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Nombre de chirurgiens et d’anesthésistes libéraux s’engagent aujourd’hui dans un mouvement de grève illimitée pour protester contre l’accord sur l’encadrement des dépassements d’honoraires : le désormais célèbre avenant n°8 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie signé le 25 octobre 2012 par la CSMF, le SML et MG France.

Pour les syndicats contestataires, il s’agit purement et simplement « de la mort du secteur 2 » (le BLOC) « par tarissement de remboursement des compléments d’honoraires, chantage à l’adhésion au contrat d’accès aux soins qui soumettra nos médecins au pouvoir décisionnaire des mutuelles »(UFML). Certains reconnaissent toutefois que le contrat d’accès aux soins « était une proposition intéressante » mais que la participation des complémentaires santé « est trop floue »(UCDF). Les revendications s’échelonnent de la demande de suppression pure et simple de l’avenant à un aménagement de l’accord avec une revalorisation immédiate de 25 % des tarifs opposables « sur tous les actes de bloc opératoire », avec engagement des complémentaires santé sur un « plancher de remboursement » des dépassements d’honoraires.

Pour leur part, les syndicats signataires constatent que l’accord répond aux conditions souhaitées et notamment qu’il n’y a pas de plafonnement strict à 150 % des tarifs opposables mais un simple « repère », qu’en outre, est prévu une véritable revalorisation des tarifs opposables avec un engagement réel des complémentaires.

Il est donc bien difficile de s’y retrouver …

De manière à pouvoir mieux saisir les enjeux et les arguments du débat sur les dépassements d’honoraires et, au-delà, sur l’avenir de la médecine libérale – que l’avenant numéro 8 par sa signature n’a pas clos, loin de là – nous proposons d’en faire l’analyse.

Petit rappel historique.

La maîtrise et la limitation des dépassements d’honoraires ne sont pas une nouveauté : ainsi, nous rappellerons qu’en 2009 avait été signé un protocole d’accord aux termes duquel devait être créé un « secteur optionnel » qui devait conduire à une limitation du complément d’honoraires à hauteur de 50 % des tarifs opposables. Les complémentaires devaient prendre en charge ce complément. Il ne concernait que la chirurgie et l’anesthésie et devait faire l’objet d’une transcription dans la convention nationale dès lors que plus de 50 % des praticiens de secteur 2 concernés y adhéraient.  Le « secteur optionnel » a fait long feu, une minorité de praticiens ayant fait part de leur intérêt. A donc été amorcée une dernière tentative à travers « l’option de coordination renforcée » par un décret et un arrêté du 22 mars 2012 contraignant  les complémentaires santé à rembourser les dépassements d’honoraires plafonnés de certains spécialistes. La mise en œuvre de cette option concernait les anesthésistes, obstétriciens et chirurgiens. Les spécialistes qui y souscrivaient devaient s’engager à pratiquer des dépassements n’excédant pas 50% du tarif remboursé par la Sécu. En contrepartie, les médecins devaient appliquer les tarifs conventionnels pour au moins 30% de leurs actes. Face au mécontentement des complémentaires santé, son abrogation était décidée qui de surcroît s’inscrivait dans le cadre de nouvelles négociations engagées avec l’ensemble des partenaires.

Que retenir de l’avenant numéro 8 ?

Tout d’abord qu’il s’agit d’un avenant, c’est-à-dire d’une modification de la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie signée le 26 juillet 2011. Il s’intègre directement dans le corpus de la Convention et en modifie un certain nombre d’articles majeurs.

