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La Semaine Juridique Edition Générale n° 6, 8 Février 2016,  163

 

Loi Santé : les apports non médiatisés de la décision du Conseil constitutionnel

 

Veille par François Vialla

professeur des universités, directeur du Centre européen d’études et de recherche Droit&Santé, UMR5815 université de Montpellier

 

et Laurent Houdart

avocat associé, Cabinet Houdart et associés

Santé publique

 

 

 

Cons. const., 21 janv. 2016, n° 2015-727 DC : JurisData n° 2016-001135

 

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi de modernisation de notre système de santé (V. L. n∞ 2016-41, 26 janv. 2016 : JCP G 2016, act. 145, Aperçu rapide P. Villeneuve ; JCP G 2016, act. 146, Aperçu rapide S. Amrani Mekki). L’essentiel des commentaires a porté jusqu’ à présent sur la censure partielle de l’extension du très médiatique tiers-payant. On ne saurait cependant réduire à ce seul objet cette décision qui est, même en la matière, plus riche qu’il n’y paraît.

 

Une remise en cause prévisible des ´ principes déontologiques fondamentaux ª de la médecine libérale (L. n∞ 2016-41, art. 83). – Le Conseil d’…tat avait qualifié de ´ principes généraux du droit ª les dispositions de l’article L. 162-2 du Code de la sécurité sociale : libre choix du médecin par le malade, liberté d’installation et de prescription, secret professionnel, paiement direct des honoraires (CE, 18 févr. 1998, n∞ 171851 : JurisData n° 1998-050217). Pour la Cour de cassation, le paiement direct constituait un ´ principe déontologique fondamental ª (Cass. 2e civ., 25 juin 2009, n∞ 08-18.259 : JurisData n° 2009-048762). Le Conseil constitutionnel, qui n’avait pas exclu que ces principes aient valeur constitutionnelle (Cons. const., 22 janv. 1990, n∞ 89-269 DC : Journal Officiel du 24 Janvier 1990. – Cons. const., 12 août 2004, n∞ 2004-504 DC : Journal Officiel du 17 Aout 2004), semble ici mettre fin ‡ l’illusion en rappelant qu’il ´ est à tout moment loisible au législateur (…) de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ª et en précisant que les dispositions de l’article L. 162-2 ´ ne sont imposées par aucune exigence constitutionnelle ª.

 

Une obscure clarification de la portée du service public hospitalier (SPH) (L. n∞ 2016-41, art. 99). – Le Conseil constitutionnel valide les dispositions du 4∞ du paragraphe I de l’article L. 6112-2 du Code de la santé publique après avoir constaté l’absence de lien entre autorisations sanitaires et SPH et précisé que ces dispositions ´ qui prévoient l’absence de facturation de dépassements des tarifs de remboursement s’appliquent identiquement à tous les établissements de santé publics ou privés assurant le service public hospitalier et aux professionnels de santé exerçant en leur sein ª (consid. 57). ´ L’estampille ª SPH est donc avant tout une indication pour les patients et non un label permettant d’obtenir des avantages pour les établissements.

 

La décision pose cependant de nombreuses questions. Quid des dépassements dans les établissements qui, sur un territoire donné, seront en situation de quasi-monopole et qui seront en mesure de poursuivre leur activité sans être ´ habilités ª ‡ assurer le SPH ? La disposition impose-t-elle aux établissements SPH d’être uniquement en mesure de proposer à tout patient la possibilité de se faire soigner sans dépassement d’honoraires, sans que cela ne remette en cause la possibilité pour une partie des médecins de l’établissement de continuer de facturer des dépassements ? Le Conseil insiste en effet sur le fait qu’il est loisible aux établissements privés de recruter des médecins ne pratiquant pas au sein de leurs établissements des dépassements, ce qui semble accréditer l’idée d’une possible coexistence d’un régime SPH et d’un régime hors SPH. Ceci serait cohérent avec la position du Gouvernement qui ne semble pas remettre en cause le secteur libéral des praticiens temps plein à l’hôpital public.

