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Le « Comité National d’Orientation et de Suivi » (« CNOS ») chargé d’approuver la doctrine d’emploi des fonds abondant le fonds de soutien des collectivités et établissements publics affectés par les emprunts toxiques a mis en ligne le 2 courant une nouvelle doctrine qui remplace celle publiée le 13 novembre 2014.

 

Il faut dire qu’entretemps, et précisément le 15 janvier dernier, la Banque Nationale Suisse a supprimé le cours plancher d’1,20 franc suisse pour un Euro qu’elle défendait à grands frais depuis 2010, ce qui a provoqué une forte hausse du franc suisse contre l’EURO et par contrecoup une augmentation massive des taux d’intérêts des funestes emprunts structurés indexés sur  la parité EURO/CHF.

 

Bien obligé de constater les conséquences de cette hausse sur les taux de ces emprunts et sur les indemnités de remboursement à payer pour y mettre fin par anticipation (les « IRA »), le Gouvernement a fini par se résoudre à doubler l’enveloppe initialement prévue pour le fonds de soutien  en portant celle-ci à 3Mds d’Euros sur 10 ans.

 

Les pouvoirs publics ont aussi fini par admettre que pour les emprunts dont le « mark to market » (la valeur de marché actualisée qui correspond à l’IRA) était la plus dégradée, et donc au premier chef les emprunts indexés sur l’Euro/CHF, le taux de couverture de 45% de l’IRA qui était le taux maximum de l’aide versée par le fonds était insuffisant.

 

Ce qui empêcherait la « désensibilisation » définitive que l’Etat, et surtout les banques qu’il contrôle et/ou garantit (CAFIIL/SFIL et Dexia) espèrent opérer à marche forcée aux frais exclusifs des emprunteurs (et des contribuables via le fonds de soutien) pour éviter une recapitalisation qui, sans cela, serait inévitable.

 

Il est d’ailleurs permis de s’étonner qu’au moment où l’Etat engage pratiquement du jour au lendemain un milliard d’Euros pour accroître sa participation dans Renault et s’assurer de bénéficier de droits de vote double, il y ait une telle résistance à « prendre le problème par le bon bout » en acceptant que les banques en question puissent faire des concessions raisonnables aux clients qu’elles ont mis en difficulté quitte à devoir être recapitalisées de quelques centaines de millions.

 

Il est vrai que dans un cas l’Etat peut espérer récupérer un jour sa mise de fonds, alors que dans l’autre…

 

La nouvelle doctrine d’emploi du fonds de soutien accompagne cette augmentation des moyens et du taux maximal d’intervention du fonds de soutien, tout en faisant évoluer ses modalités d’intervention de la façon qui sera ci-après décrite.

 

Les modifications apportées aux règles d’éligibilité :

 

Pour accélérer le processus de désensibilisation et inciter les emprunteurs à ne pas attendre la décision du fonds, il est désormais prévu que la collectivité ou l’établissement concerné puisse procéder au remboursement anticipé avant même le dépôt de son dossier de demande d’aide : l’aide peut donc être versée après qu’un  remboursement anticipé a été effectué ( au plus tôt au 1er janvier 2014) Sans d’ailleurs qu’il ne soit requis qu’une « transaction » n’ait été signé à cette occasion entre l’emprunteur et sa banque…

 

Cette évolution des critères d’éligibilité peut se comprendre pour hâter autant que possible les désensibilisations et faire en sorte qu’elles interviennent en amont de la décision d’aide mais sa régularité peut interroger puisqu’elle n’est prévue ni dans les dispositions légales ni dans les dispositions réglementaires consacrées au Fonds de soutien

 

Ce d’autant qu’elle tend à faire disparaître l’exigence de la signature préalable d’une transaction qui figure pourtant en toutes lettres dans le 4ème paragraphe de l’article 92 de la loi de finances 2014 portant création du fonds de soutien («L’aide au titre d’un ou de plusieurs emprunts structurés et instruments financiers souscrits auprès d’un même établissement de crédit est subordonné à la conclusion préalable avec cet établissement d’une transaction, au sens de l’article 2044 du code civil, portant sur ceux-ci. »).

 

D’ailleurs il ne figure plus aucune mention de la transaction en question dans les critères d’éligibilité tels que définis par la nouvelle doctrine d’emploi, alors que l’ancienne doctrine rappelait sa nécessité.

 

L’administration entend-elle s’en passer, contra legem, parce que décidément elle ne veut pas contraindre les banques à faire les moindres concessions ?  Anticipe-t-elle qu’à l’occasion de la loi qui révisera le pourcentage maximal de 45% fixé par l’article 92 de la loi de finances de 2014, on en profitera pour supprimer la nécessité de cette transaction et donc de quelque concession que ce soit de la part des banques concernées ?  

