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La Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes l’avait annoncé dans son discours de présentation du 19 juin 2014, le projet de loi relatif à santé dotera l’hôpital d’une « responsabilité nouvelle vis-à-vis de son territoire ».

 

Présenté comme l’outil permettant d’atteindre cet objectif, et avec toute l’ambition que cela revêt, le groupement hospitalier de territoire (GHT) constitue l’une des propositions phares du futur projet de loi.

 

Il ressort des travaux de préparation du projet de loi dont une version non officielle circule déjà sur des sites internet, 

 

que le GHT se pose en héritier de la communauté hospitalière de territoire (CHT) dont la suppression serait programmée.

 

Mais s’agit-il pour autant d’une véritable version 2.0 ou bien d’une simple version 1.1 des CHT ?

 

Nous nous sommes attachés à rechercher les modalités qui caractériseraient les futurs GHT et les différencieraient des actuelles CHT (1 PRESENTATION) pour déterminer la nature juridique de ce nouveau dispositif (2 ANALYSE).

 

 

  1. 1.            Présentation des GHT et comparaison avec les CHT  

 

1- Un objet quasi-identique

 

Dans la lignée de la CHT, le GHT aurait pour objet de permettre la mise en œuvre d’une stratégie commune.

 

La gestion en commun de certaines fonctions et activités serait abandonnée au profit d’une mission de « rationalisation des modes de gestion par une mise en commun de fonctions et activités ». Autrement dit, le GHT n’aurait pas la qualité de gestionnaire direct.

 

La mise en commun de fonctions et activités interviendrait toujours par le biais de délégations ou de transferts de compétences entre établissements. La référence à la télémédecine comme modalité de mise en commun serait quant à elle supprimée.

 

2- L’élaboration d’un projet médical non plus « commun » mais « unique »

 

Il serait toujours requis que soit élaboré un projet médical. Cependant, le projet de loi semble préférer la notion de projet médical « unique » à celle de projet médical  « commun » applicable aux CHT.

 

Ce changement de dénomination n’est pas neutre et reflète tout l’aspect contraignant que les futurs GHT devraient revêtir.

 

On relèvera à toute fin utile que le projet médical unique n’aurait pas à figurer dans la convention constitutive du GHT contrairement aux actuelles CHT pour lesquelles le projet médical commun doit être défini dans la convention de communauté.

 

La convention constitutive du GHT devrait seulement définir la stratégie médicale unique. Gageons que les pouvoirs publics entendent contraindre les établissements qui prenaient argument de l’absence de projet médical (qui nécessite une concertation avec les communautés médiales des établissements) ou des difficultés d’élaboration pour freiner leur adhésion.

 

3- Un dispositif imposé et contraignant

 

A l’inverse des CHT, l’adhésion à un GHT constituerait une obligation pour les établissements publics de santé. Le projet de texte impose la date du 31 décembre 2015 pour que les établissements adhèrent à un groupement.

 

Le projet de loi attribue ainsi un pouvoir coercitif aux Directeurs Généraux des Agences Régionales de Santé pour décider de la création de GHT et des membres qui le composeraient. A cet effet, les DG d’ARS devraient arrêter un schéma régional des GHT en conformité avec le projet régional de santé (PRS) et fixer, dans ce schéma, la liste des établissements devant adhérer à un GHT.

 

On relèvera néanmoins que l’adhésion à un GHT ne concernerait pas tous les établissements publics de santé d’un territoire mais seulement les établissements visés par la liste. Des dérogations seraient prévues ainsi qu’une simple possibilité de participation pour les établissements spécialisés en psychiatrie et les centres hospitaliers régionaux.

 

Les conditions d’élaboration de la convention constitutive du GHT seraient renvoyées à un décret. A ce jour, il ne peut donc être établi si une procédure d’approbation de la convention interne aux établissements serait requises et quelles instances seraient sollicitées. L’approbation de la convention constitutive par la tutelle est quant elle fixée par le projet de loi. C’est l’approbation de la convention par le(s) DG d’ARS qui emporterait d’ailleurs création du GHT. Aucune publication ne serait prévue à l’instar des CHT.

 

On relèvera également que la liste des membres d’un GHT devrait à tout le moins être établie en accord avec les établissements. Ce qui est contradictoire avec le pouvoir octroyé au(x) DG d’ARS d’arrêter le schéma régional des GHT et la liste des prétendants. Il est des accords qui s’apparentent à des « incitations obligatoires ».

 

Un établissement pourrait-il sérieusement refuser d’adhérer ?

