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Quand l’hôpital doit répondre à des injonctions paradoxales: réduire les dépenses de personnel et attirer les médecins.

 

« Hôpital cherche médecins, coûte que coûte ». C’est le constat que dresse le groupe socialiste de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale dans un rapport rendu en décembre 2013 sur l’intérim médical et les médecins contractuels à l’hôpital.

 

Sur les 115 000 médecins exerçant à l’hôpital, un peu plus de 42 000 praticiens hospitaliers sont en poste pour un peu plus de 48 000 postes budgétés en 2013. Le taux de vacance de poste dépasse donc en théorie les 20% en moyenne sur l’ensemble des spécialités médicales. Un certain nombre de ces postes vacants est occupé par des praticiens contractuels, un autre partie est comblée par des intérimaires médicaux qui ont pu être qualifiés de mercenaires tant leur coût est exorbitant.

 

Le rapport estime qu’en tenant compte des intérimaires médicaux qui représenteraient 6 000 médecins, le coût de l’emploi temporaire médical pour les hôpitaux s’élèverait à 500 millions d’euros.

 

Reprenant à son compte ces constats et estimations, la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2014 rendu dans le cadre du projet de la loi du financement de la sécurité sociale pour 2015, enjoint aux hôpitaux de maîtriser les dépenses de personnel médical et de revenir sur la réponse coûteuse de l’intérim médical en développant la coopération entre établissement, la gestion du temps médical et paramédical ainsi que la gestion prévisionnelle des compétences (GPEC). 

Pour y parvenir, la Cour concède néanmoins que les hôpitaux sont tributaires de l’action des acteurs nationaux et régionaux. Le CNG doit améliorer la visibilité des postes vacants et l’ARS doit renforcer son rôle dans la gestion territoriale des ressources humaines médicales.

L’avant-projet de loi santé portée par la ministre Marisol Touraine s’inscrit dans ce contexte et cette réflexion et semble bien plus répondre à l’enjeu de maîtrise de la dépense publique du personnel hospitalier qu’à celui de l’attractivité de l’hôpital.

 

Frilosité du gouvernement : Un plafonnement non précisé du coût de l’intérim médical

L’article 33 du projet de loi prévoit d’insérer au code de la santé publique dans le chapitre consacré à l’organisation interne des établissements publics de santé, un nouvel article L. 6146-2-1 relatif à l’intérim médical.

Cet article prévoit que :

« Les établissements publics de santé peuvent avoir recours à des professionnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques pour des missions de travail temporaire dans les conditions de l’article 9-3 de la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

Le montant journalier des dépenses engagées pour un praticien au titre d’une mission est plafonné. Les modalités de fixation de ce plafond sont déterminés par voie réglementaire »

L’article 9-3[1] de la loi précitée du 9 janvier 1986 introduit par la loi n° 2009-972 du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique prévoit que les établissements publics de santé peuvent avoir recours aux services des entreprises d’intérim dans les conditions des articles L.1251-1 et suivants du code du travail.

Cette précision législative n’a que peu d’utilité si ce n’est de renforcer la lisibilité des textes applicables en matière d’intérim dans le secteur public.

Les articles L. 1251-1 et L.1251-60[2] du code du travail prévoient déjà que les établissements publics peuvent recourir à des intérimaires dans les conditions prévues par le code du travail.

L’intérim médical à l’hôpital est donc d’ores et déjà réglementé.

Le code du travail prévoit notamment que la rémunération du salarié intérimaire est déterminée par le nombre d’heures effectuées, et se compose :

ü  du salaire de référence c’est-à-dire celui que percevrait dans l’entreprise utilisatrice, après période d’essai, un salarié de qualification équivalente occupant le même poste de travail (art. L. 1251-18 et L. 1251-43 du code du travail).

ü  de deux indemnités : l’indemnité́ de fin de mission (10% du salaire qui compense le caractère temporaire de la mission) et l’indemnité́ compensatrice de congés payés (10% l’intérimaire ne prenant généralement pas ses congés durant la période de mission).