 

Et comment cela fonctionnera-t-il en pratique ? Qui prendra le risque de procéder à un remboursement anticipé sans savoir si son dossier d’aide a été accepté et que l’aide sera versée ? Quel décideur public qu’il soit élu ou haut fonctionnaire prendra le risque de subir un jour prochain le joug du Juge des comptes pour la gestion désastreuse de ces dossiers ?

 

Sans concession des banques et sans assurance sur le versement de l’aide allouée, quel motif pourra bien justifier le surendettement de la commune, du syndicat, du Département pour assurer le paiement de l’indemnité astronomique de l’IRA ( dont le montant est  déterminé par la seule banque) restant à sa charge?

 

La nouvelle doctrine précise aussi, ce qui va être utile dans de nombreux cas où certains détenteurs d’emprunts toxiques ont su passer le mistigri en les faisant prendre en charge par d’autres structures plus grosses et possiblement moins impécunieuses, que l’aide du fonds sera également transmise à l’heureux récipiendaire.

 

La fixation du pourcentage d’aide

 

La nouvelle doctrine précise désormais que l’IRA pris en compte pour l’application du taux d’aide versée par le fonds sera l’IRA du prêt à désensibiliser, dans la limite toutefois du montant plafond que constitue l’IRA de ce même prêt calculée au 28 février 2015.

 

Les augmentations postérieures à cette date de l’IRA ne seront donc pas « couvertes » par le fonds (sauf pour ce qui sera dit ci-après du « taux additionnel » susceptible d’être appliqué) mais l’augmentation des IRA des contrats indexés sur la parité EUR/CHF après le 15 janvier 2015  est, de cette façon, prise en compte. La date du 28 février ayant probablement été retenue d’une part parce qu’elle correspond à une période de stabilisation des volatilités après le séisme du 15 janvier, et d’autre part parce que c’est entre le 18 février et le 3 mars qu’on trouve les valeurs les plus élevées de la parité EUR/CHF depuis l’abandon du cours plancher…    

 

La nouveauté majeure de la nouvelle doctrine est cependant l’augmentation du taux maximal de prise en charge de l’IRA par le fonds puisque celui-ci passe de 45% à 75%. Toutefois, le taux de 45% ayant été fixé par la loi, il est précisé que cette augmentation n’entrera en vigueur qu’à compter de la modification législative nécessaire pour l’autoriser.L’article 32 bis[1] du projet de Loi modifié portant nouvelle organisation territoriale de la République adopté par l’Assemblée Nationale prévoit « À la deuxième phrase du deuxième alinéa du 1 du I de l’article 92 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, le taux : « 45 % » est remplacé par le taux : « 75 % ».

  

Comme auparavant le taux de prise en charge de l’IRA est défini pour chaque demandeur comme la somme de trois éléments :

  (i) Un « taux de référence » compris entre 0 et 22,5% qui est calculé en fonction de plusieurs critères pondérés censés refléter l’état des finances du demandeur et donc sa capacité à s’acquitter de l’IRA.

      Les critères eux-mêmes, qui figurent en annexe n’ont pas évolué en général, sauf pour les départements. Pour ceux-là ont été définies des « tranches » de situation auxquelles correspondent les pourcentages d’aides qui sont plus nombreuses, de sorte que globalement le dispositif est plus progressif et va avantager les départements qui sont les plus en difficultés. Par contrecoup le dispositif sera moins favorable aux départements dont la santé financière n’était pas la plus mauvaise. Seul un esprit malin pourra y voir une conséquence des résultats des dernières élections départementales…  

 

   (ii) Un taux désormais dit « complémentaire » qui tient compte de la « toxicité » du prêt à partir de la proportion de l’IRA par rapport au capital restant dû (CRD). Cependant, le mode de calcul de ce taux évolue substantiellement avec la nouvelle doctrine. En effet, alors qu’auparavant ce taux était le même quelle que soit cette proportion et compris entre 0% (correspondant à une IRA = 30% du CRD) et 22,5% (correspondant à une IRA = 150 du CRD) et qu’il résultait de l’application d’une formule uniforme qui était : taux complémentaire = 18,75% * [(IRA/CRD)-30%], ce taux est désormais :

 

  1.  soit de 0% pour une proportion IRA/CRD < 30 %, (là pas de changement),

  2. soit égal au résultat de l’application de la même formule que celle de l’ancienne doctrine pour les prêts dont la proportion IRA/CRD est comprise entre 30 et 90%

  3. soit égal au résultat de l’application d’une nouvelle formule qui tient compte du taux de référence et qui est la suivante : taux complémentaire = 80% – [(68,75%- taux de référence)* (90%/(IRA/CRD))] pour les prêts dont la proportion IRA/CRD est > 90%. 

