L’avant projet de Loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé ferait-il mieux que la PLFSS ?
Parmi les grandes nouveautés de l’avant projet de loi relatif à l’organisation et transformation du système de santé (mise en œuvre de la loi « Ma santé 2022 ») figure au premier chef la faculté de mutualiser les trésoreries des établissements parties d’un même GHT et de se doter d’un plan de financement global. C’est un pas considérable qui est franchi.
1- La mutualisation de trésorerie au sein des Groupements Hospitaliers de territoire (GHT), y serait-on enfin ?
L’avant-projet de Loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de sante prévoit en effet en son article 10 :
« II. – Après l’article L. 6132-5 du code de la santé publique, sont insérés deux articles ainsi
rédigés :
« Art. L. 6132-5-1. Les établissements parties à un même groupement hospitalier de
territoire peuvent être autorisés à :
« 1° Mettre en commun leurs disponibilités déposées auprès de l’Etat, par dérogation aux
articles L. 312-2, L. 511-5 et L. 511-7 du code monétaire et financier et à l’article L. 6145-8-1 du
code de la santé publique ; ».
Nous rappellerons ici que l’article L. 6145-8-1 du code de la santé publique[1] oblige les établissements publics de santé à déposer auprès de l’Etat leurs disponibilités à l’exception des fonds qui proviennent des recettes de leurs activités subsidiaires. Plutôt que de choisir d’assortir le principe d’une nouvelle exception, il est choisi par les rédacteurs d’y déroger.
Il est aussi permis de déroger aux articles L. 312-2[2], L. 511-5 et L. 511-7 du code monétaire et financier.
Ainsi, le monopole sur les opérations de crédit et de réception des fonds remboursables du public (effectuées à titre habituel) réservé aux établissements de crédit et aux sociétés de financement par l’article L. 511-5 du code monétaire et financier[3] ne ferait plus obstacle ( comme c’est déjà le cas pour « les opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres »[4] à la centralisation de trésorerie entre établissements publics d’un même GHT.
Relevons cependant que les établissements devront être préalablement « autorisés ». Mais par quelle tutelle : l’ARS, la Direction des finances publiques, un ou plusieurs ministères ?
Le choix de l’Autorité en dira long sur la volonté de voir ou non se développer ce type de dispositif …
Cependant, gardons quelque optimisme : après le coup manqué de l’avant- projet de loi de financement de la sécurité sociale ( PLFSS) pour 2019 qui avait voulu introduire la mutualisation des disponibilités des établissements parties au GHT en l’inscrivant dans le dispositif élargi d’expérimentations mis en place par l’article 51 de la LFSS 2018 ( Voir notre article ” Mutualisation de trésorerie dans les GHT : L’expérimentation définitivement interdite ? “ ); le Conseil d’Etat ayant considéré que ces dispositions constituaient un cavalier budgétaire, un nouveau vecteur législatif semble avoir été trouvé.
Si ces dispositions sont votées, restera à mettre en œuvre le schéma opérationnel et les résistances pourraient de nouveau se faire entendre.
Un schéma opérationnel avait déjà été esquissé par les représentants hospitaliers dans le cadre de la mise en place des GHT : tous les établissements conservaient un compte au Trésor et il s’agissait bien de mettre en œuvre les méthodes de « cash pooling » des groupes privés et d’ « organiser des mouvements hebdomadaires entre les comptes 515 de chaque établissement partie et l’établissement support »[5]. Ceci supposait que le Trésor puisse mettre à la disposition des établissements les mêmes systèmes informatiques de cash pooling que ceux proposés par les banques commerciales, à moins qu’il soit admis par dérogation que les comptes de trésorerie centralisés et le compte centralisateur soient tenus dans les livres d’une banque commerciale…Ira-t-on un jour jusque-là ?
Comme dans un groupe d’entreprises, qui, pas plus que le GHT, n’a de personnalité morale, on peut ainsi imaginer, non seulement une gestion centralisée (au sens de « dirigée par les mêmes personnes ») des trésoreries des membres, mais encore une véritable centralisation de la trésorerie de chacun des membres auprès d’un membre centralisateur. Celui-ci affecterait ainsi les excédents de trésorerie des membres dont la trésorerie est positive aux besoins de financement à court terme de ceux dont la trésorerie est négative. Et, de même que dans les groupes d’entreprises une telle centralisation devrait également, pour éviter l’aléa moral, s’accompagner d’une rémunération des soldes positifs de ceux qui les apportent via une facturation d’intérêts à ceux qui les reçoivent de façon à inciter les gestionnaires à gérer leur trésorerie au mieux.
Bien évidemment cette centralisation de trésorerie ne supposerait aucune espèce de solidarité financière entre les différents membres qui resteraient chacun créditeur et débiteur de ses propres créances et avoirs.
Les établissements membres sont-ils prêts à confier dans ces conditions la gestion de trésorerie à l’un d’entre eux, en particulier l’établissement support ? ou bien dans une logique de mutualisation plutôt que de centralisation confierait-on cette mission à une structure constituée par l’ensemble des établissements membres disposant de la personnalité morale comme un groupement ?
2- L’article 10 de l’avant-projet de loi prévoit également d’autoriser les établissements parties à un même GHT à «Elaborer un programme d’investissement et un plan global de financement pluriannuel uniques par dérogations aux 4° et 5° de l’article L. 6143-7 du code de la santé publique[6]».