En application de ce cadre légal, les intérimaires devraient percevoir une rémunération équivalente à celle que percevraient des praticiens hospitaliers de compétence et expérience comparables.

Or, et c’est bien la difficulté actuelle, les médecins intérimaires exerçant à l’hôpital perçoivent selon les estimations du rapport parlementaire un salaire journalier de 650 euros nets quand un praticien hospitalier perçoit 260 euros nets pour une journée selon le Centre national de gestion (CNG).

Force est donc de constater que la rémunération des médecins intérimaires à l’hôpital dans ces conditions est contraire au cadre légal en vigueur et applicable aux hôpitaux.

L’avant-projet de loi de santé prévoit un plafonnement du montant journalier des dépenses engagées pour un médecin intérimaire dont les conditions devront être déterminées par voie réglementaire.

Les établissements publics de santé étant garants de la bonne utilisation des deniers publics, la fixation d’un plafond permettra de répondre à cet impératif. Selon toute vraisemblance, les médecins intérimaires ne devraient pas pouvoir percevoir une rémunération supérieure au 13ème échelon de la grille des praticiens hospitaliers, majorée des indemnités et primes liées aux fonctions.

Reste à savoir si des mesures préventives ou coercitives seront mises en place pour faire respecter ce plafond aux sociétés intérimaires notamment.

Rappelons également que les établissements publics de santé doivent mettre en œuvre les règles de commande publique dès lors qu’il passe un contrat avec une société d’intérim pour l’utilisation de médecins intérimaires.

On le voit, dans l’attente des textes réglementaires, plusieurs inconnus demeurent. Le gouvernement se donnera-t-il les moyens d’une réelle maîtrise du coût de l’intérim médical ?

Parallèlement et afin de redynamiser le recrutement à l’hôpital, l’avant-projet de loi de santé prévoit la création d’une nouvelle position statutaire permettant le recrutement de praticien remplaçant.

 

« Praticien remplaçant », une énième position statutaire ou un réel atout d’attractivité ?

L’avant-projet de loi prévoit de créer un nouvel article L. 6152-1-1 CSP dans le chapitre consacré aux praticiens hospitaliers.

Cet article prévoit que les praticiens hospitaliers et les praticiens des hôpitaux à temps partiel « peuvent être placés, sur la base du volontariat, auprès du Centre national de gestion en position de remplaçants dans une région pour assurer des missions de remplacements temporaires  au sein des établissements publics de santé. »

Le gouvernement reprend ici la proposition du rapport parlementaire de décembre 2013 du groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Il reste que la réflexion du rapport sur ce recours à des praticiens remplaçants n’est que peu développée.

 

En tout état de cause, cette disposition a pour finalité de diminuer le recours à l’intérim médical et de permettre aux praticiens hospitaliers volontaires d’assurer des remplacements.

 

Il s’agit d’une « position » statutaire qui place les praticiens hospitaliers (PH) volontaires hors de leur établissement d’affectation, auprès du Centre national de gestion. A charge ensuite pour le CNG de les affecter dans un établissement qui a un poste vacant et qui doit remplacer un praticien absent.

 

Il ne s’agit pas d’une « situation » statutaire qui laisse les PH en position d’activité au sein de leur établissement comme cela est le cas de la situation de recherche d’affectation.

 

Cette distinction emporte plusieurs conséquences, notamment en termes de gestion au sein de l’établissement d’origine et au sein du CNG.

 

Le CNG les rémunérera pendant toute la durée de leur placement en position de praticien remplaçant. Le CNG sera-t-il pour autant considéré comme leur employeur ? Auront-ils l’assurance une fois leur mission temporaire réalisée de retrouver leur poste au sein de leur établissement d’origine ?

 

Les modalités et les conditions d’application de ce nouveau statut seront précisées par voie réglementaire.

 

On peut se demander si cette position attirera beaucoup de praticien hospitalier, dans la mesure où elle ne devrait pas se traduire par une augmentation de leur rémunération excédant le 13ème échelon de leur grille.

