, qui assurent une prises en charge des patients relevant de parcours de santé complexes » déterminé au regard de leur état de santé ou de leur situation professionnelle[10].

 

Cette disposition est bien sibylline et mérite des éclaircissements.

 

S’agit-il d’agir en entremetteur (?) et de favoriser des coopérations entre professionnels de santé ?

 

S’agit-il d’apporter directement les services nécessaires pour permettre aux médecins d’accomplir leurs missions ? Mais alors, n’est-ce pas une porte ouverte sur une responsabilité accrue des Agences ?

 

En l’état de l’avant-projet de loi, il est indéniable que les pouvoirs publics franchissent le Rubicon de la médecine libérale et s’engagent dans une voie de planification en conjuguant coercition et incitation. Ce passage en force est pour le moins hardi. N’est pas César qui veut : ne doutons pas que quelques irréductibles praticiens s’y opposeront. Alea jacta est !

 

 

 

 



[1] Parmi les professionnels de santé, les pharmaciens sont soumis à autorisation administrative.

Parmi les paramédicaux, les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes sont soumis à un système de régulation.



[1] Article L.1431-2 CSP

[2] Article L.1434-2 CSP

[3] Nous soulignons ; ce rappel vaut pour toute citation d’articles du CSP

[4] Article L.1434-7 CSP

[5] Article 37 de l’avant-projet de loi

[6] Article 37, exposé des motifs

[7] Article 37, proposant un article L.1434-5 CSP

[8] Article 11, proposant un article L.1434-15-1 CSP

[9] Article 11, proposant un article L.1434-15-1 CSP

[10] Article 13, proposant un article L.6331-1 CSP