Nous retiendrons de cet important texte deux volets essentiels :
–        le renforcement du dispositif répressif (I)
–        la création du « contrat d’accès aux soins » (II)

Nous exclurons volontairement l'ensemble des mesures ayant pour objet la revalorisation du secteur I dont l'importance est certaine mais qui n'exige pas une analyse juridique particulière :
–        Forfait médecin traitant (prévention et suivi des patients ne bénéficiant pas d'une exonération du ticket modérateur) : 5 euros/patient.
–        Consultations de suivi de sortie d’hospitalisation en court séjour de patients à forte comorbidité : consultation valorisée à 2C. Il en est de même pour les patients insuffisants cardiaques ayant été hospitalisés pour un épisode de décompensation de leur affection et nécessitant un suivi particulier.
–        Rémunération forfaitaire (MPA): forfait de 5 euros par patient et par consultation pour la prise en charge des patients de 80 ans et plus (de manière à tenir compte de la comorbidité et de la complexité des cas).
–        Bonus pour les pédiatres (5 euros) pour la prise en charge des grands prématurés  ainsi que des maladies congénitales graves.


I – LE RENFORCEMENT DU DISPOSITIF REPRESSIF

Jusqu’alors, la Convention  nationale ne prévoyait des sanctions qu'en cas « d'utilisation abusive du DE » et le praticien pouvait encourir une suspension du droit permanent à dépassement, du droit de pratiquer des honoraires différents. La suspension pouvait  être temporaire ou prononcée pour la durée d’application de la convention.

Aspect procédural essentiel, l’article 76 de la convention prévoyait que « cette mesure (la décision de suspension) ne pouvant être prononcée qu’en cas de non-respect du tact et de la mesure, après décision du conseil de l’ordre ».


L’avenant a profondément modifié le dispositif de sanctions  :

–        À « l’utilisation abusive du DE » est rajouté « une pratique tarifaire excessive des médecins exerçant en secteur à honoraires différents ou titulaires du droit à dépassement  permanent »

–        Est également supprimée la condition préalable d’une décision du conseil de l’ordre pour non-respect du tact de la mesure.

La combinaison de ces deux modifications emporte des conséquences importantes :

La pratique tarifaire excessive.

La notion « d’utilisation abusive » est une notion subjective présentant un caractère de gravité certaine, lié directement à l’absence de mesure et de tact, de surcroît devant être sanctionné par le conseil de l’ordre. Il est inutile d’insister sur le caractère exceptionnel de ce type de sanctions compte tenu des conditions prévues.

En introduisant la « pratique tarifaire excessive » comme un manquement ouvrant droit à sanction, le périmètre en est considérablement élargi.

Il reste, bien évidemment, à définir ce qu’est une « pratique tarifaire excessive ».

Pour saisir le mécanisme mis en place, il faut tout d’abord se référer au préambule de l’avenant : « les commissions paritaires régionales auront à leur disposition un ensemble de critères de sélection au sein desquels le taux de dépassement de 150 % du tarif opposable pourra servir de repère. Ce taux pourra faire l’objet d’adaptations dans certaines zones géographiques limitées et aura vocation à se modérer en cours  de convention. »

L’avenant prévoit ensuite en son article 3 : « l’appréciation du caractère excessif de la pratique tarifaire s’effectue au regard de tout ou partie des critères suivants :
–        le rapport entre la somme des honoraires facturés aux assurés sociaux au-delà du tarif opposable et la somme des tarifs opposables des soins délivrés par le médecin (taux de dépassement),
–        Le taux de croissance annuel du rapport ci-dessus,
–        la fréquence des actes avec dépassements et la variabilité des honoraires pratiqués,
–        le dépassement moyen annuel par patient.
L'appréciation tient compte de la fréquence des actes par patient, du volume global de l'activité du professionnel de santé ainsi que du lieu d'implantation du cabinet et de la spécialité. Elle tient également compte des niveaux d'expertise et de compétence. ».

Que peut-on en retenir ?

–        En premier lieu, qu’il n’est pas fixé de plancher au caractère « excessif de la pratique ». Le taux de 150 % est présenté comme un « repère ». Il doit donc être considéré comme une simple indication n’ayant aucune valeur formelle. Tout au plus peut-on considérer qu’il s’agit d’une présomption qu’en deçà de 150 %, le tarif pratiqué n’est pas excessif. A contrario, un taux supérieur à 150 % n’est pas constitutif en soi d’un dépassement d’honoraires excessif. Il devra être évalué au regard d’un certain nombre de critères.

