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Par une décision n° 12-D-03 du 23 janvier 2012, l’Autorité de la concurrence a rejeté la saisine de la Polyclinique de Savoie relative à des pratiques de l'Association pour l'Utilisation du Rein Artificiel (AURAL-Lyon) dans le secteur du traitement de l'insuffisance rénale chronique par dialyse en Haute-Savoie, estimant qu’il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure s'agissant des pratiques dénoncées par la saisine.

La société Polyclinique de Savoie avait saisi le Conseil de la concurrence, en application de l'article L. 462-5 du code de commerce, de pratiques anticoncurrentielles mises en oeuvre selon elle par l'Association pour l'Utilisation du Rein Artificiel (AURAL-Lyon), dans le secteur du traitement de l'insuffisance rénale chronique en Haute-Savoie.

Rappel des faits

"En 2006, à l'occasion du renouvellement des autorisations d'exercice de l'activité de traitement de l'insuffisance rénale chronique (IRC) dans le cadre du nouveau schéma régional d'organisation sanitaire (SROS-3), la Polyclinique de Savoie avait en effet effectué auprès de l'agence régionale d'hospitalisation de Rhône Alpes (ARH-RA) une demande d'autorisation d'exercice de l'activité de traitement de l'insuffisance rénale chronique pour le bassin hospitalier de Haute Savoie nord (bassin n°13). Dans ce secteur géographique, les différentes modalités de l'offre de traitement de l'IRC étaient jusque là couvertes de manière complémentaire et partenariale par deux établissements de santé : l'AURAL (secteur privé associatif) et les Hôpitaux du Léman (secteur public hospitalier). En 2007, l'ARH-RA a autorisé l'AURAL et les Hôpitaux du Léman, auxquels s'est joint un autre partenaire public (le Centre Hospitalier Intercommunal d'Annemasse-Bonneville ou CHIAB), à poursuivre l'exercice de leur activité, tout en leur octroyant de nouvelles autorisations d'exercice prévues par le SROS. En revanche, la demande d'autorisation présentée par la Polyclinique de Savoie a été rejetée par l'administration parce que non conforme au SROS".

Les griefs

La clinique imputait à l'AURAL l'impossibilité de pénétrer le marché du traitement de l'IRC sur le bassin concerné et s’estimait "victime de la part de l'AURAL de pratiques de verrouillage de l'accès au marché de l'offre de traitement de l'IRC, consistant en un refus d'une convention de coopération pour l'autodialyse, qui lui aurait permis de présenter une demande couvrant les seules modalités de traitement de l'IRC non saturées par l'offre existante".

Elle se fondait "sur l'obligation légale qu'a chaque demandeur d'autorisation, dans un bassin hospitalier donné, d'exercer en propre ou par convention de coopération passée avec d'autres établissements de santé au moins trois des quatre modalités réglementaires de traitement de l'IRC. En l'espèce, l'AURAL était détentrice exclusive, pour le bassin visé, de l'autorisation d'exercer l'une des trois modalités obligatoires de traitement de l'IRC (autodialyse), ce qui pouvait la mettre en situation de fermer ou d'autoriser l'accès du marché local à d'autres opérateurs. L'exclusivité pour l'autodialyse qui lui était conférée par l'ARH aurait eu l'effet ond'une barrière à l'entrée".

Selon la clinique, "cette pratique de verrouillage de l'accès au marché local du traitement de l'IRC serait constitutive d'un abus de position dominante de l'AURAL à raison de son monopole en matière de traitement en unités d'autodialyse. A défaut, l'association serait, du fait de son exclusivité, détentrice d'une facilité essentielle dont elle aurait refusé l'accès à la Polyclinique afin de favoriser le partenaire de son choix".

La décision

Après avoir rappelé que les hôpitaux publics entretenaient avec l’AURAL sur le bassin hospitalier de Haute-Savoie Nord, « depuis le milieu des années 1990 », une « tradition de coopération non formalisée » qui visait à assurer aux patients la continuité des soins selon les différentes modalités, l'hôpital public assurant le repli des patients de l'AURAL", l’Autorité de la concurrence constate que l’AURAL ne dispose pas d’une position dominante sur le marché pertinent, dès lors qu’elle "ne dispose pas d'un véritable pouvoir de marché, puisqu'elle a dû se plier à une mise en concurrence pour les autorisations d'exercice de l'autodialyse et de l'hémodialyse à domicile dans le cadre de la remise à plat opérée par l'ARH, qu'elle a dû bâtir un partenariat avec les HDL et le CHIAB et qu'enfin, elle ne s'est pas octroyé la modalité à laquelle elle aurait pu prétendre seule".

Elle constate également que "la théorie des infrastructures essentielles, qui suppose l'application cumulative des critères retenus par la jurisprudence, n'est pas applicable au cas d'espèce dès lors qu'il n'est pas établi que l'AURAL est en situation de monopole ou dispose d'une position dominante sur le bassin n° 13". On rappellera que ces critères, confirmés par un arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2005 (décision n° 03-MC-04) sont les suivants :
– 1) l'infrastructure est possédée par une entreprise qui détient un monopole (ou une position dominante) ;
– 2) l'accès à l'infrastructure est strictement nécessaire (ou indispensable) pour exercer une activité concurrente sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel le détenteur de l'infrastructure détient un monopole (ou une position dominante) ;
– 3) l'infrastructure ne peut être reproduite dans des conditions économiques raisonnables par les concurrents de l'entreprise qui la gère ;
– 4) l'accès à cette infrastructure est refusé ou autorisé dans des conditions restrictives injustifiées ;
– 5) l'accès à l'infrastructure est possible.

Elle constate par ailleurs qu’il n’y a pas de dépendance économique, en l'absence de liens contractuels de type commercial entre l'AURAL et la Polyclinique, requis par le code de commerce pour fonder un abus de dépendance économique (art. L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce).

Elle relève enfin que l'affirmation d'une action concertée des membres de l'AURAL visant à écarter la Polyclinique "n'est pas recevable dès lors que la saisissante n'apporte aucun commencement de preuve à l'appui. Elle indique d'ailleurs, dans son audition du 12 avril 2011, à propos d'une éventuelle action concertée des membres de l'AURAL, « qu'il y avait une forme de confusion entre les intérêts des hôpitaux publics et l'AURAL (…) qui laisse ouverte la possibilité d'une entente anticoncurrentielle (…), sans pour autant que le plaignant soit en mesure d'apporter plus d'éléments que la simple constatation des liens existants entre l'AURAL et les structures hospitalières publiques ».

En conséquence, "au vu de ces éléments, aucune pratique d'entente caractérisée par un accord de volonté ne peut donc être retenue à l'encontre de l'association et de ses partenaires".

Cette nouvelle décision de l’Autorité de la concurrence offre une grille de lecture particulièrement intéressante des opérations de rapprochement et de coopération entre structures sanitaires.