Une nouvelle étape dans le traitement calamiteux par les pouvoirs publics des emprunts toxiques souscrits par les hôpitaux : Les sénateurs s’opposent à un amendement du PLFSS soutenu par le Gouvernement et refusent une solution opaque et coûteuse.
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Par un amendement n°1081 au Projet de Loi de Finances de la Sécurité Sociale pour 2019, le Gouvernement a souhaité « accélérer la sécurisation » des emprunts structurés à risques (mieux connus sous leur surnom « d’emprunts toxiques ») qui furent en leur temps contractés par les établissements publics de santé en permettant à ceux-ci, selon la présentation qui en a été faite de « bénéficier de conditions dérogatoires à l’application du taux d’usure ».

Un article 29 « ter » a ainsi été ajouté au projet de loi initial afin que « le taux maximal applicable aux nouveaux emprunts consentis dans le cadre d’une sécurisation des emprunts structurés détenus par les établissements publics de santé » soit « égal au taux de rendement de l’obligation assimilable du Trésor de maturité la plus proche de la durée de vie moyenne initiale de l’emprunt structuré faisant l’objet de la renégociation, constaté à la date à laquelle celui-ci a été initialement consenti, majoré de cent cinquante points de base».

S’ils se souviennent que le taux de l’usure est le taux d’intérêt à partir duquel il n’est plus permis de prêter et donc d’emprunter, les amateurs de la logique sans peine comprendront sans désemparer que « bénéficier de conditions dérogatoires à l’application du taux de l’usure », équivaut à dire qu’on va pouvoir prêter à ces établissements à des taux usuraires puisqu’il va être dérogé à l’application du taux de l’usure…….

La fin, à savoir la « sécurisation des emprunts toxiques », étant censée justifier les moyens, à savoir le recours à des emprunts servant à les rembourser mais consentis à des taux supérieurs à ceux de l’usure…

Le raisonnement est le suivant : Pour « sécuriser » ces emprunts, il faut les rembourser par anticipation au moyen de prêts à taux fixe. Pour cela, il faut rembourser le capital restant dû, mais aussi payer une indemnité de remboursement anticipé (IRA) dont le montant est d’autant plus élevé que la « toxicité de l’emprunt » est forte.

Schématiquement cette IRA est en effet égale à la valeur actualisée à la date du remboursement des flux d’intérêts estimés sur la durée restant à courir de l’emprunt toxique.

Or, la caractéristique d’un emprunt toxique étant d’exposer son emprunteur à devoir payer des intérêts très élevés…plus le montant des intérêts susceptibles de devoir être payés est élevé, et plus l’emprunt est toxique, et plus l’IRA est coûteuse… au point de pouvoir atteindre dans certains cas (par exemple les prêts indexés sur la parité Euro/Franc suisse) une valeur égale à plusieurs multiples du capital restant dû.

Pour rembourser par anticipation un tel prêt en le refinançant par un prêt à taux fixe, un emprunteur peut donc devoir réemprunter 1,5, 2 voire 3 fois le capital restant dû de son emprunt toxique afin de payer l’IRA de ce dernier.

De fait, pour les 60 emprunts de ce type que la Cour des Comptes a recensé comme désensibilisés par les EPS dans son rapport annuel de 2018, l’encours de ces prêts, 299,8 millions d’Euros, a conduit à des IRA d’un montant de 609,5 millions d’euros, soit plus de deux fois supérieur à celui de cet encours.

On imagine sans peine ce que cela signifie pour les encours de crédit et conséquemment les taux d’endettement des intéressés.

Pour y pallier, il est évidemment possible de ne pas réinjecter l’IRA dans le montant du prêt de refinancement, mais dans son taux…… On emprunte moins, mais à un taux plus élevé, qui va payer l’IRA sur la durée du prêt.

Mais comme l’IRA est très élevée… il faut beaucoup augmenter le taux pour la payer.

D’où la nécessité de pouvoir prêter au-delà du taux de l’usure….

D’où l’amendement.

Qui prévoit tout de même que ce taux ne pourra pas dépasser un plafond déterminé comme étant égal « au taux de rendement de l’obligation assimilable du Trésor de maturité la plus proche de la durée de vie moyenne initiale de l’emprunt structuré faisant l’objet de la renégociation, constaté à la date à laquelle celui-ci a été initialement consenti, majoré de 150 points de base. »

Ce qui signifie non pas que l’on va pouvoir emprunter à un taux égal au taux actuel des emprunts d’État d’une durée égale à la durée moyenne restant à courir de l’emprunt à refinancer majoré de 1,50% (car comme ces taux sont bas et que ladite durée est actuellement de l’ordre d’une dizaine d’années le taux plafond qui en résulterait serait d’environ 2,25% et donc trop bas pour payer les IRA), mais qu’on va pouvoir emprunter à des taux allant jusqu’à plus de 6% (voire 7%) puisque le taux de référence servant au calcul de ce plafond est celui des emprunts d’État d’une durée égale à la durée de vie moyenne des prêts toxiques au moment où les plus toxiques d’entre eux ont été contractés soit la période 2006-début 2008.

Soit donc un taux de 6% voire 7 %, à comparer au taux d’usure qui, sans dérogation, serait applicable, et qui est actuellement de 2,27%.

Évidemment, « there is no free lunch », comme disent nos amis anglais.

