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L’avant-projet de loi de santé annonce une refonte du dossier médical informatisé. Elle s’articule autour de trois nouveautés :

 

–          Le dossier médical ne sera plus « personnel » mais « partagé » (1),

–          son ouverture n’aura plus un caractère obligatoire (2) ;

–          sa mise en œuvre est confiée à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), et non plus à l’ASIP (3).

 

Si les modifications paraissent, de prime abord, dérisoires, c’est un bouleversement profond de l’esprit même du dossier médical informatisé qui est en train de voir le jour

 

1- Un dossier médical « partagé » et non plus « personnel »

 

Il ne s’agit pas d’une simple évolution sémantique, mais bien d’une redéfinition du dossier médical informatisé.

 

En effet, dans l’esprit initial, le dossier médical informatisé équivalait à la numérisation du dossier médical du patient. Le patient était ainsi titulaire de son dossier médical, ce qui justifiait la qualification de « personnel ».

 

Aujourd’hui, si le dossier médical informatisé reste attaché à un patient en particulier, il a vocation à devenir l’outil au service d’une meilleure coordination et continuité des soins[1], en favorisant le partage d’informations entre les professionnels intervenant dans le parcours de santé.

 

Il est donc non plus un outil au service du patient mais un outil au service des professionnels de santé.

 

Pour poursuivre cet objectif, l’avant-projet donne au médecin généraliste un rôle pivot :

 

–          le DMP a vocation à contenir toutes les informations médicales du patient. En effet, chaque professionnel consulté doit obligatoirement reporter dans le DMP, à l’occasion d’un acte ou d’une consultation, les éléments diagnostiques et thérapeutiques nécessaires à la coordination des soins de la personne prise en charge. Il en est de même des professionnels exerçant dans un établissement de santé. Or, face à cet afflux d’information, le médecin traitant désigné par le patient devra verser périodiquement une synthèse (article L.1111-15 CSP envisagé). Et hop ! Une nouvelle mission à la charge des médecins généralistes. Cela nous amène à nous interroger :

 Quid de la responsabilité du professionnel si la synthèse contient une information erronée, ou rédigée maladroitement, et que cela a une incidence sur le parcours de soins du patients ?

Quid de la prise en charge financière du temps passé à effectuer cette synthèse ? Est-il prévu un financement particulier, notamment dans le cadre des enveloppes destinées à financer la coordination des soins ? Serait-ce un moyen utilisé par les ARS pour inviter les médecins généralistes à signer un contrat d’accès aux soins ? Est-il envisagé à tout le moins une revalorisation du prix de la consultation ou l’application d’un tarif spécifique pour la rédaction de cette synthèse ?

 

Des points à éclaircir si le gouvernement ne veut pas alimenter la grogne des professionnels libéraux.

 

–          Pour jouer ce rôle central, il semble que l’avant-projet veuille donner un droit d’accès privilégié au médecin traitant, « en cette qualité », au DMP.

 

Est-ce à dire que l’accès au DMP du médecin traitant constitue une dérogation au principe de consentement préalable du patient ? Nous ne le pensons pas, dans la mesure où l’avant-projet rappelle le principe essentiel de consentement préalable du patient pour l’accès des tiers à ses données médicales.

 

Néanmoins, on peut penser (sauf à ce que le décret à intervenir vienne nous contredire) que lorsque le patient donne autorisation à son médecin pour accéder à son DMP, cette autorisation perdure dans le temps. En d’autres termes, on pourrait penser qu’à titre dérogatoire, le médecin traitant dispose d’un accès perpétuel au DMP, alors l’ensemble des professionnels amenés à intervenir ponctuellement dans le parcours de soins devront solliciter, à chaque acte ou consultation, l’accord préalable du patient pour accéder au DMP.

 

 

2- Le DMP n’est plus obligatoire

 

Un décret en Conseil d’Etat devrait préciser les conditions de création et de fermeture du DMP, les modalités d’exercice des droits des personnes sur les informations figurant dans leur dossier, les conditions d’utilisation par les professionnels de santé et les conditions d’accès au dossier en urgence.

 

Néanmoins, un principe est d’ores et déjà posé : Alors que dans la législation actuelle, le patient était tenu d’ouvrir un DMP, il n’est aujourd’hui envisagé qu’une simple possibilité : Le DMP est créé sous réserve du consentement exprès de la personne.