 

La disposition interdit-telle au contraire aux établissements SPH de facturer tous dépassements ? Ceci serait alors cohérent avec le I du nouvel article L. 6112-2 du Code de la santé publique : ´ Les établissements de santé assurant le service public hospitalier et les professionnels de santé qui exercent en leur sein garantissent à toute personne qui recourt à leurs services : (…) ª. Si une telle interprétation prévalait, cela devrait signer la fin du secteur libéral à l’hôpital public.

 

Un encadrement strict des transferts d’autorisations dans les Groupements hospitaliers de territoire (GHT). – Alors que la rédaction des dispositions de l’article 107 de la loi n∞ 2016-41 en matière de transfert d’autorisation dans les GHT semblait particulièrement permissive, le Conseil valide le dispositif au motif ´ que ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet de modifier les règles qui s’appliquent aux transferts d’autorisation d’équipement ; qu’elles se bornent à prévoir que l’approbation du changement de lieu d’implantation peut se faire dans le même acte que l’approbation de la convention constitutive du groupement hospitalier de territoire ª (consid. 63). Tout transfert d’autorisation, accompagné ou non d’un changement de lieu d’implantation, devra donc respecter, y compris lors de la constitution initiale du GHT, le droit commun. Il ne s’agit donc plus que d’un ´ simple élément de simplification administrative ª.

 

Une extension contestable mais contrôlée de la compétence des juridictions financières. – Le Conseil valide le dispositif de l’article 109 de la loi n∞ 2016-41 d’extension du contrôle des juridictions financières aux établissements privés, malgré l’absence de précision sur la nature et les modalités d’exercice de ce contrôle et le renvoi au pouvoir réglementaire de ces conditions d’exercice, au motif principal de la nécessité pour l’…tat de contrôler l’emploi des ressources publiques que les personnes morales de droit privé perçoivent (consid. 71). Il est permis de s’étonner des justifications apportées à cette extension du champ de compétences des juridictions financières. Sur les critères de financements publics, participation à la mise en œuvre de la politique de santé publique et soumission à un régime d’autorisation ou ‡ une procédure de certification, tous les offreurs de soins soumis à autorisation devraient être concernés dont les laboratoires de biologie médicale et les installations d’imagerie médicale.

 

On retiendra cependant le tempérament mis par le Conseil : ´ il appartiendra toutefois au pouvoir réglementaire de veiller, en fixant les modalités de mise en œuvre de ces contrôles, au respect des principes constitutionnels de la liberté d’entreprendre ou de la liberté d’association des personnes morales de droit privé concernées ª (consid. 71). Cette réserve ne permettra donc pas au Gouvernement de poursuivre dans sa conception initiale selon laquelle ´ les dispositions du code des juridictions financières s’appliqueront de plein droit aux contrôles exercés sur le fondement des articles L. 111-8-3 et L. 211-10 du code des juridictions financières ª (obs. Gouvernement), ce qui était extrêmement large en l’absence de toute précision sur le type et l’étendue du contrôle.

 

Les textes d’application devront donc concilier la nécessité du contrôle et le respect de la liberté d’action des établissements privés et les contrôles ne devraient porter que sur l’usage des seuls fonds publics et non sur la totalité de la gestion des organismes privés, toute immixtion dans la gestion pouvant contrevenir aux principes constitutionnels.

 

Un contrôle de l’absence de surcompensation limité aux seules charges de service public. – Le Conseil valide le dispositif de l’article 111 de la loi n∞ 2016-41 au motif notamment ´ que son cinquième alinéa définit la surcompensation comme le bénéfice excédant le taux de bénéfice raisonnable ; que son septième alinéa confie à un décret en Conseil d’…tat le soin de déterminer les modalités de transmission des comptes, les règles de calcul et d’application de la surcompensation, ainsi que le mécanisme de récupération ª (consid. 72).

 

On retiendra surtout que le contrôle ne pourra porter que sur l’emploi des crédits ´ délégués pour compenser les charges de service public ª ´ sur le champ des activités d’intérêt général mentionnées à l’article L. 6111-1 du code de la santé publique ª, ce qui vise donc des crédits ciblés et non sur l’emploi de l’ensemble des ressources, fussent-elles publiques. Ceci milite pour la constitution d’un compte d’emploi afin de circonscrire précisément les charges couvertes par ces recettes.