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Article Janitrix
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Il y a quelques jours, je rencontrais une directrice d’hôpital avec laquelle nous avons été amenés à discuter de la situation actuelle des hôpitaux. Et lorsque nous en sommes venus à parler des directeurs, elle me dit : « notre fonction a fortement évolué, nous sommes désormais au mieux des syndics mais le plus souvent des concierges ».

Propos certes provocateurs, mais qui, au vu de ses explications, ne sont pas dénués de sens.

Je lui ai demandé si elle accepterait de mettre tout cela par écrit et de le publier sur notre blog. Elle a accepté, sous réserve d’anonymat. Elle a choisi « Janitrix ».

Voici donc la chronique de notre gauloise, lisez et jugez.

 

Chronique d’une mort annoncée en 5 actes

 

Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

 

Moi, Sylvie J ., 53 ans, aujourd’hui concierge et …  ancienne directrice d’hôpital.

Mon itinéraire se résume en 5 actes :

 

Acte 1 : Directrice

Il y a trente ans, j’étais directeur d’hôpital (on ne féminisait pas encore les fonctions), fraîche émoulue de ce qui ne s’appelait pas encore l’École des Hautes Études en Santé Publique, mais à peine plus modestement, École Nationale de la Santé Publique. Diriger un établissement de santé, voilà ce que je voulais faire. Ce pourquoi on m’avait choisie. Ce à quoi on m’avait préparée. Capitaine de l’imposant vaisseau qu’est un hôpital. Mais après avoir essuyé quelques grains, je prenais progressivement conscience que les caps m’étaient fixés et que mon équipage se réduisait de jour en jour…

 

Acte 2 : Gestionnaire

Puis vint le temps des « gestionnaires», des « chefs d’entreprise »

Le doute était en moi. Attendait-on réellement de moi que je dirige ? Ne s’agissait-il pas plutôt de faire de moi une “gestionnaire”? Je n’aimais pas ce terme que je trouvais péjoratif parce qu’il affichait la perte de mes ambitions de stratège. Gestionnaire, ce n’était pas ce pourquoi je m’étais engagée. Évidemment, il fallait bien composer avec les organismes tutélaires mais je les considérais alors naïvement comme s’ils étaient des tuteurs qui allaient permettre à la jeune pousse éprise de verticalité que j’étais, de croître et de s’épanouir…

 

Acte 3 : Gérante

Le stade suivant de mon involution arriva assez vite. Précisément lorsque je finis par me demander si un directeur n’était finalement pas plus un gérant qu’un gestionnaire. De réforme en réforme, l’hôpital ressemblait de plus en plus à une sorte de franchise que j’avais en responsabilité. Triste, car j’avais à peine eu le temps de connaître l’époque où le directeur dirigeait, à peine eu le temps de m’interroger sur la réduction de notre rayon d’action à grands coups de fléchages de crédits et de tarification à l’activité, que je réalisais que gestionnaire, je ne l’étais déjà plus !

Je me résignais donc progressivement à ma nouvelle condition de gérante lorsque se fit entendre le fracas des GHT…

 

Acte 4 : Syndic

Établissement support ou non ? La question est importante. Dans la première hypothèse, je serais syndic. Dans la deuxième, concierge.

Syndic, j’organiserais des réunions et des comités, j’écrirais des règlements, parfois des projets plus ou moins partagés. Je m’occuperais aussi des achats pour un grand ensemble et je serais l’unique interlocutrice légitime de l’ARS. Hélas…

 

Acte 5 : Concierge

Je ne dirige pas un établissement support, ce qui m’a beaucoup fait progresser sur le chemin de l’humilité. Alors, comme les concierges, j’ai fait une liste de ce qu’il me reste à faire pour être sûre de ne rien oublier …

Assurer l’hygiène, la sécurité et la propreté de mon établissement.

Recevoir les mécontents, partenaires sociaux, médecins, usagers et familles d’usagers.

Les rassurer pour garantir la paix sociale.

Assurer la qualité de vie au travail des professionnels, respecter strictement leurs statuts et les restrictions budgétaires qui ne me permettent pourtant pas de les respecter.

Veiller à ce que la lumière reste allumée la nuit pour recueillir la détresse qui se présente à nos portes au fur et à mesure que la médecine libérale ferme les siennes.

Un dernier détail : bien que je perde petit à petit toute latitude en matière de décisions, je reste juridiquement responsable de tout ça.

Heureusement, j’ai gardé un salaire de directrice. Ça peut servir à payer un bon avocat.

 

Janitrix