Ce qu’on n’a pas payé tout de suite au moyen d’un plus gros emprunt, on le paie sur la durée au moyen d’un taux – beaucoup – plus élevé. Ce qui coûte – beaucoup – plus cher.

Mais, artificiellement, on a limité la hausse de l’endettement, à défaut de celle des frais financiers.

Ce tour de bonneteau (car c’en est un) n’a pas, mais alors pas du tout, convaincu les sénateurs.

Ils ont supprimé cet amendement et donc l’article 29 ter du PLFSS 2019 qui venait avec.

Comme l’a relevé l’auteure du rapport au Sénat – qui a par ailleurs fort bien résumé la saga des emprunts toxiques des EPS et de leur « désensibilisation » partielle[1] dans son rapport consultable ici http://www.senat.fr/rap/l18-111-2/l18-111-21.pdf (page 227 du document), ce dispositif :

♦ peut s’analyser comme un moyen de diminuer artificiellement le taux d’endettement des établissements publics de santé concernés, du fait de l’existence d’un taux d’intérêt majoré de manière atypique sur une partie dudit endettement.

♦ brille davantage par son opacité que par son efficacité, la rapporteure n’ayant ainsi pas été en mesure de savoir :

  • si une nouvelle vague d’aide pour les établissements restant engagés sur des emprunts à risque était envisagée et, le cas échéant, dans quelles conditions….
  • quels établissements seraient concernés par le nouveau dispositif, pour quels montants de prêts et pour quels niveaux maximaux de taux ;
  • si les établissements en question pourraient bénéficier de l’expertise de la Banque de France pour sécuriser leur emprunt dans les meilleures conditions financières ;
  • ce que révélerait un comparatif de la situation financière qui résulterait, pour un établissement-type donné, de la conversion des IRA en montant d’un nouvel emprunt ou en taux majoré.

En définitive sans rejeter le dispositif proposé dans son principe, le Sénat a considéré par la voix de sa rapporteure que de telles « dispositions gagneraient à faire l’objet d’un projet de loi spécifique assorti d’une étude d’impact détaillée, afin que le Parlement puisse se prononcer en connaissance de cause ». Indeed.

 

Par la voix de Mme BUZIN, Ministre de la Santé, le Gouvernement a fait part de son désaccord en expliquant qu’il «tenait beaucoup à cette disposition importante pour les hôpitaux qui connaissent une situation financière très difficile»,  et en rappelant que « près d’une centaine d’hôpitaux sont concernés, pour un montant représentant environ 450 millions d’euros de dettes toxiques, c’est-à-dire plusieurs millions d’euros par établissement » et qu’il ne s’agissait pas de créer une obligation mais « d’ouvrir simplement la possibilité aux établissements de faire des arbitrages entre taux d’intérêt et encours de dette, afin qu’ils puissent sécuriser leur situation financière»[2].

On peut donc penser que le Gouvernement demandera à l’Assemblée de rétablir cette disposition, la Commission Mixte Paritaire n’étant pas parvenue à un accord sur ce point (ni d’ailleurs sur l’ensemble du PLFSS 2019).

Les EPS concernés devraient donc se voir ouverte la possibilité de contracter des prêts usuraires pour rembourser par anticipation des emprunts qui le sont déjà, ou qui sont susceptibles de le devenir à tout moment.

Seront-ils aidés par l’ONDAM via les ARS pour faire face à ces échéances ? Il faut l’espérer.

Car on sait déjà que les banques prêteuses, au premier rang desquelles la banque publique SFIL/CAFFIL qui détient la majorité des encours concernés, ne sont pas et ne seront pas invitées à le faire.

Elles vont au contraire pouvoir se débarrasser d’emprunts à risques, augmenter leurs encours, leurs marges, et au passage faire un peu de marge supplémentaire sur les calculs d’IRA….

La contribution « volontaire de SFIL/CAFFIL se limitant à un premier versement de 25 millions d’Euros fin 2014 et au versement de 2 millions d’Euros par an sur…. Dix ans à partir de fin 2015.

Au fait, dans les pays « ultra-libéraux » (USA, R-U) (vous savez ceux des renards libres dans les poulaillers libres et qui sont aux mains de la «Finance»), les banques ont depuis la crise de 2008 et jusqu’en 2017 payé pour des «pratiques allant à l’encontre des intérêts des clients» un montant d’amendes de plus de 8,7 milliards d’Euros[3].

La République est bonne fille.

 

    


 

[1]  En relevant notamment, d’une part :

  • que le coût des opérations de débouclage (NDLR = de refinancement) a été beaucoup plus élevé que ce qui est constaté pour les collectivités territoriales, pour lesquelles les IRA ont représenté en moyenne 100 % du capital restant dû ;
  • d’autre part, et au bout du compte, que la désensibilisation des établissements publics de santé aux emprunts toxiques n’est restée que partielle. Les encours d’emprunt « hors charte Gissler » s’élevaient encore à 494 millions d’euros (soit 1,7 % de l’ensemble des encours) en 2016, ce qui est certes nettement moins qu’avant les deux plans (3,9 % en 2012).

[2] Pour lire les échanges – intéressants – entre Sénat et Ministre http://www.senat.fr/seances/s201811/s20181115/s20181115019.html#section3579

[3] https://docs.google.com/spreadsheets/d/1yR182ikRzJsb1l5a5-1cLnXsWb4IVJTjsZBOcRxIfv4/edit#gid=0