Scroll Top
Partager l'article



*




La vie hospitalière française a ceci d'avantageux que la lassitude qu'elle procure progressivement à ses plus farouches défendeurs ne provient en aucune façon d'une quelconque et émolliente routine dont on connaît les effets rédhibitoires pour tous les responsables épris d'action et d'efficacité.

Pour autant, la période actuelle ne semble guère en mesure de recueillir le moindre satisfecit parmi les professionnels de terrain, désormais tentés par un éloignement opportun des structures hospitalières publiques.

Service public préféré de nos concitoyens, l'hôpital fait partie des réussites « à la française » que les grands élus rappellent autant que de besoin pour symboliser la grandeur de notre Histoire sociale et l'exemplarité de nos constructions juridiques et organisationnelles.

Comment alors comprendre ce hiatus grandissant entre les hospitaliers dans leur ensemble et les autorités de l'Etat pour s'entendre sur le diagnostic à réaliser et la thérapeutique à entreprendre, le tout dans l'urgence, parfois vitale dans de nombreux cas ?

La présente analyse n'a pas la prétention de l'exhaustivité. Elle vise simplement à aborder cette problématique sous l'angle aigu des paradoxes qui paraissent rapidement se multiplier, par action ou par laisser aller, dans ce vaste secteur d'activité.
Chacun sait, en effet, que la gestion des paradoxes est loin d'être la spécificité des esprits rationnels et cartésiens que prétendent généralement, et à juste titre, être les grands administrateurs de notre état républicain.

Dans ces conditions, l'espoir le plus assuré résiderait dans la conviction qu'un schéma machiavélique, preuve d'intelligence et d'anticipation, présiderait aux destinées du grand chambardement traversé par les hôpitaux publics. Quand bien même ne répondrait-il pas aux attentes réitérées des professionnels de santé, il révèlerait au moins, malheureusement a posteriori, l'existence d'un pilote dans l'avion sanitaire…

Quelques paradoxes éclairants :

–        Une autonomie des hôpitaux publics progressivement reconnue depuis des décennies comme irrépressiblement indispensable à une adaptation pertinente des dispositifs sanitaires aux contextes locaux (lois et ordonnances successives de 1970, 1991 et 2005) vs une politique nationale de centralisation du processus budgétaire et de mise en tutelle potentielle des établissements (loi de 1991, ordonnances de 1996 et de 2005, loi HPST de 2010).

Les mêmes textes comprennent ainsi généralement des mesures initialement conçues comme complémentaires dans les principes et souvent révélées comme contradictoires dans les faits. Leur cumul, au fil des ans, fait logiquement émerger les aspects inconciliables des dispositifs mis en œuvre au prix de crises locales s'aggravant en nombre et en intensité.

–        Des obligations réglementaires croissantes pour assurer une qualité et une sécurité des soins toujours plus fortes vs des contraintes budgétaires visant à réduire le rythme d'évolution des dépenses.

Cette approche classique en matière de politique publique, inspirée par la logique perpétuellement schizophrénique du citoyen lambda exigeant plus comme assuré social tout en souhaitant payer moins comme contribuable, a pris une telle ampleur au gré des alternances politiques récentes qu'elle contraint pour la première fois dans l'histoire hospitalière française à une remise en cause visible et durable de l'évolution positive des effectifs soignants de la fonction publique hospitalière, acteurs premiers de la qualité et de la sécurité.

–        La création en 1996 des agences régionales de l'hospitalisation sur le principe d'administrations de mission (avec l'objectif d'une plus grande réactivité administrative et budgétaire, d'une résistance efficace aux éventuelles dérives et pressions de nature politique et d'un traitement plus équitable des situations hospitalières locales) vs leur évolution rapide en missions d'administration (se traduisant par une méconnaissance grandissante du terrain, un asservissement politique et une bureaucratie croissante) dont l'aboutissement logique fut leur transformation en agences régionales de santé qui en a, immédiatement, décuplé les inconvénients.