–        En outre, que ce taux de 150% pourra être « adapté » dans certaines zones géographiques. On peut imaginer facilement que, par exemple pour Paris, le repère sera supérieur à 200 %… (Le préambule prévoit cependant que ces différences éventuelles devront se rapprocher progressivement)

–        Que les critères proposés sont nombreux et qui sont tout à la fois quantitatifs (taux de dépassement, taux de croissance annuelle, fréquence des actes avec dépassements, dépassements moyens annuels par patient, volume global de l’activité) et qualitatifs (lieu d’implantation, spécialité, niveau d’expertise et de compétences).

–         Que le texte prévoit que le caractère excessif sera apprécié au regard de tout ou partie de ces critères. Certains ont craint que cela ne soit la porte ouverte à la sanction d’un praticien pour un seul dépassement au-delà du « repère ». Cela nous apparaît excessif et, à notre sens, on ne saurait imaginer une commission s’appuyer valablement sur un seul critère. En outre, cette appréciation au regard de la nature des critères quantitatifs doit s’apprécier sur la pratique annuelle du praticien. Compte tenu des implications et les conséquences pour les professionnels, il serait souhaitable que puissent être précisée la méthode d’appréciation de façon à objectiver au mieux l’appréciation des critères quantitatifs et permettre aux commissions saisies de porter un examen particulier sur les critères qualitatifs. La réussite de ce nouveau dispositif reposera certainement sur la transparence, l’objectivité et le contradictoire.

Cela conduit à examiner la procédure applicable et de vérifier la nature des garanties apportées aux professionnels.

La procédure applicable en cas de manquement imputable à un médecin est décrite dans l'annexe XXII de la convention nationale. Il s'agit d'une procédure conventionnelle, l'article 75 de la convention nationale s'y référant explicitement et soumettant le prononcé d'une quelconque sanction du médecin en cas d'excessivité de sa pratique tarifaire au respect de cette procédure.

L'annexe susvisée prévoit une procédure préalable d'avertissement engagée par le directeur de la CPAM dont dépend le médecin. Cette procédure s'effectue au moyen d'une lettre recommandée avec accusé de réception dans laquelle figurent les anomalies constatées et reprochées au professionnel.

Le médecin dispose alors d'un délai de deux mois pour modifier sa pratique. Ce qui est surprenant par sa brièveté et contradictoire compte tenu de l'appréciation annuelle de l'excessivité de la pratique visée à l'article 75… Un délai de 6 mois apparaîtrait certainement plus conforme.

Au-delà de ce délai, si la CPAM constate une absence de modification de la pratique par le médecin, un relevé de constatation préalable à la convocation de la Commission Paritaire Régionale (CPR) est alors dressé. Il s'agit d'un relevé de constatations communiqué par la CPAM au médecin intéressé mais également à la CPR qui est compétente en matière d'excès de la pratique tarifaire conformément à l'avenant : la CPR « [émet] un avis sur les situations de pratiques tarifaires excessives que lui soumet le directeur de la CPAM du lieu d'implantation du médecin ». Il est précisé que « cet avis porte sur le caractère sanctionnable de la pratique tarifaire soumise puis sur la nature et le quantum de la sanction ».

Le médecin, destinataire du relevé des constatations, dispose alors d'un délai d'un mois pour présenter ses observations écrites et, s'il le souhaite, rencontrer le directeur de la CPAM (ou son représentant ou un médecin conseil) assisté d'un confrère conseil ou d'un avocat de son choix.

Si la poursuite de la procédure est justifiée, la CPR émet un avis sur la situation du médecin. Le directeur de la CPAM ne peut prendre une sanction qui excède celle proposée par le CPR. Un recours du médecin est alors possible devant la commission paritaire nationale (CPN) qui émet à son tour un avis (le conseil national de l'ordre est cependant consulté préalablement). Le directeur de la CPAM prendra ensuite sa décision qui sera exécutoire et la sanction infligée ne pourra être plus importante que celle proposée par la CPN.

