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Voici le texte d’un article à paraître dans les Cahiers Hospitaliers :
Quel dispositif juridique pour les maisons de naissance ?
Dominique LAROSE, Juriste
Avec la collaboration de Caroline DENAMBRIDE, avocate stagiaire
Cabinet HOUDART & Associés,
Paris
Des "maisons de naissance" permettant à des femmes présentant des grossesses sans risque d'accoucher dans un environnement moins médicalisé, prévues notamment par le plan périnatalité 2005-2007, devaient être expérimentées à partir du 1er septembre 2011. C’est du moins ce qui aurait pu se produire si l’article 67 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 (PLFSS) autorisant leur expérimentation, adopté par les députés, repoussé par les sénateurs, puis récupéré par la commission mixte paritaire, n’avait pas été censuré, à juste titre, par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier social (Décision n° 2010-620 DC du 16 décembre 2010).
Le projet ne semble pas pour autant abandonné et devrait trouver sa place dans un prochain véhicule législatif.
Quel que soit leur intérêt réel ou supposé dans un contexte particulièrement incitatif et favorable, la création de ces maisons de naissance pose de nombreuses questions juridiques auxquelles les textes législatifs et règlementaires devront impérativement répondre.
Un contexte incitatif
La justification de cette nouvelle formule est parfaitement explicitée par la Cour des comptes (http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/Perinatalite.pdf) : « Si l'accouchement est dans la très grande majorité des cas (80 %) un phénomène physiologique de la compétence de la sage-femme, les complications obstétricales peuvent être d'une gravité extrême et justifient la présence permanente ou du moins l'accessibilité immédiate d'un gynécologue-obstétricien. Toutefois, la captation d'une partie des grossesses non pathologiques par les gynécologues-obstétricien a pour conséquence de priver les unités qui gèrent les grossesses à haut risque des spécialistes nécessaires. Par ailleurs, la politique menée jusqu'à présent, consistant à rémunérer davantage les actes de physiologie pratiqués par les obstétriciens, concourt à augmenter les dépenses publiques sans justification puisque ces actes pourraient être réalisés à un coût inférieur. (…) L'utilisation optimale des compétences de chacun implique donc une redéfinition des pratiques et des responsabilités : compétence des sages-femmes pour la pratique de l'obstétrique physiologique, prise en charge des seules grossesses pathologiques par les obstétriciens, prise en charge par les pédiatres des soins pédiatriques en maternité, de l'activité néonatale sans et avec soins intensifs et de la réanimation néonatale. Elle implique aussi des transferts de tâches permettant de recentrer chaque professionnel sur ses missions essentielles : transfert de certaines tâches infirmières des sages-femmes aux puéricultrices et de certains actes pratiqués par les anesthésistes-réanimateurs aux infirmières anesthésistes diplômées d'Etat.».
Un contexte juridique favorable
Alors que la tendance pendant plusieurs décennies a été à l’hospitalocentrisme et à la surmédicalisation dans un souci légitime d’amélioration constant de la prise en charge et de la qualité des soins, la nouvelle tendance de la politique sanitaire vise, malgré le fameux"principe de précaution" dont on nous rebat les oreilles, à rechercher le meilleur niveau de prise en charge au meilleur coût en s’appuyant sur les compétences reconnues des différentes catégories de professionnels médicaux et paramédicaux.
Ainsi, les gynécologues-obstétriciens, a fortiori dans une période de raréfaction des ressources humaines, devraient désormais se consacrer essentiellement à la prise en charge des grossesses à risque, tandis que les sages-femmes, dont les compétences sont fixées et reconnues par les articles L.4151-1 et suivants du Code de la santé publique, assureraient, conformément aux textes les régissant, de manière autonome et sous leur propre responsabilité, le suivi des grossesses, la réalisation des accouchements et le suivi post-natal, dès lors qu'il n'y a pas de pathologie.
