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Optimisation fiscale
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Optimisation fiscale des établissements publics de santé : Un MIROIR AUX ALOUETTES

 

Article rédigé le 11 octobre 2021 par Me Laurine Jeune

De plus en plus nombreux sont les établissements publics de santé qui cèdent aux sirènes de sociétés de « conseils » juridiques en optimisation fiscale qui leur font miroiter des gains financiers : taxe sur les salaires (TVA), taxe sur les salaires (TS), crédit d’impôt tel que le CICE, impôts sur les sociétés (IS)…etc.
Qu’en est-il vraiment ?
Nous avons souhaité décrypter un phénomène grandissant.

 

 

Les établissements publics de santé sont régulièrement démarchés par des sociétés de « conseil » comprenant des professionnels du droit, qui leur proposent de rechercher des mécanismes fiscaux leur permettant d’alléger certains postes de dépenses et de bénéficier de crédits d’impôts.
La proposition est tentante.
Confrontés à des difficultés financières préoccupantes, certains établissements publics de santé y voient l’opportunité de trouver de nouvelles solutions de répit ou de redressement de leurs comptes, qui plus est lorsque les équipes ont déjà fournis des efforts conséquents de réorganisation. Les établissements n’hésitent alors pas à se lancer dans une démarche d’optimisation fiscale.
Pour autant, les conséquences peuvent être désastreuses . Il convient d’alerter et d’appeler les établissements à la plus grande vigilance face à la croissance exponentiel de ce type de démarche phénomène.

Illustration

Le plus souvent, le processus est le suivant :

Les sociétés de « conseil » proposent de réaliser un audit et de n’être rétribués que sur les gains (immédiats) réalisés par l’établissement,  : Généralement, un rapport d’audit préconise à l’établissement public de santé de solliciter l’assujettissement d’une partie de ses activités – par exemple l’activité l’EHPAD – à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afin d’obtenir un dégrèvement de la taxe sur les salaires.

On rappellera ici le principe selon lequel la taxe sur les salaires est due par les employeurs qui ne sont pas assujettis à la TVA et, inversement, la taxe sur les salaires n’est pas due lorsque l’employeur est assujetti à la TVA.

Rarement l’établissement n’est informé des conséquences de l’assujettissement à la TVA sur le statut fiscal de l’assujetti à savoir un assujettissement à l’impôt sur les sociétés (IS) et à d’autres impôts commerciaux comme la taxe d’apprentissage et à la participation à l’effort de construction, et ce sur la totalité de ses activités.

Certes les établissements publics de santé bénéficient du dégrèvement de leur taxe sur les salaires mais sont aussi … assujettis par l’Administration fiscale à l’IS !

Les préconisations de ces sociétés de « conseils» ne s’arrêtent pas là et il n’est pas rare que certaines invitent les établissement à solliciter le  bénéfice du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) tel que créé par la loi par la loi n° 2012-1510 de finances rectificative pour 2012 en date du 29 décembre 2012, en faveur des entreprises soumises à l’impôt sur les bénéfices.

L’assujettissement des établissements publics de santé à l’IS tout comme la préconisation du bénéfice du CICE ne manquent pas de surprendre.

Reprenons :

L’activité des établissements publics de santé ne présente pas de caractère lucratif

En effet, si en application de l’article 206 (1) du code général des impôts, les personnes publiques peuvent être assujetties à l’IS, ce n’est que lorsqu’elles se livrent à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif.

La situation fiscale des établissements publics de santé au regard de l’IS s’apprécie donc par rapport à la réalité des activités qu’ils exercent.

Or, l’activité principale des établissements publics de santé ne présente nullement de caractère lucratif.

Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser les critères permettant de déterminer le caractère lucratif ou non des activités des personnes morales de droit public. En synthèse, il y a lieu de considérer l’objet du service rendu et les conditions particulières dans lesquelles ce service est géré (CE, 20 juin 2012, n° 341410 ; CE, 8 mars 1968n n° 58649).

Sont considérées comme lucratives les activités réalisées dans des conditions similaires par des organismes du secteur concurrentiel au regard de la règle dite des « 4P » : Produit, Public, Prix Publicité. A l’inverse, les opérations réalisées afin de satisfaire l’intérêt général (notamment afin de satisfaire un besoin non pris en compte par le secteur privé), ou qui ne sont pas réalisées selon les mêmes modalités par des entreprises commerciales ne sont pas lucratives.