 

On ne peut s’empêcher de penser que, par ce revirement, le gouvernement entend redéfinir le DMP comme un outil au service du patient, alors qu’il a pu, par le passé, être considéré comme un outil au service de l’assurance maladie ; Rappelons en effet qu’à l’origine des discussions sur le DMP, il était envisagé des sanctions financières (moindres remboursements) pour les patients refusant à un professionnel l’accès à leur DMP.

 

En conséquence, on peut imaginer que le DMP n’a pas vocation à être institué pour l’ensemble des patients.

 

L’objectif recherché par la Ministre de la Santé et rappelé par l’exposé des motifs, c’est de permettre aux patients atteints de maladies chroniques de disposer d’un outil permettant de lutter contre ces pathologies.

 

Néanmoins, il convient de souligner que l’avant-projet de loi n’est pas si restrictif, ce qui laisse ouvert la mise en place du DMP sur l’ensemble du territoire et à destination de tous.

 

Faire du DMP un outil facultatif, c’est aussi redonner au patient le pouvoir sur le respect de sa vie privée. Néanmoins, cela reste à notre sens éminemment symboliquement, comme nous l’évoquerons en partie 3).

 

3- Une mise en œuvre confiée à la CNAMTS

 

Dernière innovation : le gouvernement confie la « patate chaude » à la CNAMTS.

 

Sur ce point, l’avant-projet amène de notre part plusieurs observations :

 

–          Confier la mise en place et la gestion du DMP à un tiers, revient, pour l’Etat, à faire le constat de l’échec de l’ASIP de créer un dossier médical numérisé. Voilà 10 ans que l’on parle du DMP sans même aboutir à un projet embryonnaire viable. Il était certainement temps de modifier le projet !

 

–          Quand on lit scrupuleusement le projet envisagé, on ne peut s’empêcher de penser que le gouvernement s’est inspiré du succès du dossier pharmaceutique (DP), dont la mise en œuvre a été confiée (dès le départ) au Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens. Il existe en effet de grandes similitudes entre le futur DMP et le DP, et l’on peut se demander si le législateur n’a pas entendu s’inspirer de ce qui fonctionne pour réinventer le DMP  :

 

  • Une mission de service public confiée à un tiers ;
  • une ouverture à la demande du patient ;
  • une interopérabilité avec les logiciels déjà achetés par les professionnels de santé ;
  • un droit d’opposition du patient pour inscrire certaines données dans son dossier (principe du consentement exprès préalable) ;
  • un accès à différents professionnels (pharmaciens d’officie, pharmaciens de PUI, et à titre expérimental aux médecins des établissements de santé)…

 

En confiant le DMP à la CNAMTS, le gouvernement entend-il enfin donner sa chance à ce dossier médical informatisé ?

 

Nonobstant le succès que l’on souhaite au DMP, vecteur indispensable à l’amélioration des soins, on ne peut que s’interroger sur la pertinence de confier ce projet à la CNAMTS.

 

En effet, il est convenu que le DMP contiendra à la fois des données de santé et des données liées au remboursement des soins. S’il est aujourd’hui présenté comme un outil au service du patient (mais surtout des professionnels de santé), ne sera-t-il pas également dans l’avenir un outil de lutte contre la fraude au service de l’assurance maladie ?

 

La question mérite d’être posée, dans la mesure où on voit mal à quelle mission de service public la mise en œuvre du DMP pourrait se rattacher.

 

Actuellement, la CNAMTS a notamment pour mission le financement de l’assurance maladie, maternité, invalidité, décès, accidents du travail, maladies professionnelles… En lui confiant cette nouvelle mission, n’est-ce pas la doter d’un nouvel outil au service du « contrôle médical » dont elle a également la charge ?

 

Comment s’assurer que le DMP ne se trouvera pas dévoyé en outil de lutte contre la fraude ? Seul un décret en Conseil d’Etat après avis de la CNIL pourra définir les conditions dans lesquelles la CNAMTS (ou tout autre organisme de sécurité sociale) pourra avoir accès à ce dossier. Mais ce point sera à surveiller. En effet, si l’on souhaite offrir au DMP toutes ses chances de succès, il est indispensable que le patient ait pleinement confiance en ce nouvel outil. Le DMP ne doit pas devenir un faux-nez au service de l’assurance maladie.

 

La révision complète du dispositif du dossier médical informatisé permet-elle de conclure à la naissance du DMP ? Seul l’avenir nous le dira.

 



[1] Dans la législation actuelle, le DMP est un outil au service de la seule continuité des soins. Préciser qu’il est dorénavant un outil au service de la coordination, c’est justifier les évolutions du DMP préconisées par l’avant-projet.