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(Commentaires du jugement TGI de Nanterre du 7 mars 2014[1] Commune de Saint-Maur-des-Fossés/Dexia-Caffil)

Suivant un jugement du 7 mars 2014, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, a annulé la stipulation conventionnelle d’intérêts d’un contrat de prêt structuré d’un montant de 10 millions d’euros conclu entre la Commune  de Saint-Maur-des-Fossés et la société Dexia Crédit Local.

La commune avait assigné, par acte du 12 juin 2012, la société Dexia, au visa des articles L 313-4 et R. 313-1 du code monétaire et financier, 1304, 1376 et 1907 du code civil, lui reprochant de ne pas avoir respecté la règlementation applicable au taux effectif global (ci-après TEG) relativement à un contrat de prêt structuré (DUAL EUR CHF MONETAIRE) d’une durée de 29 ans et 9 mois.

A titre principal, la Commune sollicitait en premier lieu de déclarer irrecevable l’intervention volontaire de la Caisse Française de Financement Local[2] et en deuxième lieu de constater :

• qu’à l’acte de prêt du 1er juin 2007, la société Dexia Crédit Local n’a pas affiché le taux effectif global commandé par l’article L.313-4 du code monétaire et financier et qu’à celui réitératif du 15 juin 2007 ne figurait pas celui répondant aux prescriptions impératives de l’article R.313-1.

• que le vice découlant du défaut d’indication du TEG à l’acte d’origine était insusceptible d’être réparé par un acte réitératif, et qu’ainsi est nulle et de nul effet la stipulation d’intérêts contenue à l’acte de prêt, par application de l’article L.313-4 du CMF.

• que l’acte réitératif du 15 juin 2007 signé par DCL en qualité de prêteur comportait un TEG inexactement affiché au regard des prescriptions de l’article R.313-1 du code monétaire et financier, la période unitaire de 260 jours n’y étant pas plus portée que le taux de cette période et la fraction de dette remboursée par le 1er terme ne pouvant être définie par rapport à une année pleine alors que cette échéance tombait moins d’un an après mise en place du crédit, soit 260 jours plus tard.

• qu’au surplus, les index à prendre en compte étaient ceux connus au jour de signature de l’acte du 15 juin 2007 et non ceux retenus par le prêteur au 07 juin 2007.

• que sont absentes de l’acte du 15 juin 2007 les précisions de la durée de la période unitaire et du taux de cette période unitaire.

• que le TEG porté audit acte est irrégulièrement affiché par suite d’une fixation erronée de la fraction de dette comprise dans un premier règlement de durée écourtée et d’une prise en compte de valeurs d’indices qui n’étaient pas celles au jour du contrat (15 juin 2007).

La Commune demandait en conséquence de prononcer la nullité des intérêts stipulés audit acte au visa de l’article 1304 code civil et la substitution à ceux-ci de l’intérêt au taux légal par application de l’article 1907 du même code.

Les juges judiciaires font droit à sa demande mais rejette certains moyens susceptibles d’être engagés sur ce fondement.

 

Ce jugement nous intéresse pour ce qu’il dit en matière de prescription des actions et les conditions d’application des dispositions relatives au TEG d’une part, et l’applicabilité de ces dispositions aux personnes morales de droit public.

Le délai de prescription de l’action en nullité de la stipulation d’intérêt conventionnel pour défaut de mention du TEG dans le fax de confirmation commence, selon les juges de Nanterre, à courir à la date de la télécopie

Nous retiendrons les dates suivantes : la télécopie de « topage », acte constatant le prêt, est datée et signée du 1er juin 2007, le contrat de prêt est signé le 15 juin 2007 et l’assignation a été délivrée le 12 juin 2012.

Sur le premier moyen, à savoir la demande de nullité de la stipulation d’intérêts tirée de l’absence de mention du TEG sur la télécopie du 1er juin 2007, le raisonnement des magistrats de la 6ème chambre est identique à celui qui avait donné lieu aux décisions du 8 février 2013 opposant le département de Seine-Saint-Denis à la même banque, et qui avait fait couler tant d’encre.

En effet, le Tribunal va d’abord rappeler les dispositions applicables et la jurisprudence avant de l’appliquer au cas d’espèce.