Il est acquis que les conditions de réalisation des prestations de soins par les établissements publics de santé et le public accueilli ne sont pas identiques à ceux des établissements privés lucratifs.

Par exemple, les établissements publics de santé, chargés d’assurer le  service public hospitalier, doivent prendre en charge tous les patients quels que soient leurs revenus, leur couverture assurantielle et leur situation sociale.  En outre, ils bénéficient d’une tarification publique et doivent garantir aux patients une facturation des soins conformes aux tarifs fixés par la sécurité sociale.

Il s’agit là d’une différence particulièrement forte avec les établissements privés lucratifs qui proposent des prestations complémentaires et/ou des prestations qui donnent lieu au versement d’un prix complémentaire par le patient. De plus, les praticiens libéraux qui y exercent peuvent sous certaines conditions pratiquer des dépassements d’honoraires.

Aussi, il est regrettable que des professionnels du droit puissent préconiser à un établissement public de santé de solliciter son assujettissement à l’IS et à la reconnaissance de la lucrativité de son activité.

Le CICE n’était pas ouvert aux établissements publics de santé

Il est nul besoin d’une étude complexe, la lecture des  travaux parlementaires de la loi introduisant le CICE se suffit à eux-même qui écartent le bénéfice du CICE aux établissements publics de santé.

Si cela ne suffisait pas, la DGOS avait établi en décembre 2017 une note aux termes de laquelle il était annoncé la reprise de cet avantage fiscal afin de ne pas générer de distorsion vis-à-vis des établissements privés lucratifs qui avaient subi une baisse de leurs tarifs.

Au regard des conséquences délétères des démarches effectuées par les établissements publics de santé dans ce contexte, ces derniers n’ont eu d’autres choix que de contester leur assujettissement à l’IS et de revenir « à la case départ ».

Du temps, de l’argent et de l’énergie déployés pour un résultat décevant voire négatif.

Ce qu’il faut en retenir

Bref, les exemples de missions dites « d’optimisation fiscale » aboutissant à un échec sont nombreux.

Si l’optimisation fiscale reste une voie à explorer pour les établissements publics de santé en recherche d’économie ou de réduction de leurs charges, elle appelle à la vigilance et à éviter les marchands de rêve qui moyennant un pourcentage sur les sommes économisées préconisent des opérations risquées, sans tenir compte de la spécificité du secteur et dont les effets à terme sont catastrophiques.

La particularité des établissements publics de santé inhérente à leur statut, leur activité, leur organisation et leur fonctionnement doit être maitrisée dans une matière technique et complexe comme la fiscalité où un choix n’est jamais sans conséquence sur l’ensemble du régime fiscal.

Prudence, compétence et rigueur sont de mises pour éviter aux établissements publics de santé de se retrouver piéger…par un miroir aux alouettes.

 

Me Laurine Jeune, avocate associée, a rejoint le Cabinet Houdart et Associés en janvier 2011.

Elle conseille et accompagne depuis plus de douze ans les acteurs du secteur de la santé et du médico-social, publics comme privés, dans leurs projets d’organisation ou de réorganisation de leurs activités :

- Coopération (GCS de moyens, GCS exploitant, GCS érigé en établissement, GCSMS, GCSMS exploitant, GIE, GIP, convention de coopération, co-construction,…etc.)
- Transfert partiel ou total d’activité (reprise d’activités entre établissements (privés vers public, public vers privé, privé/privé, public/public),
- Fusion (fusion d’association, fusion entre établissements),
- Délégation et mandat de gestion,
- GHT, etc.

Me Laurine Jeune intervient également en qualité de conseil juridique auprès des acteurs privés en matière de création et de fonctionnement de leurs structures (droit des associations, droit des fondations, droit des sociétés).

Enfin, elle intervient sur des problématiques juridiques spécifiquement liés à :

- la biologie médicale,
- la pharmacie hospitalière,
- l’imagerie médicale,
- aux activités logistiques (blanchisserie, restauration),
- ou encore à la recherche médicale.