 

Ceux qui s’amuseront à introduire dans leur tableur préféré la nouvelle formule de calcul du taux complémentaire, constateront qu’elle a pour effet d’augmenter substantiellement le taux de couverture de l’IRA et de favoriser les emprunteurs dont les emprunts en raison de leur toxicité obèrent le plus leur situation financière.

 

Dans l’ancienne formule, un prêt dont l’IRA était égale à 150% du CRD donnait droit à un taux complémentaire de 22,5% (soit le taux maximal) de l’IRA. Avec cette nouvelle formule, un emprunteur dont le taux de référence est de 12,50% va bénéficier d’un taux complémentaire de 46,25% soit un taux d’aide total de 58,75% de l’IRA à comparer à celui de 45% dont il aurait bénéficié avec l’ancienne doctrine. Bien plus que la santé financière de l’emprunteur c’est le critère de la toxicité qui l’emporte.

    (iii) Un taux désormais dit « additionnel » (dans l’ancienne doctrine on parlait de « taux complémentaire » cette appellation étant désormais utilisée pour le taux de prise en charge en fonction de la toxicité du crédit) qui correspond à ce qu’il faut bien appeler un pourcentage d’aide supplémentaire à caractère largement discrétionnaire que le service de pilotage peut attribuer ou non pour le cas échéant donner un « coup de pouce »  aux taux de couverture des IRA dues par des emprunteurs en situation critique. 

Cependant, alors que dans l’ancienne doctrine ce taux pouvait être de 0%, 3,75% ou 7,5%, la nouvelle doctrine le plafonne à 5% et laisse la possibilité au service de pilotage de le fixer dans une fourchette comprise entre 0% et sa valeur maximale de 5%. L’autre nouveauté de la doctrine d’avril 2015 est que ce taux additionnel peut désormais être appliqué pour tenir compte d’une dégradation de l’IRA postérieure au 28 février 2015 ce qui confère au service de pilotage une marge de flexibilité très limitée mais bienvenue pour compenser une nouvelle aggravation des IRA.

 On peut également relever que le plafond de 60M€ d’Euros d’aide distribuée sous la forme de ce pourcentage additionnel atteint désormais 100 M€ et que la cible privilégiée de ce dispositif « additionnel » demeure toujours les communes et établissements couvrant moins de 10.000 habitants.

 

Les modalités de versement de l’aide :

 

Le délai d’un mois dont les demandeurs d’aide disposaient pour accepter ou refuser la proposition d’aide formulée par le service de pilotage est porté de un à trois mois.

 

On aimerait croire que ce rallongement résulte d’une prise de conscience des difficultés majeures que rencontrent les collectivités pour convaincre les organes délibérants de transiger avec les banques dans les conditions léonines imposées par ces dernières et pour parvenir à un accord avec elles mais plus probablement il s’agit de répondre à une contrainte prosaïque : les périodes estivales au cours desquelles il est très compliqué de réunir les assemblées délibérantes qui devront statuer.

 

Autre amélioration marginale qui peut aussi refléter les problèmes que rencontrent les intéressés pour se mettre d’accord avec les banques sur les conditions auxquelles s’opèrent les remboursements anticipés : les demandeurs qui peuvent opter pour ne pas procéder à un remboursement anticipé immédiat et affecter l’aide allouée à la couverture des intérêts en excès du taux d’usure (applicable au contrat en cause) pendant une durée de trois ans renouvelable  et avaient décidé de ne pas exercer cette option au moment du dépôt de leur dossier peuvent désormais revenir sur ce choix initial « jusqu’à la conclusion de la transaction ». Ce qui impose une modification rédactionnelle des projets de Protocole. Les « protocoles – types » ne le prévoyant pas.

                                             

 On rappellera les termes de l’article 6 du Décret n° 2014-444 du 29 avril 2014 relatif au fonds de soutien aux collectivités territoriales et à certains établissements publics ayant souscrit des contrats de prêt ou des contrats financiers structurés à risque consacré à cette voie optionnelle et en particulier :

« le montant annuel d’aide ne peut pas être supérieur à la différence entre la charge d’intérêts exigible au titre du contrat et la charge d’intérêts telle qu’elle serait calculée en appliquant au capital restant dû le taux de l’usure en vigueur à la date de signature du contrat de prêt éligible.
Ce montant est calculé tous les ans et ne peut pas dépasser le montant d’aide alloué la première année du versement de l’aide. »

 

Aussi sauf accord avec la banque dans le cadre du protocole, l’emprunteur pourrait devoir assumer seul une part supplémentaire d’intérêt liée à une nouvelle augmentation du taux contractuel applicable.

