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POUR QUE LES PATIENTS NE DECEDENT PLUS DANS LES COULOIRS…

Nous avons eu de la chance ! La météo relativement clémente de cet hiver a permis d’éviter les crises de saturation des services d’urgences régulièrement constatées en période hivernale.
Malheureusement, un événement récent, fortement porté par les réseaux sociaux,  intervenu dans un centre hospitalier, nous ramène à notre triste réalité : les heures d’attente à l’accueil des urgences ne cessent de croître ; des personnes âgées décèdent encore dans les couloirs. Encore bien d’autres situations de misère nous sont rappelées par les médias.
Pour ne rien arranger, le personnel des hôpitaux, excédé, se met en grève.
Ces situations ne semblent pas dignes de notre système de santé français. Peut-on accepter ça !
L’occasion de m’interroger sur les dysfonctionnements des services d’urgences.
Les conditions de travail
Le personnel des services d’urgence n’est pas responsable. Il est dévoué, chaque jour, à la meilleure prise en charge des patients dans les conditions qui lui sont offertes.
Son dévouement est fort, louable, et il ne faut pas l’agresser lors de vos attentes dans les services d’urgence, car le problème n’est pas là !
Ses conditions de travail sont délicates.
Citons pour exemple, et dans le désordre, des éléments de perte de temps dans la prise en charge :
    •    Des problèmes de traçabilité des soins en amont du service d’urgence : savez-vous que bien souvent, le médecin urgentiste doit être présent à la sortie des ambulances, car la transmission de données est, encore en 2016, orale !

    •    Des systèmes d’information non connectés entre services : en l’absence de connexion informatique entre les services de radiologie, de laboratoire, les résultats des examens demandés par les urgences arrivent « à pied » ou par fax….. Bien souvent, les médecins n’ont pas accès aux clichés en temps réel…. Les dossiers patients préexistants ne peuvent être récupérés pour connaitre des données importantes de l’état de santé de patient, groupe sanguin ou autres détails utiles…

    •    Des systèmes archaïques de gestion des lits d’aval ! …lorsqu’ils existent.

    •    Au niveau de la prise en charge des personnes âgées : l’absence bien souvent de passage des équipes mobiles de gériatrie (EMOG)  les week-ends et jours fériés,  alors que les passages aux urgences des personnes de + de 75 ans évoluent ;  les EMOG travaillent en jours ouvrés là où les services d’urgence travaillent en continu ! Mais l’avis de l’EMOG est bien souvent attendu pour l’orientation de la sortie des personnes âgées qui passeront le week-end sur un brancard, dans le couloir.

    •    Le patient dénommé « patate chaude » : c’est le patient dont personne ne veut dans les services, il est en général âgé, polypathologique et, en regard de la T2A, fait perdre de l’argent à l’hôpital car il sera difficile à placer à la sortie. Donc il restera à l’hôpital, faute de solution. Savez-vous que les personnels des services d’urgence (paramédicaux et médecins) dépensent du temps et de l’énergie à tenter de placer ces patients ? En attendant, nos « patates chaudes » rejoignent leurs petits camarades âgés, sur les brancards, dans le couloir.
Et puis citons des facteurs de saturation comme :
    •    Des capacités insuffisantes : l’activité des SU a augmenté de 257% au cours des 20 dernières années ; les capacités, elles, n’ont que peu évolué.

    •    Le transfert d’une partie de l’activité de ville sur les urgences en raison de difficultés croissantes du secteur ambulatoire.

    •    Et puis les urgences, c’est aussi la cour des misères : le service d’urgence attire, il y fait chaud, la lumière est allumée 24×24, le soin y est gratuit.

Les conditions de travail dans les services d’urgences sont difficiles, génératrices de perte de temps, de perte d’efficience et l’hôpital n’est pas favorisant.

Mais que fait l’hôpital ?
L’hôpital fait ce qu’on lui demande de faire : rester à l’équilibre financier ou avec un déficit maîtrisé,  tout en répondant aux contraintes réglementaires qui s’imposent à lui : « prendre en charge les patients dans son service d’urgence. Ceci, dans des enveloppes financières qui s’amenuisent alors que le nombre de passages aux urgences augmente de manière exponentielle. »
L’équation est intéressante : qui est volontaire ?
Dans l’attente de trouver un résultat satisfaisant à cette formule, l’hôpital fait fi des dysfonctionnements générateurs de saturation dans les services d’urgence.
En effet :
    •    Qu’importe le délai de prise en charge tant …qu’il y a prise en charge ; le délai d’attente n’est pas précisé dans les textes, les conditions d’accueil non plus (boxe,  brancard ou salle d’attente),

    •    Le système d’information est complexe et cher, un système informatique complet et intégré, ce n’est pas la priorité. Les éditeurs complexifient des choses simples auxquelles aucun décideur ne comprend rien, car le domaine est technique.

