Addendum
Une première version de cet article a été publiée sur notre blog le 11 octobre 2018
Il a dû être modifié après l’examen par le Conseil d’Etat de l’avant-projet de PLFSS qui a censuré les dispositions relatives à la mutualisation de trésorerie.
Nous avons souvent milité pour que puisse être expérimentée une voie de financement des trésoreries aujourd’hui refusée aux établissements publics de santé[1] : la centralisation de trésorerie afin que les excédents de trésorerie des uns puissent financer les insuffisances de trésorerie des autres sans coûts bancaires associés.
Le rapport parlementaire Biermouret de juillet 2015[2] s’était montré favorable à une forme de mutualisation des trésoreries dès lors que celle-ci serait organisée entre des établissements ayant choisi de coopérer, en particulier dans le cadre des Groupements Hospitaliers de territoires ( GHT).
Il s’agissait de rendre accessible aux hôpitaux publics, engagés dans une logique de groupe, un procédé très usité dans le secteur privé au sein d’un même groupe de sociétés.
Il est en effet devenu banal dans les groupes d’entreprises, même d’assez petite taille, de mutualiser les trésoreries des membres du groupe : ceux qui ont des excédents de trésorerie les mettent à la disposition de ceux qui ont des besoins pour éviter de devoir recourir à des financements bancaires à court terme qui seront toujours plus coûteux que ce que rapporteront les placements garantis en capital des fonds de roulement excédentaires.
Cette mutualisation s’opère via une centralisation des trésoreries des différents membres du groupe : un des membres du groupe (souvent la holding de tête ou une filiale dédiée à la gestion de la trésorerie du groupe) détient un compte centralisateur où sont regroupés les soldes positifs des membres dont les trésoreries sont excédentaires, et à partir duquel sont faites des avances de trésorerie aux membres qui ont besoin de se financer à court terme. Suivant sa situation de trésorerie un membre du groupe confie donc sa trésorerie positive au membre centralisateur ou au contraire reçoit de lui une avance.
Une ligne de trésorerie est mise en place au niveau du membre centralisateur pour, si nécessaire, couvrir l’éventuel solde net négatif de l’ensemble.
Ces mécanismes qui supposent la mise en place de « protocoles de centralisation de trésorerie » au niveau des groupes qui les utilisent, ne fonctionnement que parce que les banques commerciales fournissent à leurs clients des systèmes dits de « cash management » qui permettent une gestion centralisée des comptes bancaires des membres du groupe et un balayage périodique des soldes des comptes centralisés (ou opération par opération : chaque opération de crédit étant soldée par une opération de débit de même montant), ceux-ci étant généralement remis automatiquement à zéro en fin de journée comptable par le débit (s’ils étaient eux-mêmes débiteurs) ou par le crédit (s’ils étaient créditeurs) du compte centralisateur.
Un tel processus permet une gestion optimale de la trésorerie au niveau de l’ensemble du groupe et de chacun de ses membres. Il favorise également les économies d’échelle et professionnalise la gestion de la trésorerie puisqu’il est justifié de mettre en place une équipe spécialisée pour gérer au mieux la trésorerie de l’ensemble et celle de chacun de ses membres.
Pour les établissements publics de santé dans le cadre d’un GHT, une telle mutualisation de leurs trésoreries respectives aurait objectivement du sens.
D’autant plus, que les établissements dont la trésorerie est excédentaire n’en obtiennent rien du fait de la règle du placement obligatoire auprès du Trésor, et que ceux qui sont en déficit de trésorerie, doivent recourir à des crédits bancaires coûteux, et qu’ils ont pour certains biens du mal à trouver.
Et du fait, l’un des buts avoués des GHT étant de favoriser des coopérations aussi dans le domaine financier en incitant à une gestion groupée des ressources et des besoins, avait bien été évoquée la mutualisation des trésoreries.
