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Depuis un certain nombre d’années, nous voyons émerger un contentieux récurrent entre employeurs et représentants du personnel : la contestation du recours à l’expertise.

Si ces recours judiciaires prolifèrent à une vitesse folle, c’est que tous les ingrédients sont réunis pour : un commanditaire qui n’est pas le payeur, un payeur qui n’a pas son mot sur le choix du prestataire, une épée de Damoclès pour l’un, un outil de négociation pour l’autre…

Toutefois, le recours à l’expertise n’est pas un droit général que détient le CHSCT. Pour éviter toute dérive, son utilisation ne peut intervenir que sous certaines conditions et dans l’unique souci de son utilité aux fins de préserver la sécurité au travail du personnel.

C’est ainsi que l’illustre parfaitement le Tribunal de Grande Instance d’Albi saisi en la forme des référés dans son ordonnance du 8 juin 2018 venant annuler la délibération du CHSCT au titre d’une expertise pour risque grave.

Rappelons que conformément à l’article L.4614-12 du code du travail alors en vigueur le CHSCT peut désigner un expert agréé notamment « Lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ; ».

La Cour de cassation est venue préciser les conditions d’ouverture de ce droit : le risque grave doit exister dans l’établissement, être identifié et actuel et précéder l’expertise. Il ne peut être hypothétique (notamment en ce sens : Cour de cassation Chambre sociale 25 novembre 2015 n° 14-11.865)

En outre, il revient au CHCST qui sollicite l’expertise d’apporter la preuve du risque grave (Cour d’appel de Lyon, 26 février 2008, 06/07723 CA Bourges 3-3-2011 n° 10/1306 ; CA Paris 26-3-2008 n° 07/19553.).

En d’autres termes, le CHSCT qui entend se prévaloir d’une expertise pour risque grave doit être en mesure de démontrer que ce risque existe à partir d’éléments objectifs, vérifiables et actuels. Il ne peut se contenter de dresser une liste dans la délibération de faits ou de faire état de risques généraux.

Ainsi, le fait pour un CHSCT de ne faire état que d’un risque général de stress lié aux diverses réorganisations mises en œuvre dans l’entreprise ne permet pas d’ordonner une expertise pour risque grave, à défaut d’être justifié par des éléments objectifs (Cour de cassation, Chambre sociale, 14 novembre 2013, n° 12-15.206 dans le même sens Cour de cassation, chambre sociale, 25 octobre 2017 N°16-15.265).

Tel est également le sens de l’ordonnance rendue récemment par la juridiction albigeoise.

Dans cette ordonnance enregistrée sous le numéro 18/00022, il est relevé une période délicate pour le personnel lors d’une phase de restructuration. Toutefois, le Juge a tenu compte de la réponse qui a été immédiatement apportée par l’employeur. Il constate ainsi que postérieurement aux interventions de l’employeur, la caractérisation de risques psychosociaux ne transparait pas. En somme, le CHSCT n’apporte aucun élément de nature à caractériser un risque actuel pour le personnel. Le Juge relève finalement qu’il ressort du compte rendu de la séance que c’est uniquement le refus de l’employeur de suivre une préconisation de l’instance qui a conduit à cette demande.

La juridiction annule donc la délibération du CHSCT au motif de l’absence de démonstration par ce dernier d’un risque grave identifié et plus particulièrement actuel. Le fait de ne pas suivre une préconisation qui reste un avis n’est pas de nature à démontrer un risque pour le personnel.

Sur ce point, il peut être relevé que depuis la ratification des ordonnances dites Macron prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017, il est désormais prévu une participation de 20 % de l’instance sur son budget au titre de la prise en charge des frais d’expertise dans le secteur privé.

L’objectif visé par le législateur est d’y voir une forme de ticket modérateur « qui permet de responsabiliser toutes les parties et d’être plus exigeant sur le coût des expertises. »[1] . Néanmoins, seront notamment exclues de ce dispositif les expertises pour risque grave qui resteront à la charge exclusive de l’employeur… pas de modification donc sur ce dispositif.

[1] Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social, Par M. Laurent PIETRASZEWSKI, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 novembre 2017.

Marine JACQUET, avocate associée, exerce au sein du Cabinet HOUDART ET ASSOCIÉS depuis 2011.

Maître Jacquet se consacre plus particulièrement aux problématiques relatives aux ressources humaines au sein du Pôle social du cabinet, Pôle spécialisé en droit du travail, droit de la sécurité sociale, droit public et droit de la fonction publique.

Présentant une double compétence en droit du travail et en droit de la fonction publique, elle conseille quotidiennement depuis 7 ans  les établissements de santé privés comme publics, les établissements de l’assurance maladie, les acteurs du monde social, médico social et les professionnels de santé libéraux notamment sur la gestion de leurs personnels,  leurs projets et leur stratégie en s’efforçant de proposer des solutions innovantes.

Elle accompagne ces acteurs sur l’ensemble des différends auquel ils peuvent être confrontés avec leur personnel (à titre d’exemple, gestion d’accusation de situation d’harcèlement moral ou de discrimination syndicale, gestion en période de grève, gestion de l’inaptitude médicale, des carrières et contentieux y afférents, procédures disciplinaires ou de licenciement, indemnités chômage …etc).