Ainsi, il est rappelé :

–  que l’article L 313-2 du code de la consommation dispose que le TEG déterminé comme il est dit à l’article L 313-1 doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt ;

–  que le TEG est un taux représentatif du coût total du crédit, exprimé en pourcentage annuel du montant du crédit consenti, qu’il a pour but de permettre à l’emprunteur de comparer les offres qui lui sont faites, compte tenu de l’ensemble des frais et commissions relatifs aux prêts proposés ;

–  qu’il est de jurisprudence constante que la mention du TEG est une condition de validité de la stipulation d’intérêts conventionnels et qu’à défaut, ou si elle est erronée, la sanction applicable est, au visa de l’article 1907 du code civil, la nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels et la substitution du taux légal au taux prévu au contrat ;

–  que le contrat de prêt consenti par un professionnel du crédit est un contrat consensuel, qui se forme donc par la rencontre des volontés des parties sur une proposition de financement.

Les magistrats poursuivent en relevant qu’en l’espèce, :

–  que le 1er juin 2007, la société DEXIA a adressé à la commune une télécopie qui confirme les conditions de la transaction intervenue entre elles et expose les éléments essentiels du contrat de prêt, s’agissant notamment de son montant, de sa durée, des dates d’échéance, du mode d’amortissement, du mode de calcul des intérêts pendant ses trois phases et des modalités de remboursement anticipé ;

– qu’au bas de la dernière page est portée la mention suivante :

« Nous vous remercions de bien vouloir confirmer votre accord sur cette opération, en faisant parapher chacune des pages du présent document et signer la dernière page et nous le retournant, signé et dûment complété de la mention “bon pour accord” par la personne habilitée à engager l’emprunteur au numéro de télécopie suivant : (..)

La mise en place du contrat sera assurée par la Direction Commerciale France et de l’ingénierie Financière de Dexia Crédit Local. (.) »

–  que suivent la signature du prêteur et celle de l’emprunteur, précédées de la mention manuscrite « bon pour accord » et de la mention pré-imprimée « cet accord constitue un engagement irrévocable de l’emprunteur » ;

–  que ce document, qui opère la rencontre irrévocable des volontés des deux parties sur les éléments essentiels du contrat et les engage l’une envers l’autre, constitue par conséquent le contrat de prêt.

Voici donc la reprise exacte des jugements du Tribunal de Grande Instance de Nanterre rendus en 2013.

Il est intéressant de relever que le Tribunal écarte ensuite le moyen tiré du défaut de capacité du signataire de la télécopie, soulevé par la Banque, jugeant que : « un tel défaut de capacité du signataire serait une cause de nullité relative de la convention dont seule la commune pourrait se prévaloir, ce qu’elle ne fait pas ». Or, il semble que sur ce point la Cour de cassation n’ait pas la même interprétation des textes, puisqu’elle a récemment jugé, s’agissant d’une commune : « que la méconnaissance des dispositions d’ordre public relatives à la compétence de l’autorité signataire d’un contrat conclu au nom de la commune est sanctionnée par la nullité absolue, en sorte qu’elle peut être invoquée par toute personne, justifiant ainsi d’un intérêt légitime à agir »[3].

Ce rappel étant fait et la position du Tribunal réaffirmée, les magistrats vont ensuite répondre au moyen de défense soulevé par Dexia.

En effet, si la commune de Saint-Maur-des-Fossés critique l’absence de mention du TEG dans la télécopie reçue le 1er juin 2007, la société Dexia Crédit Local lui oppose la prescription quinquennale de l’action en nullité de la stipulation d’intérêt conventionnel

Le Tribunal va là encore s’appliquer à rappeler dans un premier temps les règles de droit applicables ; et donc :

–  que la prescription, comme le prévoit l’article 122 du CPC, constitue une fin de non-recevoir et qu’elle peut être proposée en tout état de cause, et non, comme le soutient la commune une exception de procédure qui doit être soulevée in limine litis[4] ;

–  que l’action en nullité d’une convention dure cinq ans ;

–  qu’en application de l’article 2224 du code civil, le point de départ du délai de prescription est le jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître le vice affectant le contrat.

Les juges estiment que « s’agissant du défaut de mention du TEG, cette absence a pu être constatée dès réception du document critiqué, c’est-à-dire le 1er juin 2007 ».

La demande a été introduite par acte d’huissier délivré le 12 juin 2012. Elle est donc prescrite.

Par conséquent, le Tribunal a fait droit à la fin de non-recevoir opposée par les sociétés Dexia Crédit Local et CAFFIL et a déclaré irrecevable la demande de nullité de la stipulation d’intérêts tirée de l’absence de mention du TEG sur la télécopie du 1er juin 2007.