Une autre illustration de ce mouvement est fournie par les « transferts de compétences » d’ores et déjà mis en œuvre dans plusieurs domaines médicaux et paramédicaux (Arrêté du 13 décembre 2004 relatif à la coopération entre professionnels de santé modifié par arrêté du 30 mars 2006 pris en application de l'article 131 de loi 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique : entre ophtalmologistes et orthoptistes, entre radiothérapeutes et manipulateurs d’électroradiologie médicale, entre médecins et diététiciens et entre médecins et infirmiers pour la prise en charge de patients suivis dans les centres d’hémodialyse et de patients stabilisés infectés par le virus de l’hépatite C) à la suite du Rapport Berland (« Coopération des professions de sante : le transfert de taches et de compétences », La Documentation française, octobre 2003). Ce mouvement a été confirmé par l'article 51 de la loi HPST : possibilité permanente pour les professionnels de santé de déroger aux textes définissant leurs professions, pour « s'engager dans une démarche de coopération ayant pour objet d'opérer entre eux des transferts d'activités ou d'actes de soins ou de réorganiser leurs modes d'interventions auprès du patient » (articles L. 4011-1 et suivants du CSP).
Il convient désormais de réduire la médicalisation à ce qui est juste nécessaire afin de réduire les coûts pour la société ainsi que le préconise à son tour le récent "Rapport relatif aux métiers en santé de niveau intermédiaire".
Malgré ces éléments contextuels favorables, le projet de création de maisons de naissance et les conditions de leur mise en œuvre posent de nombreuses questions notamment juridiques.
La dénomination
Si l’on en croit Wikipedia, le terme « Maisons de Naissance » aurait fait l'objet d'un dépôt à l'Institut National de Protection Industrielle (INPI) en 1999 par un groupe national de travail regroupant la Fédération Naissance et libertés, l'Association Nationale des Sages-Femmes Libérales, l'Organisation Nationale des Syndicats de Sages-Femmes et l'Union des Syndicats de Sages-Femmes. Il serait donc impossible de l'employer dans la loi ou tout document administratif…
Etablissement de santé ou pas ?
Le projet d’article L. 6122-19 du code la santé publique prenait la peine de préciser : "Les maisons de naissance ne sont pas des établissements de santé au sens de l’article L. 6111-1 et ne sont pas soumises au chapitre II du titre II du livre III de la deuxième partie".
On comprend l’effet recherché qui était de soustraire ces structures alternatives à l’hospitalisation traditionnelle aux normes de fonctionnement des maternités fixées notamment par le décret n° 98-899 du 9 octobre 1998 (Articles D6124-35 et suivants du CSP).
Cependant, un tel choix perturbe la logique juridique en la matière puisque la définition d’un établissement de santé est purement tautologique : l’établissement de santé est toute structure de droit public ou privé qui exerce une activité de soins soumise à autorisation et, jusqu’à décision contraire, le 3° de l’article R. 6122-25 du CSP vise bel et bien les activités de "Gynécologie-obstétrique, néonatologie, réanimation néonatale" qui englobent la prise en charge de la naissance.
A un moment où la loi HPST requalifie en établissements de santé les groupements de coopération sanitaire titulaires d’autorisation d’activités de soins et alors même que les services d’hospitalisation à domicile ont été qualifiés par le Conseil d’Etat d’établissement de santé (CE, Avis 8 décembre 1987, N° 343173), il serait pour le moins curieux que le législateur puisse faire coexister, sans aucun état d’âme, dans un même corpus de règles, des structures de naissance qui seraient établissements de santé (hôpitaux et cliniques) et des structures de naissance qui n’en seraient pas (les "maisons de naissance").
L'insertion dans les schémas régionaux d'organisation des soins
La question de l'insertion des maisons de naissance dans les schémas régionaux ne manquera pas de se poser au moment où l'on poursuit, pour des raisons de sécurité, de démographie médicale comme pour des raisons économiques, le regroupement des maternités.
En effet, ces maisons de naissance sont-elles appelées à n'être qu'une alternative à la surmédicalisation de la naissance destinée à des populations ayant fait ce choix par effet de mode ou pour des raisons philosophiques, religieuses voire sectaires (N'éludons pas la question : celle-ci a largement été débattue à l'Assemblée lors de l'examen du PLFSS 2011 et Roselyne Bachelot n'a pas hésité à déclarer : "La démarche que je vous propose est la meilleure façon de lutter contre les dérives sectaires") ou sont-elles appelées à devenir des maternités de premier niveau destinée à accueillir toutes les femmes d'un territoire donné, ce qui nécessiterait de modifier les normes de fonctionnement actuelles ?
Dans l’hypothèse où le projet de création des maisons de naissances verrait effectivement le jour, il serait indispensable d’intégrer sans ambigüité ces structures dans l’offre de soins régionale en allant vraisemblablement au-delà de ce que prévoyait le projet d’article L. 6122-19 dans son 8ème alinéa (la liste des maisons de naissance autorisées à fonctionner à titre expérimental devait être établie en fonction, notamment, de l'intérêt et de la qualité du projet et de « son intégration dans l'offre de soins régionale en obstétrique »).