    •    Il n’y a pas de sanctions prévues contre les chefs de services qui refusent de prendre en charge les patients dans leurs services d’hospitalisation. De plus, pour le placement des patients dits « patate chaude », la direction est souvent solidaire. C’est en effet aussi un problème financier pour elle,

    •    La gestion des lit, lorsqu’elle existe, est artisanale et fonctionne en jours ouvrés : c’est déjà pas mal !

    •    Idem pour les équipes mobiles de gériatrie, en jours ouvrés : oui, il n’y a pas de continuité ni de permanence, mais le service existe !

Enfin, l’heure est aux économies. Il serait mal venu pour l’hôpital d’augmenter ses dépenses en augmentant capacités et équipes. D’ailleurs, il n’y a pas d’équipes disponibles ! Notons-le, les études menées pour l’application des modalités d’organisation du travail applicables dans les structures d’urgence SAMU-SMUR mettraient en évidence l’inapplicabilité de la mesure à coût constant et l’inapplicabilité de la mesure en raison d’un manque criant d’effectif disponible.
Bref, le financement ne suit pas, les bonnes volontés s’épuisent et la démographie est en berne.
Et la tutelle ?
Elle, aussi, fait ce qu’on lui demande de faire : faire appliquer les textes, trouver des solutions aux problématiques locales et réfléchir à des mesures d’amélioration. Ceci dans une enveloppe constante.
Alors, elle s’organise, réfléchit, organise des groupes de travail, travaille avec les fédérations et met la pression sur les hôpitaux et leurs directeurs pour appliquer ces solutions, bien souvent, malheureusement inapplicables.
Devant les difficultés et l’insuffisance des moyens, notamment humains, savez-vous que, à l’heure de la mutualisation, dans les fameux Groupements Hospitaliers de Territoire, il est désormais proposé de créer des équipes d’urgentistes de territoire. On attend également des systèmes d’information convergents, mais à quelle échéance !
Par contre, il n’est pas pour l’instant question d’équipes mobiles de gériatrie de territoire, qui pourraient, à mon avis, assurer à moyens constants, une permanence utile aux services d’urgence.
Les nouveaux et forts jeunes Comité Techniques Régionaux des Urgences (CTRU), lorsqu’ils existent dans les régions, sont en charge d’analyser les problématiques et de formuler des propositions d’organisation : en fin d’année 2015, en concertation avec les acteurs de terrain, les ARS devaient réaliser un diagnostic de l’existant qui doit servir de base à l’élaboration d’un schéma territorial des urgences et des soins non programmés, avec la définition d’un dispositif régional de prise en charge des urgences qui réponde notamment à l’objectif d’efficience du système.
Et le Ministère ?
Le Ministère a engagé depuis 2012 un plan d’action pour les urgences hospitalières, portant sur les questions d’organisation interne des établissements, de prise en charge en amont et en aval et de maillage territorial.
Ce plan d’action est conduit par les instances régionales, en concertation avec les professionnels de terrain. Et à ce jour, force est de constater que les travaux avancent doucement car une inconnue demeure : qu’en est-il du financement ?
Car le problème de l’ensemble des acteurs se pose aujourd’hui en ces termes :
Faire plus et mieux avec autant sachant qu’on a mis en avant qu’autant n’est pas suffisant ?
J’ai hâte de voir comment cette seconde équation pourra être résolue.
C’est dans ce contexte que nous attendons non sans impatience, en tant que citoyens et consommateurs du service de soins, la réforme du financement des services d’urgences annoncé par le gouvernement qui saura, je l’espère, redresser la barre de ces incohérences qui deviennent complexes et difficiles à gérer au quotidien par les acteurs du système de soins.
Espérons que dans cette réforme du financement, il ne faudra pas ajouter une nouvelle contrainte à notre équation qui sera « Faire plus et mieux avec autant, sachant qu’on a mis en avant qu’autant n’est pas suffisant et que demain on aura moins».