L’obligation de communiquer le taux de période et la durée de la période s’applique aux crédits consentis à des personnes morales de droit public et son défaut est sanctionné par la nullité de la stipulation d’intérêt conventionnel avec comme conséquence la substitution du taux d’intérêt légal au taux d’intérêt prévu par le contrat

S’agissant du second moyen soulevé par la commune tendant à voir déclarer « la nullité de la stipulation d’intérêts tirée d’un TEG erroné dans l’instrumentum du 15 juin 2007 », le Tribunal rappelle à titre liminaire que le délai de prescription n’est pas acquis en ce qui concerne ce moyen dès lors que les erreurs invoquées par la commune ne lui ont été révélées qu’à la date de signature de ce document et qu’il convient donc d’examiner au fond cette demande.

En l’espèce, la commune reproche à la banque de ne pas avoir fait figurer le taux de période unitaire ni la durée de la période, informations qu’elle analyse comme substantielles, car destinées à permettre à l’emprunteur de vérifier le calcul du TEG et au juge de le contrôler. Selon elle, du fait de cette carence, le TEG est réputé non affiché et la nullité de la stipulation d’intérêts doit être prononcée.

En réplique, la société Dexia fait valoir que les textes en vigueur à la date de signature du contrat excluaient les prêts consentis aux personnes de droit public du champ d’application de l’obligation de communication de ces données.Les magistrats, après avoir constaté que le prêt critiqué a été consenti à une personne morale de droit public, et entre dans la définition de l’article L. 311-3 3°, vont se livrer à un examen minutieux de la « nature des modifications successivement apportées aux dispositions de l’article R. 313-1 du code de la consommation » afin d’apprécier la portée des moyens soulevés par les parties.

Nous ne reprendrons pas les développements de la décision et résumerons le problème posé aux magistrats comme suit :

Les dispositions relatives au calcul du TEG ont connu plusieurs évolutions[5] et notamment, en 2002, pour se conformer à la règlementation européenne, la France a abandonné la méthode de calcul du TEG dite proportionnelle, qui était traditionnellement celle retenue, pour adopter la méthode dite équivalente mais en limitant l’application de cette dernière aux seuls crédits pour lesquels cette méthode était imposée par la Commission européenne, à savoir les crédits à la consommation.

La disposition de l’article R. 313-1 du code de la consommation applicable au contrat conclu entre la Commune et Dexia est ainsi rédigée :

« Sauf pour les opérations de crédit mentionnées au 3° de l’article L. 311-3 et à l’article L. 312-2 du présent code pour lesquelles le taux effectif global est un taux annuel, proportionnel au taux de période, à terme échu et exprimé pour cent unités monétaires, le taux effectif global d’un prêt est un taux annuel, à terme échu, exprimé pour cent unités monétaires et calculé selon la méthode d’équivalence définie par la formule figurant en annexe au présent code. Le taux de période et la durée de la période doivent être expressément communiqués à l’emprunteur.

Le taux de période est calculé actuariellement, à partir d’une période unitaire correspondant à la périodicité des versements effectués par l’emprunteur. Il assure, selon la méthode des intérêts composés, l’égalité entre, d’une part, les sommes prêtées et, d’autre pan’, tous les versements dus par l’emprunteur au titre de ce prêt, en capital, intérêts et frais divers, ces éléments étant, le cas échéant, estimés.

Lorsque la périodicité des versements est irrégulière, la période unitaire est celle qui correspond au plus petit intervalle séparant deux versements. Le plus petit intervalle de calcul ne peut cependant être inférieur à un mois.

Pour les opérations mentionnées au 3° de l’article L. 311-3 et à l’article L. 312-2, lorsque les versements sont effectués avec une fréquence autre que annuelle, le taux effectif global est obtenu en multipliant le taux de période par le rapport entre la durée de l’année civile et celle de la période unitaire. Le rapport est calculé, le cas échéant, avec une précision d’au moins une décimale ».

Donc depuis 2002, le TEG doit être calculé par la méthode proportionnelle c’est-à-dire par la méthode selon laquelle « le taux effectif global est un taux annuel, proportionnel au taux de période » pour tous les crédits autres que les crédits à la consommation. Tandis que pour ces derniers s’appliquera la méthode équivalente, c’est-à-dire un mode de calcul actuariel, fondé sur une formule mathématique d’actualisation des flux.