 

Cette position ouvre la possibilité aux praticiens hospitaliers d’assurer des remplacements et de combler des postes vacants dans certaines régions, en concurrence avec les praticiens contractuels dont le recrutement relève des mêmes cas d’ouverture.

 

Il n’est pas certain que cette nouvelle position soit une solution. Elle n’aura pas pour effet d’accroître le nombre de praticien hospitalier et d’augmenter leur rémunération.

 

Or, plusieurs spécialités sont sujettes à des départs à la retraite massifs et l’attractivité des cliniques par rapport à l’hôpital se situe, comme le relève la Cour des comptes, au niveau des rémunérations. A titre d’exemple, la rémunération brute annuelle d’un PH anesthésiste est de 99 000 euros, lorsqu’elle est d’environ 255 000 euros dans le secteur privé lucratif.

 

A n’en pas douter, une revalorisation de la rémunération des PH rendrait plus attractive l’exercice médical à l’hôpital et par voie de conséquence pourrait désamorcer le recours à l’intérim médical.

 

Plus encore, à l’heure où la coopération et les regroupements d’établissements sont mis à l’honneur, il serait intéressant de porter une réflexion sur la possibilité pour les établissements de constituer des groupements d’employeurs en vue de faciliter la mobilité des personnels médicaux et non-médicaux sur un territoire : la région, le département ou autre périmètre selon les enjeux locaux.

 

L’avant-projet de loi dont la ligne directrice semble être de coller à l’injonction de maîtrise des dépenses de la Cour des comptes omet pourtant de s’intéresser au levier qu’est le groupement de coopération.

 

Plus inquiétant et surprenant, l’avant-projet semble même manœuvrer en sens inverse au mouvement actuel de regroupement. Il envisage d’aligner, par ordonnance, les règles en matière de redevance des médecins exerçant dans le cadre d’un GCS sur celles plus restrictives applicables aux libéraux intervenant en établissement sur le fondement de l’article L.6146-2 CSP. Cette mesure retirerait au GCS le levier d’attractivité qu’est la libre détermination du taux de redevance.

 

 

 

 

 



[1] Article 9-3 de la loi n°86-33 : « Les établissements mentionnés à l’article 2 peuvent avoir recours aux services des entreprises mentionnées à l’article L. 1251-1 du code du travail dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre V du livre II de la première partie du même code, sous réserve des dispositions prévues à la section 6 de ce chapitre. »

 

[2] Art. L.1251-1 : « … Lorsque l’utilisateur est une personne morale de droit public, le présent chapitre s’applique, sous réserve des dispositions prévues à la section 6. »

Section 6 – Art.L.1251-60 CT : « Les personnes morales de droit public peuvent faire appel aux salariés de ces entreprises pour des tâches non durables, dénommées missions, dans les seuls cas suivants :

1° Remplacement momentané d’un agent en raison d’un congé de maladie, d’un congé de maternité, d’un congé parental ou d’un congé de présence parentale, d’un passage provisoire en temps partiel, de sa participation à des activités dans le cadre d’une réserve opérationnelle, sanitaire, civile ou autre, ou de l’accomplissement du service civil ou national, du rappel ou du maintien sous les drapeaux ;

2° Vacance temporaire d’un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu dans les conditions prévues par la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

3° Accroissement temporaire d’activité ;

4° Besoin occasionnel ou saisonnier.

Lorsque le contrat est conclu au titre des 1°, 3° et 4°, la durée totale du contrat de mission ne peut excéder dix-huit mois. Elle est réduite à neuf mois lorsque l’objet du contrat consiste en la réalisation de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité. Elle est portée à vingt-quatre mois lorsque la mission est exécutée à l’étranger.

Lorsque le contrat est conclu au titre du 2°, la durée totale du contrat de mission ne peut excéder douze mois. Elle est réduite à neuf mois si le contrat est conclu dans l’attente de la prise de fonctions d’un agent.

Le contrat de mission peut être renouvelé une fois pour une durée déterminée qui, ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder les durées prévues à l’alinéa précédent.