 

Le décret précise également : « II. – A l’expiration du délai de trois ans mentionné au I, la collectivité ou l’établissement public bénéficiant d’une aide en application du I peut obtenir, dans des conditions déterminées par le Comité national de suivi et d’orientation mentionné à l’article 10, et pour une durée de trois ans renouvelable jusqu’au terme du contrat considéré, la poursuite du versement de cette aide.
III. – La collectivité ou l’établissement public bénéficiaire d’une aide attribuée en application des dispositions du présent article peut décider, à tout moment et au plus tard le dernier jour de l’année au cours de laquelle il bénéficie de cette aide, de rembourser par anticipation le contrat concerné afin de bénéficier d’une aide calculée et versée conformément à l’article 4. Les montants déjà perçus en application du présent article sont alors déduits de l’aide octroyée en application de l’article 4. »

 

On notera cependant que le CNOS n’a toujours pas arrêté les conditions autorisant le renouvellement de la période de trois ans et que ce renouvellement n’est pas un droit.

 

Que se passerait-il si au bout de trois ans l’emprunteur n’obtennait pas le renouvellement ? Sera-t-il contraint de procéder au remboursement par anticipation avec une aide amputée ?

Toutefois, cette option, malgré les incertitudes qu’elle recèle, présente un avantage certain : éviter pour la collectivité d’afficher et de supporter un endettement supplémentaire qui ne couvre aucun investissement.  

 

Quelle que soit la voie choisie, tout repose sur la parole donnée par l’Etat quant à sa capacité à abonder chaque année le Fonds de soutien et respecter ses engagements…dans la limite des crédits du fonds disponibles chaque année…[2]

 

 

Que penser de ce nouveau dispositif ?   

 

Pour les emprunteurs, mais surtout pour les banques qui en sont les véritables bénéficiaires – sans que la Commission Européenne ne semble pour le moment s’émouvoir qu’ainsi une aide d’Etat puisse être allouée sans avoir été notifiée à ses services ce qui signe son illégalité  – le progrès majeur est évidemment l’augmentation significative de la part d’IRA susceptible d’être prise en charge par le fonds.

 

Cependant la lenteur de mise en place du système et l’entêtement des banques concernées  à ne rien céder dans leurs négociations au risque de perdre, et de faire perdre à leurs clients, bien davantage, de même que le choix de départ d’une formule de désensibilisation « bête et méchante » sous la forme d’un remboursement immédiat à taux fixe ont maximisé le coût de sortie des emprunts toxiques. De sorte que, même avec une aide accrue, les montants à payer vont souvent s’avérer hors de portée des emprunteurs.     

 

De plus, et peut-être surtout, le dispositif continue de souffrir d’une absence de définition de priorités.

 

La nouvelle doctrine, comme l’ancienne, refuse de donner priorité aux emprunts les plus toxiques alors qu’il aurait fallu commencer par désensibiliser les emprunts hors charte (et en priorité absolue ceux indexés sur l’EURO/CHF ce qui aurait pu éviter de subir les conséquences de l’abandon du cours plancher si on avait agi à temps). 

 

 

Elle refuse également de cibler d’abord les emprunteurs les plus petits alors que ce sont ceux-là qui, faute de marges de manœuvre, sont les plus exposés à la hausse du taux moyen de leur dette.

 

Le service de pilotage des emprunts toxiques va donc continuer de disperser des moyens limités, et qui demeurent insuffisants, sur un grand nombre d’objectifs. C’est une recette éprouvée pour perdre une guerre mais aussi pour dépenser beaucoup d’argent pour un résultat médiocre.

 

Il est  vrai qu’il s’agit d’abord et avant tout d’afficher un « montant de désensibilisation » des prêts toxiques le plus élevé possible, en favorisant mécaniquement les collectivités les plus importantes qui détiennent les plus grands encours de dette.

 

Car il s’agit d’abord et avant tout de convaincre les contreparties de marchés et les souscripteurs d’obligations de la SFIL/CAFFIL qu’elles peuvent continuer de lui faire confiance.

 

C’est bien cet objectif-là qui est en réalité poursuivi exclusivement, et qui justifie tout le reste, y compris de pressurer le contribuable et les collectivités et établissements concernés au-delà du raisonnable.

 

Vae victis.   



[1] Intégré, ce qui nous prêterait à sourire, au Titre IV « Transparence et Responsabilité des collectivités territoriales ».

[2] Article 92 de la Loi n°2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 instituant le Fonds de soutien.