Notamment le rapport intermédiaire déposé par la Mission Groupements Hospitaliers de territoire[3] concluait :
« Pour penser collectif et non individuel, les établissements doivent donc être solidaires. La mise en place de mécanismes de solidarité financière entre les établissements de santé d’un même GHT est l’une des conditions sine qua non de réussite pour l ’ élaboration d’une véritable stratégie de prise en charge partagée. Il s’agit donc de concevoir des mécanismes de solidarité de trésorerie entre établissements publics d’un même GHT, à l’image des mécanismes de cash pooling que les groupes privés ont su mobiliser de longue date.
Cette solidarité de trésorerie, si elle peut paraître disruptive par rapport aux règles comptables actuelles, est pourtant de nature à générer des économies en homogénéisant les processus relatifs aux opérations comptables et donc les fonctions de trésorier-payeur, au moment même où les établissements de santé sont soumis à la certification de leurs comptes.
Cette solidarité de trésorerie doit s’accompagner préalablement d’une solidarité budgétaire. Le dialogue de gestion entre les établissements et les ARS, à l’occasion par exemple de l’approbation des EPRD, doit désormais s’inscrire dans le cadre des GHT. La tutelle ne peut en effet pas entretenir des postures individualistes et doit être en mesure d’accepter de déroger aux règles budgétaires si les déficits des uns sont compensés par les excédents des autres. Cependant, cela doit se mettre en œuvre avec le plus de souplesse et de légèreté possible pour les établissements. Il ne s’agit certainement pas d’introduire la production de comptes combinés aux directions financières alors que cet exercice n’a su être réalisé à l’occasion des CHT.
Cette évolution du cadre budgétaire et comptable des établissements publics de santé est probablement l’un des principaux leviers pour diffuser une stratégie de groupe entre établissements. C’est une évolution exigeante car particulièrement innovante, mais qui paraît néanmoins la solution la plus raisonnable en l’absence de modalités de financement au parcours. (…) »
Le Conseil Constitutionnel a toutefois censuré par décision 2015-727 DC du 21 janvier 2016 l’habilitation prévue par l’article 107 pour légiférer par voie d’ordonnance sur les règles budgétaires et comptables qui aurait permis l’instauration d’un dispositif de solidarité de trésorerie.
Une nouvelle voie législative devait donc être trouvée.
L’article 29 de l’avant- projet de loi de financement de la sécurité sociale ( PLFSS) pour 2019 qui amplifiait la portée du dispositif d’expérimentations mis en place par l’article 51 de la LFSS 2018 ( codifié à l’article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale) prévoyait « afin de permettre à plusieurs établissements d’un même groupement hospitalier de territoire de mettre en commun leurs disponibilités déposées auprès de l’Etat » de compléter l’article L. 6145-8-1 du code de la santé publique[4] qui pose les conditions pour déroger à l’obligation de dépôt auprès de l’Etat des fonds des établissements publics de santé.
Il était aussi permis de déroger aux articles L. 312-2[5], L. 511-5 et L. 511-7 du code monétaire et financier, « lorsque cette dérogation est indispensable à la mise en œuvre de l’expérimentation, afin de permettre à plusieurs établissements membres d’un même groupement hospitalier de territoire de mettre en commun leurs disponibilités déposées auprès de l’Etat. »
Ainsi, le monopole sur les opérations de crédit et de réception des fonds remboursables du public (effectuées à titre habituel) réservé aux établissements de crédit et aux sociétés de financement par l’article L. 511-5 du code monétaire et financier[6] n’aurait plus fait obstacle ( comme c’est déjà le cas pour « les opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres »[7]) à la centralisation de trésorerie entre établissements publics d’un même GHT.
Las ! Ces dispositions constitueraient selon le Conseil d’Etat un cavalier budgétaire…ce qui pourrait être sujet à discussion…et ont été supprimées du projet qui va être discuté par les Parlementaires.
Si la volonté politique est vraiment là et que les contre-pouvoirs technocratiques ne se mettent pas en marche, la prochaine loi de santé devrait permettre d’accueillir de telles dispositions.