A la suite de ces recours « conventionnels », le médecin disposera d'un recours juridictionnel devant le Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale (article L. 162-34 du code de la sécurité sociale).

Qu'en penser ?

Si des garanties réelles sont apportées au praticien, on peut regretter que le contradictoire ne soit pas appliqué en totalité à la procédure devant  les CPR et CPN : la présentation des observations ne devrait pas se cantonner au seul directeur de la CPAM et devrait être étendue aux commissions elles-mêmes. La suppression d'une décision préalable du Conseil de l'ordre est un motif supplémentaire pour renforcer significativement les droits de la défense du praticien.

A ce titre, il n'est pas inutile de s'intéresser à la composition de la CPR. Celle-ci est composée d'une section professionnelle constituée de 12 représentants titulaires des organisations syndicales représentatives des médecins libéraux signataires de la convention, dont 6 généralistes et 6 spécialistes. La section professionnelle en formation « médecin », dans le cadre d'une procédure définie à l'article 75 de la convention nationale (relative notamment aux critères d'appréciation du caractère excessif d'une pratique tarifaire), comprend également en son sein deux médecins conseils du régime général de la CPAM disposant chacun de quatre voix ainsi que des deux autres médecins conseils de l'assurance maladie (régime agricole et régime social des indépendants) disposant quant à eux de deux voix chacun. Cette sous-formation de la Commission peut donc être amenée à se prononcer sur la sanction à l'égard du médecin.

Compte tenu de l'importance que revêtent les sanctions et l'appréciation du caractère excessif de la pratique tarifaire, pourquoi ne pas imaginer une présidence de la commission dévolue à un magistrat professionnel indépendant ? La commission siégeant en nombre pair, un juge départiteur pourrait être utile dans la procédure de sanction contre un médecin réalisant une pratique tarifaire excessive.


Les sanctions.

Les sanctions restent les mêmes, définies à l'article 76 de la convention nationale. Celles-ci sont ;
–         la suspension du droit permanent à dépassement et du droit à pratiquer des honoraires différents,
–         la suspension de la participation des caisses à la prise en charge des avantages sociaux pour les médecins,
–        la mise hors convention.

L'avenant marque également un durcissement en matière de sursis pour les sanctions relatives à la pratique tarifaire excessive. Si la convention nationale prévoit des prononcés de sanctions avec sursis, l'avenant s'attache à exclure le sursis pour toute décision de mise hors convention et de suspension du droit permanent à dépassement ou du droit à pratiquer des honoraires différents. L'unique sanction pouvant alors faire l'objet d'un sursis sera donc la suspension de la participation des caisses à la prise en charge des avantages sociaux des médecins.


Au final, c'est un nouveau dispositif répressif qui est mis en place, bien loin du précèdent. Sa réussite reposera, nous l'avons dit, sur la transparence, l’objectivité et le contradictoire. Aussi, compte tenu des enjeux de la réforme entreprise et de ses conséquences, il apparaîtrait de bonne justice et de bonne équité d'en améliorer les règles :

–        De préciser la méthode d’appréciation du « caractère excessif » de façon à objectiver au mieux l’appréciation des critères quantitatifs et permettre aux commissions saisies de porter un examen particulier sur les critères qualitatifs.

–        D'étendre le contradictoire à l'ensemble de la procédure devant les commissions paritaires et de ne pas cantonner la présentation des observations au seul directeur de la CPAM.

–        De ne pas limiter la commission à un seul rôle consultatif, de lui déléguer le rôle décisionnaire qui est actuellement celui du directeur de la CPAM et, à cette occasion, d'envisager une présidence de la commission par un magistrat professionnel indépendant ou une personne qualifiée.


A SUIVRE…


Laurent HOUDART, Avocat au Barreau de Paris avec l’assistance de Jean-Edouard GRÄMIGER, stagiaire IEJ