Ce que nous comprenons de cette disposition c’est que les établissements d’un même GHT ( Là encore sous réserve d’y avoir été autorisés) pourraient décider d’arrêter un programme d’investissement défini par l’article D 6145-64[7] et un plan global de financement pluriannuel tel que défini par l’article R6145-65[8] uniques.
Au-delà de l’intérêt d’un tel mécanisme pour apporter de la cohérence au sein des GHT et obliger pour le coup chacun à s’inscrire dans politique commune, ces dispositions ne vont pas sans poser de question quant au maintien de l’autonomie des établissements parties, sur les conditions d’approbation de ces documents ( quelles instances ? quels établissements ?), sur les instruments juridiques qui permettront de mettre en œuvre les opérations d’investissement, sur les engagements de responsabilité de chacune des parties dans le cadre des financements, les règles de solidarité
Nous nous proposons dans un prochain article de revenir sur ces points nodaux.
[1] « Les dispositions de l’article L. 1618-2 du code général des collectivités territoriales relatives aux dérogations à l’obligation de dépôt auprès de l’Etat des fonds des collectivités territoriales et de leurs établissements publics sont applicables aux établissements publics de santé sous réserve des dispositions suivantes :
- a) Les établissements publics de santé peuvent déroger à l’obligation de dépôt auprès de l’Etat pour les fonds qui proviennent des recettes perçues au titre des activités définies à l’article L. 6145-7 du présent code ;
- b) Les décisions mentionnées au III de l’article L. 1618-2 du code général des collectivités territoriales relèvent de la compétence du directeur de l’établissement public de santé, qui informe chaque année le conseil de surveillance des résultats des opérations réalisées. »
[2] « Sont considérés comme fonds remboursables du public les fonds qu’une personne recueille d’un tiers, notamment sous la forme de dépôts, avec le droit d’en disposer pour son propre compte mais à charge pour elle de les restituer. Un décret en Conseil d’Etat précise les conditions et limites dans lesquelles les émissions de titres de créance sont assimilables au recueil de fonds remboursables du public, au regard notamment des caractéristiques de l’offre ou du montant nominal des titres. (…) »
[3] « Il est interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit ou une société de financement d’effectuer des opérations de crédit à titre habituel.
Il est, en outre, interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des services bancaires de paiement. »
[4] Article L511-7 :
« I. – Les interdictions définies à l’article L. 511-5 ne font pas obstacle à ce qu’une entreprise, quelle que soit sa nature, puisse :
(…)
- Procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres ;
[5] Rapport de fin de mission déposé par la Mission Groupements Hospitaliers de territoire Février 2016
[6] Après concertation avec le directoire, le directeur :
4° Détermine le programme d’investissement après avis de la commission médicale d’établissement en ce qui concerne les équipements médicaux ;
5° Fixe l’état des prévisions de recettes et de dépenses prévu à l’article L. 6145-1, le plan global de financement pluriannuel et les propositions de tarifs de prestations mentionnés à l’article L. 174-3 du code de la sécurité sociale et, le cas échéant, de ceux des activités sociales et médico-sociales ;
[7] Le programme d’investissement prévu au 4° de l’article L. 6143-7 comporte notamment les informations suivantes :
1° Pour les opérations de travaux, d’acquisition d’équipements matériels lourds mentionnés à l’article R. 6122-26 ou pour les opérations d’investissement portant sur des systèmes d’information, dont le coût total est supérieur à un seuil qui peut être différent selon les établissements et qui est fixé par arrêté des ministres chargés du budget, de la santé et de la sécurité sociale :
- a) La liste détaillée des opérations ;
- b) Leur montant prévisionnel ;
- c) Les échéances prévisionnelles ;
- d) Une fiche de présentation de chaque opération de travaux ou de systèmes d’information.
2° Pour les autres opérations de travaux, d’acquisition de matériel, d’investissement portant sur des systèmes d’information ainsi que les acquisitions de terrains : le montant annuel par nature d’opération.
Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe les modalités de présentation de ces informations.
[8] Le plan global de financement pluriannuel de l’établissement, fixé par le directeur, définit les orientations pluriannuelles des finances de l’établissement. Il retrace l’ensemble de ses dépenses et de ses recettes prévisionnelles pour une durée minimale de cinq ans glissants, tant en exploitation qu’en investissement, et présente l’évolution prévisionnelle de la marge brute, de la capacité d’autofinancement, du fonds de roulement, du besoin en fonds de roulement et de la trésorerie de l’établissement sur la période pour laquelle il est fixé.
Le plan détermine notamment les dépenses prévisionnelles résultant de la réalisation de l’ensemble des opérations mentionnées au programme d’investissement prévu à l’article L. 6143-7 et leurs modalités de financement, tant en investissement qu’en exploitation.
Toutes les opérations appelées à figurer dans le programme d’investissement et les engagements hors bilan sont inscrites dans le plan global de financement pluriannuel de l’établissement. Les apports auprès d’une filiale mentionnée à l’article R. 6145-74 ainsi que les prises de participation sont inscrits dans ce plan.
Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.
Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :
- contrats d’exercice, de recherche,
- tarification à l’activité,
- recouvrement de créances,
- restructuration de la dette, financements désintermédiés,
- emprunts toxiques
Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.
Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).