Un schéma opérationnel avait déjà été esquissé par les représentants hospitaliers dans le cadre de la mise en place des GHT : tous les établissements conservaient un compte au Trésor et il s’agissait bien de mettre en œuvre les méthodes de « cash pooling » des groupes privés et d’ « organiser des mouvements hebdomadaires entre les comptes 515 de chaque établissement partie et l’établissement support ».[8]Ceci supposait que le Trésor puisse mettre à la disposition des établissements les mêmes systèmes informatiques de cash pooling que ceux proposés par les banques commerciales, à moins qu’il soit admis par dérogation que les comptes de trésorerie centralisés et le compte centralisateur soient tenus dans les livres d’une banque commerciale…Ira-t-on un jour jusque-là ?
Comme dans un groupe d’entreprises, qui, pas plus que le GHT, n’a de personnalité morale, on peut ainsi imaginer, non seulement une gestion centralisée (au sens de « dirigée par les mêmes personnes ») des trésoreries des membres, mais encore une véritable centralisation de la trésorerie de chacun des membres auprès d’un membre centralisateur. Celui-ci affecterait ainsi les excédents de trésorerie des membres dont la trésorerie est positive aux besoins de financement à court terme de ceux dont la trésorerie est négative. Et, de même que dans les groupes d’entreprises une telle centralisation devrait également, pour éviter l’aléa moral, s’accompagner d’une rémunération des soldes positifs de ceux qui les apportent via une facturation d’intérêts à ceux qui les reçoivent de façon à inciter les gestionnaires à gérer leur trésorerie au mieux.
Bien évidemment cette centralisation de trésorerie ne supposerait aucune espèce de solidarité financière entre les différents membres qui resteraient chacun créditeur et débiteur de ses propres créances et avoirs.
Les établissements membres sont-ils prêts à confier dans ces conditions la gestion de trésorerie à l’un d’entre eux, en particulier l’établissement support ? ou bien dans une logique de mutualisation plutôt que de centralisation confierait-on cette mission à une structure constituée par l’ensemble des établissements membres disposant de la personnalité morale comme un groupement ?
Mais toutes ces questions resteront purement théoriques tant que le législateur n’en sera pas saisi.
[1] On se reportera notamment à l’article « Les Hôpitaux et les défis posés par l’endettement » publié le XXX
« Les Nouvelles voies de financement » publié le XXX dont sont ici repris certains passages.
[2] http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i2944.pdf
[3] http://socialsante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_intermediaire_Mission_GHT_definitif.pdf
[4] « Les dispositions de l’article L. 1618-2 du code général des collectivités territoriales relatives aux dérogations à l’obligation de dépôt auprès de l’Etat des fonds des collectivités territoriales et de leurs établissements publics sont applicables aux établissements publics de santé sous réserve des dispositions suivantes :
- a) Les établissements publics de santé peuvent déroger à l’obligation de dépôt auprès de l’Etat pour les fonds qui proviennent des recettes perçues au titre des activités définies à l’article L. 6145-7 du présent code ;
- b) Les décisions mentionnées au III de l’article L. 1618-2 du code général des collectivités territoriales relèvent de la compétence du directeur de l’établissement public de santé, qui informe chaque année le conseil de surveillance des résultats des opérations réalisées. »
[5] « Sont considérés comme fonds remboursables du public les fonds qu’une personne recueille d’un tiers, notamment sous la forme de dépôts, avec le droit d’en disposer pour son propre compte mais à charge pour elle de les restituer. Un décret en Conseil d’Etat précise les conditions et limites dans lesquelles les émissions de titres de créance sont assimilables au recueil de fonds remboursables du public, au regard notamment des caractéristiques de l’offre ou du montant nominal des titres. (…) »
[6] « Il est interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit ou une société de financement d’effectuer des opérations de crédit à titre habituel.
Il est, en outre, interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des services bancaires de paiement. »
[7] Article L511-7 :
« I. – Les interdictions définies à l’article L. 511-5 ne font pas obstacle à ce qu’une entreprise, quelle que soit sa nature, puisse :
(…)
- Procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ;
(…) »
[8] Rapport de fin de mission déposé par la Mission Groupements Hospitaliers de territoire Février 2016
Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.
Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :
- contrats d’exercice, de recherche,
- tarification à l’activité,
- recouvrement de créances,
- restructuration de la dette, financements désintermédiés,
- emprunts toxiques
Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.
Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).