 

En l’état du projet, l’absence d’adhésion empêcherait les établissements de pouvoir bénéficier des dotations de financements de l’aide à la contractualisation (dispositions qui devraient être applicables à compter du 1er janvier 2016). Les conséquences financières d’un refus d’adhésion à un GHT devraient donc emporter définitivement la conviction des derniers récalcitrants.

 

Mais le projet n’arrête pas là l’aspect contraignant des GHT.

 

Il serait en effet attribué au(x) DG d’ARS le pouvoir d’apprécier la conformité de la convention de GHT avec le PRS et non plus sa simple comptabilité avec le SROS comme pour les CHT. Tout renouvellement ou toute modification subirait le même sort.

 

Par ailleurs, s’il semble que les établissements puissent conserver une certaine « liberté » dans la détermination de la stratégie territoriale, le projet médical unique que chaque GHT élaborerait, devra se conformer au projet régional de santé.

 

On peut dès lors supposer que tout projet contraire initié par un ou plusieurs des établissements membres pourrait être rejeté par la tutelle au motif qu’il ne se conformerait pas au projet médical du GHT.

 

Dans cette logique de renforcement des pouvoirs des ARS, le respect du projet médical du GHT au même titre que le PRS, devrait également s’imposer pour l’octroi de toute autorisation d’activités de soins ou d’équipements matériels lourds(dispositions qui devraient être applicables à compter du 1er janvier 2016).

 

Enfin, le projet de loi restreindrait également la liberté des établissements en imposant une certification à engager de manière conjointe.

 

4- Une dimension territoriale plus large : l’ouverture à l’interrégionalité

 

Le projet apporte une dimension nouvelle à la notion de territoire en ouvrant le périmètre géographique des futurs GHT à l’interrégionalité.

 

Il est en effet indiqué que selon le cas, l’approbation de la convention constitutive de chaque GHT pourrait concerner un ou la plusieurs Directeurs Généraux d’ARS.

 

Il ne s’agirait alors plus de cantonner les coopérations à une dimension infrarégionale mais au contraire d’en élargir le spectre comme ont pu d’ores-et-déjà le faire certains établissements en dehors de toute CHT.

 

5- Des établissements publics « membres » et non plus seulement « signataires »

 

Les GHT se composeraient de « membres », notion qui renvoie à l’idée de « groupement », contrairement aux CHT qui se composent d’ « établissements signataires » et partant s’inscrivent davantage dans une logique d’adhésion à une personne morale.

 

Pourtant, nous doutons qu’il s’agisse d’un groupement au sens juridique du terme.

 

6- L’ouverture aux établissements privés et aux établissements et services médico-sociaux publics

 

A l’inverse des CHT, les futurs GHT seraient ouverts aux établissements privés et aux établissements et services médico-sociaux publics.

 

Pour mémoire, les textes relatifs à la CHT autorisent aujourd’hui la participation d’établissements médico-sociaux publics aux actions de la Communauté. Nous le savons cela a été un flop !

 

Aussi, le projet de loi relatif à la santé n’en abandonne pas l’idée et leur confère une place spécifique ; les établissements médico-sociaux publics devraient pouvoir adhérer au GHT au même titre que les établissements publics de santé mais sans que les contraintes exposées ci-avant ne s’imposent à eux (obligation d’adhésion, absence de financement en cas de refus…etc.). Les pouvoirs publics viseraient également les services médico-sociaux publics. L’approche exclusivement sanitaire devrait donc être abandonnée au profit d’une approche (plus cohérente) de transversalité, confirmant ainsi la volonté d’une complémentarité entre les secteurs sanitaire et médico-social.

 

Qu’en est-il des établissements privés ?

 

Ils ne sont pas totalement oubliés et pourraient non pas adhérer, mais être « associés » aux GHT en devenant des « partenaires ». Ce point constitue une nouveauté notable en comparaison des actuelles CHT pour lesquelles l’association de partenaires privés n’est pas prévue.

 

Il est vrai que le problème est majeur. Nombreux sont les établissements publics de santé, regroupés au sein d’une CHT, qui ont développées avec des structures privées des coopérations. Or, les CHT étaient en contradiction avec la logique territoriale qui doit conduire l’ensemble des acteurs de santé à coopérer.

 

Quelle consistance prendra donc ce partenariat ?

 

En fait, la loi prévoit l’association des établissements privés à l’élaboration du projet médical du GHT. Pas plus !