L'orientation mérite d'être clairement posée : les conséquences en termes de liberté de choix, d'égalité des citoyens comme en termes d'obligations de service pouvant être très différentes selon l'une ou l'autre des options visées précédemment.
Le traitement de la douleur
Le 7° de l'article R. 4127-318 autorise uniquement l’anesthésie locale au cours de l’accouchement. Si elle peut participer à la technique d’analgésie loco-régionale lors de l’accouchement, ce n'est que sous réserve qu’un médecin puisse intervenir à tout moment, et à l’exclusion de la période d’expulsion. La première injection doit obligatoirement être réalisée par un médecin.
A moins d’autoriser les mêmes sages-femmes à pratiquer des péridurales, on voit mal comment pourrait être traitée la prise en charge de la douleur dans de telles établissements, En l’état du projet initial, les "maisons de naissance" seraient réservées aux seules femmes qui s'engeraient à ne pas demander une telle prise en charge de la douleur alors qu’il s’agit d’une préoccupation réaffirmée des pouvoirs publics (Par exemple, en matière de chirurgie : circulaire N° DGS/DH/DAS/SQ2/99/84 du 11 février 1999, circulaire DHOS/E2 n° 266 du 30 avril 2002 relative à la mise en œuvre du programme national de lutte contre la douleur 2002-2005 dans les établissements de santé) et un souhait légitime de la plupart des parturientes.
Les risques
Les progrès considérables apportés par la surveillance obstétricale clinique, l'échographie, les contrôles biologiques, l'accroissement des normes ont permis d'obtenir une réduction significative des accidents néonataux.
L'objectif affiché est désormais de "faire moins et mieux pour le bas risque et plus et mieux pour le haut risque".
L'appréciation des risques liés à la mise en place des maisons de naissance est donc indispensable a fortiori au moment où l'on ferme de nombreuses maternités de niveau I pour insuffisance de sécurité même si des études au niveau international tendent (ou cherchent) à démontrer la sécurité des maisons de naissance.
Les risques au cours de l'accouchement
Même si l’on peut prétendre que le principe, au sein des maisons de naissance, « une femme/une sage-femme » ainsi que la sélection extrêmement rigoureuse des patientes permettra un suivi particulièrement personnalisé et sécurisé de la patiente, on ne peut passer sous silence les risques liés aux accouchements mis en lumière par la jurisprudence en la matière, par exemple : surveillance insuffisante de la parturiente (Cass. n° 04-17056, 7 février 2006), accouchement dystocique, obstétricien prévenu avec retard (Cass. n° 03-12364,13 décembre 2005), faute d'interprétation d'un monitoring par la sage-femme, perte de chance pour l’enfant (Cass. n° 01-10039, 10 juillet 2002), Enfant cyanosé, erreur thérapeutique : administration à la parturiente à trop forte dose d’une médication non prescrite par le médecin sans une surveillance monitorée (Cass. n° 97-10.869, 7 juillet 1998), geste pratiqué par la sage-femme sur la parturiente – force excessive et disproportionnée – Fractures du crâne de l’enfant (CA Paris n° n°024569, 24 octobre 1997), absence d'appel de l'obstétricien de garde malgré la durée anormale de la phase d'expulsion (Cass. n° 93-20.544, 93-20.579, 93-20.786, 30 octobre 1995), accouchement dystocique réalisé par une sage-femme, enfant atteint d’une paralysie (Cass. n° 87-11.875 du 18 janvier 1989).
Les études montent également que les hémorragies du post-partum (HPP) intéressent 4 à 5 % des accouchements. Malgré l’identification de certains facteurs de risque dont certains font aujourd’hui débat au sein de la communauté médicale (comme l’administration d'ocytocine qui n’est pas au demeurant pratiqué dans les maisons de naissances : « Women with severe PPH secondary to uterine atony were exposed to significantly more oxytocin during labor compared to matched controls. » Oxytocin exposure during labor among women with postpartum hemorrhage secondary to uterine atony. American Journal of Obstetrics & Gynecology, Volume 204, Issue 1 , Pages 56.e1-56.e6), elles sont le plus souvent imprévisibles.En France, c’est la première cause de mortalité maternelle. Huit à neuf décès sur 10 par hémorragie seraient évitables.