Or, en l’espèce, la banque soutenait qu’en fonction de la nature ou de l’objet des opérations de crédits ce n’est pas seulement la méthode de calcul du TEG qui est différente mais aussi le régime juridique applicable au prêteur. En effet la défenderesse maintenait que les dispositions faisant obligation de communiquer le taux de période et la durée de la période avaient vocation à s’appliquer aux crédits à la consommation dont le TEG annuel devait être calculé par la méthode dit équivalente, mais pas aux autres crédits dont le TEG annuel continuait à être calculé selon la méthode dite proportionnelle. Donc en clair, que l’obligation de communication du taux et de la durée de la période n’était applicable qu’aux crédits à la consommation, à l’exclusion des crédits consentis aux personnes morales de droit public[6].

Le Tribunal de Grande Instance de Nanterre juge au contraire que la communication du taux et de la durée de la période n’est pas circonscrite aux crédits à la consommation et relève que les modifications intervenues en 2002 ne concernent que les crédits à la consommation.

Les magistrats en déduisent par conséquent que les dispositions de l’article R. 313-1 du code de la consommation imposent, depuis 1997, que l’établissement prêteur précise le taux de période unitaire et la durée de celle-là, y compris pour les prêts consentis à des personnes morales de droit public.

Le Tribunal en tire les conséquences suivantes :

« Il s’ensuit qu’en 2007, la société DEXIA avait l’obligation de communiquer à la commune le taux de période et la durée de celle-ci, données nécessaires au calcul du TEG et, par conséquent, à la validité de la stipulation d’intérêts ».

Il est constant qu’elle s’en est abstenue.

La société DEXIA CRÉDIT LOCAL n’a donc pas respecté les prescriptions d’ordre public qui s’imposaient à elle et dont la méconnaissance doit être sanctionnée par la nullité de la stipulation d’intérêts et la substitution du taux légal au taux contractuel depuis la conclusion du contrat de prêt. »

Enfin, le Tribunal, et on peut penser que la réponse n’est pas seulement à l’adresse de la banque mais également des pouvoirs publics  qui ont tenté une première fois de avec le soin que l’on sait, d’annihiler la jurisprudence de Nanterre, relève avec justesse et raison :

« Si la société DEXIA soutient que cette sanction prétorienne est critiquable, manifestement disproportionnée et non pertinente pour un prêt à taux variable, il y a lieu de rappeler que le TEG est l’un des éléments constitutifs de l’intérêt conventionnel tel que prévu par l’article 1907 du code civil. Dès lors, le défaut de mention comme l’erreur dans le calcul du TEG affectent directement l’intérêt conventionnel lui-même, le rendent inapplicable et justifient son annulation selon l’alternative imposée par la loi. »

On ne peut s’affranchir quand bon semble de ses obligations sans en supporter les conséquences.

Un jugement en forme de rappel à l’Etat de droit ?

 



[1] N° RG : 12/06737

[2] Le Tribunal a considéré l’intervention volontaire de la Caisse Française de Financement Local recevable considérant que les sociétés Dexia et Caffil ont des intérêts financiers liés et sont ainsi concernées par l’évolution des prêts en cours, quelle que soit l’identité du prêteur initial. Qu’en conséquence, il existe donc un lien suffisant entre l’intervention de la société CAFFIL et le présent litige, conformément à l’article 325 du CPC.

[3] Arrêt de la Première Chambre Civile de la Cour de cassation du 16 janvier 2013, publié au Bulletin.

[4] « Dès le commencement du procès », c’est-à-dire avant toute défense au fond.

[5] En 2002 : le décret n° 2002-927 du 10 juin 2002 relatif au calcul du taux effectif global applicable au crédit à la consommation et portant modification du code de la consommation. Ce texte visait à transposer en droit français la directive 98/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 pour imposer, dans l’ensemble de la Communauté européenne, une méthode unique de calcul du taux annuel effectif global afférent au crédit à la consommation.

En 2011 : le décret n°2011-135 du 1er février 2011 a scindé le régime des opérations de crédit destinées à financer les besoins d’une activité professionnelle ou destinées à des personnes morales de droit public ainsi que celles mentionnées à l’article L 312-2, et celui des autres opérations do crédit. Il a réaffirmé, pour les premières, la nécessité de la communication expresse du taux de période et de la durée de celle-ci.

[6] C’est en ce sens que s’est prononcée la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 décembre 2013. La Chambre civile a jugé en sens contraire le 19 février 2013.