 

Craignons que ce manque d’ambition ne facilite pas les coopérations territoriales réclamées par ailleurs par ce même projet de loi…

 

7- L’absence de gouvernance

 

Le projet de loi, dans sa version adressée au Conseil d’Etat, ne prévoit pas de gouvernance. Il ne prévoit pas non plus de décret pour apporter des précisions.

 

Certes, la gouvernance actuelles des CHT a été souvent critiquée pour sa complexité, sa lourdeur (et parfois sa stérilité) :

 

–          une commission de communauté composée des directeurs d’établissements, Présidents de CME et Présidents de Conseil de surveillance, et chargée du suivi de l’application de la convention et de l’élaboration de propositions de mesures afin de faciliter l’application de la convention ou améliorer la mise en œuvre de la stratégie médicale commune.

–          Un établissement siège dont les instances sont élargies aux représentants des autres établissements signataires.

–          Voire, si les établissements composant la CHT le décident, d’instances communes représentatives du personnel.

 

Que penser de ce silence du projet de loi ? Nous ne voyons comment un décret (non prévu) ou une circulaire (non habilitée) pourrait remplir ce vide.

 

Entend-on laisser aux parties toute liberté ? (nous en doutons). La suite devrait nous éclairer….

8- Un fonctionnement centré sur un établissement support et gestionnaires des activités mutualisées pour le compte des membres

 

Comme indiqué précédemment, le GHT n’auraient pas pour objet de gérer la mise en commun d’activités et de fonctions – contrairement aux CHT – mais d’assurer la rationalisation des modes de gestion par la mise en commun de fonctions et activités.

En l’état des travaux actuels relatifs au projet, la gestion en commun d’activités et fonctions devrait reposer sur la désignation d’un établissement dit « support » qui gérerait ces activités et fonctions pour le compte de l’ensemble des membres.

 

L’établissement support devrait obligatoirement gérer un système d’information hospitalier (SIH), un département de l’information médicale (DIM), la formation initiale et continue des professionnels de santé, la politique d’achats. Il pourrait également gérer les activités administratives et logistiques et d’enseignement ou de recherche.

 

Il s’agirait du cœur du dispositif.

 

Nous nous interrogerons dans la seconde partie sur la nature juridique du GHT qui mêle groupement et délégation.

 

Concernant le SIH et le DIM, on relèvera que le projet de loi introduirait :

 

–                     une dérogation au droit au respect de la vie privé des patients et du secret des informations les concernant (article L. 1110-4 du code de la santé publique), en autorisant le transfert des informations concernant les patients d’un établissement membre au GHT. Ces données seraient réputées confiées par le patient au GHT.

 

–                     une dérogation au principe selon lequel les établissements de santé procèdent à l’analyse et à la facturation de leur activité sur la base des données médicales nominatives transmises par les praticiens (article L. 6113-7 du code de la santé publique), en confiant au responsable de l’information médicale de l’établissement support le soin de procéder à l’analyse et à la facturation de l’activité de l’ensemble des membres du GHT et à recueillir les données médicales nominatives.

 

Ces deux dérogations posent de très nombreuses questions en termes de confidentialité, de faisabilité technique et de régime de responsabilité : quels seraient les équipements à disposition de l’établissement support et aux autres membres pour transférer les données ? Quid du régime de partage et d’hébergement des données ? Quid du transfert des actuelles licences ? qui serait responsable en cas d’erreur de codage ?

 

9- Des GHT sans personnalité morale

 

La question de la personnalité morale du GHT semble ainsi réglée, il ne s’agirait pas d’organiser un regroupement d’activité mais un transfert/délégation d’activité à un établissement support. 

 

L’objectif poursuivi par les pouvoirs publics serait en effet d’attribuer à un établissement membre du GHT, la gestion pour le compte des autres membres des activités (hors activités de soins) qui seraient mutualisées.

 

10- Le financement des GHT

 

Les dotations de financements des missions d’intérêt général et d’aide ç la contractualisation et les subventions au titre du fond de modernisation devraient être versées au GHT.

 

En l’absence de personnalité morale propre, ce versement est cependant impossible. Le rédacteur n’a pas tiré les leçons de la rédaction approximative des textes initiaux relatifs aux CHT !

 

11- L’absence de dispositions organisant une résiliation

 

A l’inverse des dispositions relatives à la CHT, le projet de loi ne prévoit pas de possibilité de résiliation. Est-ce un nouvel indice qui plaide en faveur d’un dispositif plus structurel que les CHT ?

 

 

Tout ceci doit nous conduire à porter désormais une attention particulière à l’analyse de la nature juridique des GHT (à suivre – Partie 2).