Cette institution nouvelle présente ainsi la double spécificité étonnante d'être continuellement renforcée dans ses pouvoirs (et donc, en logique administrative française, affaiblie d'autant dans ses moyens !), avec l'assentiment de la totalité des acteurs du système de santé, tout en étant la cause, ou la caution, de déséquilibres croissants dont le caractère fréquemment masqué n'exclut pas la gravité.

–        L'absence juridique de supérieurs hiérarchiques pour les directeurs d'hôpital, chefs d'établissement (statut d'ordonnateur primaire dans un établissement public autonome) vs la mise en place efficace d'un système féodal de « vassalisation » des directeurs d'hôpital à l'égard des directeurs d'agence régionale de santé et, plus récemment avec la loi HPST et ses déclinaisons, entre directeurs d'hôpital eux-mêmes.

S'il est parfaitement compréhensible d'organiser un dispositif exigeant d'évaluation et de contrôle des chefs d'établissement, il est difficile d'imaginer qu'un système instaurant dans les faits une structure hiérarchique forte puisse préserver durablement les profils professionnels de responsables hospitaliers adaptés aux situations éminemment délicates que supposent les mutations sanitaires actuelles.
La période récente regorge pourtant de fiascos aux lourdes conséquences sociales et financières dont l'origine principale provient d'une immixtion illégitime et inconséquente dans la gestion opérationnelle d'une activité mal appréhendée.

–        La complexification croissante du management hospitalier et le renforcement de la responsabilisation des directeurs d'hôpital vs la crise existentielle majeure de l'EHESP et l'interrogation persistante quant au rôle et aux objectifs d'une formation initiale et continue du métier de manager hospitalier.

L'évolution, considérée comme exemplaire du système hospitalier français depuis plus de 40 ans, s'explique pour beaucoup par la professionnalisation de ses acteurs décisionnaires.
Les changements rapides de ce système, également reconnu par tous comme l'un des plus complexes à gérer, supposeraient à l'évidence de poursuivre et d'améliorer le dispositif de recrutement et de formation des décideurs hospitaliers, notamment à l'heure de la nouvelle gouvernance, sans que le souci légitime de son « universitarisation » ne l'emporte sur celui d'un modèle professionnel qui a fait largement ses preuves.

–        Un mode de financement de l'activité hospitalière incitatif à la concurrence vs un affichage d'orientations politiques poussant aux coopérations et aux mutualisations.

Les échecs, désormais de notoriété publique, de nombre de rapprochements contraints ou précipitamment accomplis, affaiblissent grandement cette démarche rationnelle et légitime d'adaptation du système sanitaire national. Les préalables naturellement requis d'un constat objectif et transparent, d'un projet médical partagé et d'une ligne directrice régionale sont malheureusement trop souvent sacrifiés sur l'autel des échéanciers irréalistes et médiatisés.

–        Une crise de la démographie médicale croissante vs une liberté totale d'installation.

Ce constat, déjà ancien et rabâché, est loin de diminuer en intensité malgré les mesures prises ces dernières années en matière de numerus clausus.
Entre les atermoiements concernant la situation des praticiens à diplôme hors Union Européenne et la soudaine capacité envisageable des vétérinaires à remplir une mission de santé en zone rurale, les réponses attendues ne sont toujours pas connues.


Chaque hospitalier pourrait aisément rajouter à cette litanie sa kyrielle d'exemples personnels vécus, et les derniers sondages au sein de la profession des directeurs d'hôpital confirment ce quasi divorce avec les pouvoirs publics alors que, paradoxe suprême, les principes mêmes des réformes entreprises ont globalement été soutenus par les acteurs opérationnels du système !

Comme le soutenait Oscar Wilde, « le chemin du paradoxe est le chemin du vrai », mais il ne faut pas choisir l'impasse. En ce sens, on ne répétera jamais assez combien il importe que les administrations centrales soient aussi peu balanifères que possible…




                                                                        Maudyz le Moine