D'indispensables coopérations
L'exercice des sages-femmes en maison de naissance ne saurait être un exercice isolé.
En effet, si la sage-femme exerce une profession médicale, son champ de compétence est toutefois limité à la grossesse et à l'accouchement normal, un médecin devant obligatoirement prendre le relais en cas de grossesse ou accouchement pathologique (articles L4151-1 à L4151-3, R4127-318 du CSP).
Conformément à l'article L. 4151-3 du CSP, « En cas de pathologie maternelle, fœtale ou néonatale pendant la grossesse, l’accouchement ou les suites de couches, et en cas d’accouchement dystocique, la sage-femme doit faire appel à un médecin. Les sages-femmes peuvent pratiquer les soins prescrits par un médecin en cas de grossesse ou de suites de couches pathologiques ».
De surcroît, les actes et les prescriptions médicamenteuses que les sages-femmes sont autorisées à effectuer sont strictement encadrés par des textes réglementaires (Article L4151-4 et Arrêté du 23 février 2004 modifié).
C'est pourquoi le texte retenu par la commission mixte était le bien venu qui prévoyait "Le décret en Conseil d’État visé au dernier alinéa du présent article précise notamment que la maison de naissance doit être attenante à une structure autorisée à l’activité de gynécologie-obstétrique avec laquelle elle doit obligatoirement passer une convention".
De surcroît, les maisons de naissance devaient, ce qui est indispensable, s’intégrer dans un réseau périnatalité.
Même si selon certaines études la proportion de complications affectant l'accouchement ou la délivrance ne dépasseraient pas 5%, eu égard aux risques potentiels liés à la naissance qui ne se découvrent parfois qu’en salle de travail (chez l'enfant : souffrances fœtales plus ou moins brutales dues à des dystocies mécaniques ou dynamiques, des procidences du cordon ou des circulaires non détectées à l'échographie, se terminant par des morts fœtales ; chez la mère : déchirures du périnée plus ou mois graves, hémorragies de la délivrance), la proximité d’un établissement de santé apparaît indispensable.
De surcroît, devraient être mis en place des coopérations avec des établissements de santé équipés ainsi que les plans de transfert fortement suggérés par le Rapport CRÉPIN et BRÉART adopté le 23 novembre 2010 par l'Académie de médecine.
Mais la proximité d’un établissement de santé dûment équipé ne règlera pas toutes les questions de responsabilité et surtout de partage de responsabilité entre les différents acteurs en cas d’accidents (suivi prénatal de la mère et du fœtus, accouchement, transfert, admission et prise en charge en établissement de santé de la mère ou de l'enfant, autres intervenants libéraux).
Les risques liés à une sortie précoce de la mère et du nouveau-né
Les maisons de naissance n'ont pas vocation à héberger les parturientes et les nouveau-nés.
Or, de très nombreux litiges liés à des complications chez la mère ou chez l’enfant sont liés aux conséquences de sorties trop rapides. Dans la plupart des maternités, les mères sont gardées en salle d'accouchement pendant deux heures et surveillées par le personnel dans leur lit d'hospitalisation pendant les premières vingt-quatre heures pour détecter toute anomalie (complications hémorragiques : inertie utérine, saignement au niveau d'une déchirure du col passée inaperçue, saignement au niveau d'une épisiotomie, thrombus vulvo-vaginal).
Une organisation précise de la sortie et du suivi à domicile devra donc impérativement être imposée par les textes et faire l’objet d’évaluations régulières. On ne saurait en effet considérer, en la matière, que constituent un cadre juridique suffisant les seules modalités de prise en charge financière selon lesquelles le forfait accouchement comprendrait tous les soins et déplacements effectués pendant les sept jours qui suivent l'accouchement
Au terme de cette analyse, sans nier l’intérêt de telles maisons de naissance, il est permis de s’interroger aujourd’hui sur les objectifs poursuivis par les promoteurs de ce projet. Celui-ci, à l'évidence, n'est pas seulement d'offrir un nouveau niveau de prise en charge des accouchements dits « physiologiques » comme le souhaitent la Cour des comptes ou de nombreuses sages-femmes, mais de sécuriser les accouchements qui aujourd'hui se réalisent « à domicile » ou prétendument à domicile, ce qui constitue indéniablement un problème de santé publique.